b. L'héritier au trône
Tibère doit confier son héritage à
Caius. Il n'a d'ailleurs plus le choix : il est le seul qui lui
reste,
414. Ibid., p. 157
415. Le film Caligula use de ce propos pour
dépeindre l'érotisme et la répulsion mêlée -
la seule relation « saine » du film, ne reposant pas sur la violence,
est celle d'un couple incestueux
416. Grimal 1992, p. 23
417. La dynastie égyptienne des
Ptolémée suivait cette coutume. Ainsi, Cléopâtre
VII, avant de connaître César et Antoine, était liée
par le mariage à ses deux frères.
418. La généalogie devient confuse
après quelques générations. On voit ainsi Néron
épouser la cousine de sa mère et Claude sa propre
nièce.
419. Franceschini 2001, p. 157-158 et
266
420. Ibid., p. 263
135
Gemellus étant trop jeune et trop faible pour
le concurrencer. Cette certitude est rapportée dans une
prédiction que le prince aurait fait à son successeur
désigné, montrant son petit-fils : « toi, tu le tueras,
et d'autres te tueront »421. Le propos fut
vérifié après sa mort : Gemellus fut accusé de
complot et forcé à se suicider422, tandis que Caligula
ne régnait pas depuis quatre ans quand des conspirateurs, menés
par le préfet Chaerea, l'assassinèrent.
Tibère devait donc se reposer sur un
héritier dont les vices étaient déjà apparents et
qui était apparemment dans l'incapacité d'assumer la tâche
que représentait la gestion de l'Empire. Peut-être était-ce
un choix délibéré : Auguste l'avait piégé en
le choisissant tout en sachant qu'il lui serait inévitablement
comparé et qu'il ne pourrait le concurrencer. Il en fit de même
pour Caligula : on le détestait, mais on haïrait encore plus son
successeur, et Rome ne pourrait que regretter Tibère qui, malgré
ses torts, était un meilleur prince. Cette pensée peut être
évoquée pour montrer la méchanceté innée du
prince. Ainsi l'utilise Chénier, quand il dépeint l'empereur
maudissant Germanicus en même temps que Caius :
Ombragés en naissant des lauriers
paternels, Bercés des longs honneurs prodigués à leur
race, D'une orgueilleuse mère ils ont déjà
l'audace; Et j'entrevois, surtout dans les yeux de Caïus, Les vices
de Sylla , mais non pas ses vertus. Il naquit oppresseur : sa tyrannique
enfance Bégaie insolemment la menace et l'offense. Puisse Rome, en
effet, tomber entre ses mains! Ma haine avec plaisir le conserva aux
Romains. Timides artisans des discordes civiles, Rebelles en secret,
publiquement serviles, Du sein de leur bassesse ils osent
m'outrager: C'est en me succédant qu'il pourra me
venger. Écrasés par le fils, ils maudiront le père
, Et, sous Caligula , regretteront
Tibère.423
Il pouvait aussi avoir compris que la nature de Caius
était pire que la sienne et se serait résigné devant
l'incapacité de trouver un meilleur héritier. Le Tibère de
Poison et Volupté déplore l'infirmité de Claude,
qui le rend inéligible alors que son intelligence est suffisante pour
comprendre le
421. Storoni Mazzolani 1986, p. 326
422. Siliato 2007, p. 310 : « Une nouvelle
stupéfiante, Auguste ! Calpurnius Pison, Junius Silanus, ton
inconsolable beau-père, et Sertorius Macro sont allés rechercher
ce Gemellus que Tibère avait nommé dans son testament,
après avoir perdu la tête. »
423. Chénier 1818, p. 36
136
fonctionnement du principat, et ne peut se reposer que
sur un jeune homme pourri de vices. Mais, dans son mépris du peuple, il
ne pense pas que Rome mérite mieux qu'un « maître
incestueux et assassin, dansant avec son giton au son du
tambourin424 ».
Tibère devait donc préparer son
héritier à assumer le principat. C'était une lourde
tâche : il n'a pas su régner comme il le souhaitait et doit
conseiller un jeune homme inexpérimenté. Franceschini et Lunel
représentent une leçon de vie prononcée peu de temps avant
la mort de Séjan. Tibère vient de recevoir Macron, s'entretenant
cordialement avec lui, demandant des nouvelles de sa famille et lui offrant une
grande somme d'argent pour qu'il lui soit fidèle. Caius pense que l'or
aurait suffi, c'est une erreur de jugement de sa part : Séjan avait lui
aussi possibilité de lever des fonds et de corrompre Macron afin qu'il
s'attaque au prince. Mais Tibère a puisé dans un atout que ne
possédait pas Séjan : il promeut la famille de Macron. En
enquêtant sur lui, il a découvert que ses soeurs ne sont pas
mariées - il en déduit que leur dot est insuffisante, il en
accorde donc une - et que son frère est simple légionnaire
après un long service - il peut lui promettre un avancement. C'est
là la leçon que doit retenir Caius : c'est sur des détails
qu'une situation doit être analysée425. Le propos est
similaire chez Lucien Arnault, lorsque le prince donne ses instructions
à Gayus426.
Caius est certes fou, mais n'est pas un idiot et comprend
comment être respecté. Bénéficiant de la
popularité de son père, il détient un avantage
considérable auprès des Romains. Ce fait semble avoir pu
être constaté lors des funérailles de Tibère, qui
lui sont un moyen de se faire remarquer : Barbara Levick rapporte que le
cortège ressemblait davantage à une marche triomphale, avec des
sacrifices offerts au nouveau prince tout au long de la
route427.
Toutefois, Caligula semble ne pas être aussi
sûr de sa capacité à survivre à la mort de
Tibère. Il eut l'exemple de bien des membres de sa famille
éliminés alors qu'ils étaient au faite de leur puissance
ou qu'ils bénéficiaient d'une position enviable. Marcellus, Caius
César, Germanicus,... tous sont morts dans l'étonnement
général. Il est possible que Caius ait eu peur d'être,
comme Postumus avant lui, poignardé dès l'annonce de la mort de
Tibère. C'est ce postulat que présente le Macron du
Rêve de Caligula, afin de précipiter la succession et
persuader le jeune homme de le suivre dans le complot attentant à la vie
de Tibère :
Tibère t'utilise comme un écran. Il te garde
en vie pour s'opposer aux autres prétendants. Mais il te déteste
autant qu'il a détesté Agrippine. Quand il sera mort,
quelqu'un chargera un centurion de t'exécuter, ainsi qu'a
été exécuté le dernier frère de ta
mère, à la mort d'Auguste. Et
424. Franceschini 2001, p. 411-412
425. Ibid., p. 375-376
426. Voir ANNEXE 2
427. Levick 1999, p. 175
137
moi, je serai envoyé dans une légion pour me
battre contre les Parthes ou les Nabatéens, si l'on
m'épargne428.
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