c. La mauvaise Agrippine
A l'Agrippine éplorée, certains
préfèrent dépeindre l'Agrippine ambitieuse. C'est
notamment le cas d'Ernest Kornemann qui fait d'elle « la
première personne qui empêche Tibère de réaliser le
but vers lequel il tendait », un « être
démoniaque » qui fit sombrer « l'oeuvre d'Auguste
», la politique instaurée par le grand-père dont elle
se vantait de descendre368. Cette arrogance, qui apparaît
notamment dans la série The Caesars, aurait contribué
à rendre Tibère soupçonneux, à l'affût
d'attaques vengeresses369. Il aurait pu la craindre alors même
que Germanicus était en vie, manipulant son mari pour en faire son
ennemi mortel, sachant que les pouvoirs conférés au jeune homme
permettaient de faire plus de mal à Tibère que les siens propres,
ceux d'une « simple femme » dénuée de
responsabilités politiques autre que
d'enfanter370.
365. Il n'existait pas de « parti
anti-impérial » depuis les Césaricides - si l'on peut leur
donner ce rôle
366. Laurentie 1862 II, p. 18
367. Maranon 1956, p. 115
368. Kornemann 1962, p. 97
369. Storoni-Mazzolani 1986, p. 187
370. Franceschini 2001, p. 77-78
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Emplie de haine, elle n'aurait manqué aucune
occasion pour s'attaquer à Tibère. L'éloge funèbre,
où elle défend les qualités militaires de Germanicus et
déplore que Tibère ne lui ait jamais accordé la confiance
qu'il méritait, semble habilement dirigé contre le
prince371. Quand elle demande à se remarier, le nom d'Asinius
Gallus apparaît dans la liste des prétendants372.
Était-ce une manière de rappeler Tibère au souvenir de la
femme dont il regrette la compagnie, de faire de ses héritiers
présomptifs les beaux-fils de son ennemi juré - ou simplement
d'associer deux adversaires du prince373? A la mort de Drusus, ses
fils n'ayant plus de rivaux pour lui succéder (Gemellus est alors un
garçon en bas âge qui n'a aucune prétention à
concurrencer des adolescents), la « femme modèle »
n'aurait-elle pas pu suivre une conduite de pacification avec le prince ? La
femme aimée de Germanicus devient alors, aux yeux de cette nouvelle
postérité, un personnage soit maladroit soit
maléfique374 dont les actes n'ont fait que du tort au
principat.
Le conflit ne peut alors pas cesser. Si Tibère
avait voulu un jour faire la paix avec sa bru, Agrippine ne lui aurait jamais
accordée. Il fallait donc que l'un détruise l'autre, dans
l'espoir de mettre un terme à cette opposition stérile. C'est
à force de contrariétés que Tibère aurait
abandonné tout espoir de réconciliation et qu'il aurait
laissé Séjan s'occuper de la situation : lui n'a
éprouvé aucun scrupule en se débarrassant
d'elle.
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