c. Élimination de la descendance de
Germanicus
Aux yeux de la postérité, c'est à
Séjan que revient la responsabilité de la mort des fils de
Germanicus. Soudoyant les affranchis et les amis de Néron pour qu'ils
l'encouragent à tenir des propos inconsidérés, exploitant
la frustration de Drusus, jaloux de son frère, il fait de ces deux
jeunes gens inexpérimentés d'apparents dangers pour
l'autorité de Tibère. Si Caligula échappe à ces
attaques, c'est parce qu'il est jugé indigne : c'est alors un grand
enfant, privé de la toge virile (quel que soit son âge, un Romain
devait porter la toge virile pour être considéré comme un
adulte), qui ne semblait pas représenter de danger pour
l'autorité du préfet394.
Certains y voient une implication directe de
Tibère, une haine familiale déjà prouvée et qui
sied à l'archétype du tyran. La famille lierait le prince
à l'humanité, lui empêchant de se réclamer monarque
de droit divin. Elle lui est donc étrangère, voire
indésirable395. Bernard Campan va jusqu'à
déceler une inimitié personnelle, son Tibère accusant les
jeunes hommes d'avoir provoqué la mort de son fils Drusus II qui,
rappelons le, était chargée de mystère à
l'époque de la condamnation des deux frères.
Drusus, mon cher Drusus, au trôné
destiné, Leur causait trop de crainte, ils l'ont
assassiné. C'est trop peu des tourments dont je deviens la
proie, Ils laissent éclater leur criminelle joie, Et, par de faux
avis feignant de me servir, Irritent ma vengeance au lieu de
l'assouvir.396
L'élimination de Drusus et Néron est un
crime souvent dénoncé par la postérité. Parmi les
infamies qui souillèrent ce règne, Abel-François Villemain
n'en voit pas de « plus lâche et de plus hideux que la lente
agonie infligée à deux des enfants de
Germanicus397». Si l'on aurait pu excuser la
393. Lyasse 2011, p. 155
394. Barrett 1993, p. 21
395. Vailland 1967, p. 237-238 : « En
conséquence du principe énoncé plus haut et selon lequel
on convoite plus habituellement l'épouse de son ami qu'une passante
croisée dans la rue. C'est aussi, semble-t-il, parce que les proches
parents, bénéficiant des reflets de la puissance impériale
excitent la jalousie de l'empereur : il lui est nécessaire d'être
le seul dieu. La plupart des Césars haïrent tout
particulièrement leur mère : c'est que sa seule existence faisait
preuve de leur origine humaine. »
396. Campan 1847, p. 20
397. Villemain 1849, p. 87
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condamnation, prononcée par Séjan et
révocable après la preuve de sa trahison, on ne peut lui
pardonner de ne pas les avoir réhabilité, deux ans
séparant la mort de Séjan de celles des deux frères. Leurs
morts furent d'autant plus viciées qu'elles témoignaient de
cruauté : Drusus mourut de faim dans son cachot, se nourrissant en
dernier recours du rembourrage de son matelas tout en prononçant des
injures à l'encontre du prince. Ce dernier se fit un devoir de les
rapporter au Sénat afin de prouver que la condamnation était
légitime : des propos aussi orduriers ne pouvaient être que ceux
d'un être indigne. Le résultat ne fut que de saper encore plus son
autorité, en montrant que même un condamné à mort,
amaigri et enchaîné, pouvait le blesser par ses
paroles398. L'acte fut retenu comme un sommet de
lâcheté, un crime que Tibère n'a jamais su assumer :
Villemain lui reproche d'avoir hypocritement affirmé que la haine de
Séjan envers les jeunes gens avait été le signe
déclencheur de la déchéance de ce favori399. Il
ne croît pas en l'existence de remords, au « tourment secret qui
dévorait son coeur par le chagrin, par l'indignation, par la honte
» ; si cela était vrai, il serait allé visiter Pontia
pour s'excuser auprès de Néron, comme Auguste l'avait fait avec
Postumus400.
Mais cette haine prétendue est contestable.
S'il condamna Agrippine et ses fils, et peut-être attenta à la vie
de Germanicus, il se montra clément envers Caius, le dernier survivant
masculin de la famille, l'admettant auprès de lui et l'exerçant
pour lui succéder, et promis leurs trois soeurs à des mariages de
haut rang. Nous citions dans un propos précédent l'union
d'Agrippine et Ahenobarbus : rappelons que celui-ci, toute brute qu'il
était, descendait d'Antonia Major, étant donc un héritier
direct d'Octavie - en faisant un Julien de branche mineure - et d'Antoine -
mort en ennemi de Rome, mais populaire et respecté pour ses actions
précédent sa sédition : un bon
parti401.
Drusus, Germanicus, Néron,... chaque
génération de cette ascendance a perdu son membre le plus
illustre. Mais il restait un survivant pouvant hériter de leurs valeurs,
de leur popularité et permettre au peuple romain, qui les aimait tant,
de voir leurs mérites à l'action, permettant de sortir de ces
« années noires ». Les Romains n'en furent pas
heureux.
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