II - Le symbole de grandeur mis à mal
a. Remettre en question l'image de Germanicus
Mais Germanicus n'est sans doute pas parfait. Au
delà du symbole de grandeur, de jeunesse martyre, d'exemple de vertu, il
y a un homme. Un homme qui admet des failles, un homme qui fait des erreurs et
dont les détracteurs peuvent gloser.
Si l'on présente Germanicus comme le vainqueur
des Germains, tel que son surnom semble l'attester, il en hérite de son
père Drusus. Lui même n'est qu'un général «
modérément compétent » pour reprendre les termes de
Chris Scarre347, dont les campagnes sont - sinon
désastreuses, l'échec de Varus ayant incité Rome à
la prudence - peu concluantes (R. Caratini parle « d'actions
militaires ponctuelles contre les Germains, qui n'ont jamais abouti à
des conquêtes territoriales comme cela avait été le cas des
guerres entreprises par Marius, Pompée, César ou
Auguste348 »). S'il n'était pas membre de la
famille impériale, il est fort probable que son nom ne soit jamais
parvenu aux historiens.
Quand Allan Massie dépeint Germanicus, qu'il se
pose en historien (The Caesars) ou en romancier (Les
Mémoires de Tibère), c'est pour en faire un jeune homme
arrogant, va-t-en-guerre, dont
l'imprudence cause bien des soucis à
l'empereur. Ainsi : Germanicus était néanmoins en
désaccord avec Tibère : les conseils d'Auguste ne lui importaient
pas. Il était impulsif, vaniteux et avide de gloire militaire. C'est en
mesurant ce fait qu'il fit, durant trois années, des essais de
conquête en Germanie. (...) Chaque année, Germanicus assemblait
une force considérable, chargée d'équipements, et marchait
vers les forêts. Il poursuivait l'ennemi, gagnait de grandes victoires et
finissait par se retirer, toujours avec difficulté. Le désastre
imminent était perceptible à la retraite chaque
année.349
Il ne faut l'oublier, Auguste et Tibère - sans
doute pour éviter un nouveau désastre - avaient
décidé de l'immobilité des frontières. Il ne
convenait pas d'élargir l'empire au prix de nombreuses pertes, ce pour
un résultat mitigé (les peuples germaniques n'étant pas
casaniers, Rome n'y gagnait que des terres brûlées). Le
troisième épisode de The Caesars montre ainsi Germanicus
impatient de retourner au front pour écraser les Germains. Tibère
ne peut que lui faire constater qu'il sait lui-même qu'une telle
opération coûterait à ses légions 40% de pertes
humaines, et qu'il serait plus
347. Scarre 2012, p. 31
348. Caratini 2002, p. 207
349. Massie 1983, p. 103
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judicieux - dans l'hypothèse où les
conquêtes seraient nécessaires - de profiter des dissensions entre
Germains pour qu'ils s'entre-tuent et d'ensuite vaincre, certes sans gloire
mais en limitant les morts. Face au caractère borné de son fils
adoptif, Tibère ne peut que se résoudre à l'envoyer en
Arménie, pour une mission plus « sûre », qui plus est
sous la surveillance de Pison350.
Allan Massie, lorsqu'il conçoit son
récit à travers le regard de Tibère, présente les
doutes qu'aurait pu avoir l'empereur face à un tel manque de
discernement :
Mon neveu donna ordre qu'on enterre les ossements,
décision que j'approuvai pleinement par la suite. Je fus
moins enchanté par ses propos selon lesquels il avait
été « honteux » d'avoir attendu aussi longtemps pour
pénétrer dans la forêt et donner une sépulture
décente aux victimes de la funeste bataille. Il n'avait, de toute
évidence, aucune idée de l'étendue du désastre
subi par Varus, et des difficultés que j'avais éprouvées,
à l'époque, pour maintenir simplement la frontière du
Rhin. Certains de ceux qui entendirent ses paroles furent choqués par
l'étroitesse de ses vues et sa critique implicite de ma conduite,
que, pour ma part, j'attribuai plus, sur le moment, à sa jeunesse
qu'à une quelconque malveillance. Ses ambitions étaient
toutefois inquiétantes. Il aurait voulu que nous amenions dans l'Empire
tous les Germains résidant à l'ouest de l'Elbe. Je pouvais
comprendre qu'on trouve cette idée séduisante, car je l'avais
moi-même eue bien des années auparavant. Mais tant Auguste que
moi avions fini par nous convaincre qu'elle était impraticable.
Nous craignions également qu'étant donné les conditions
existant sur place, tout général risque de connaître le
même sort que Varus - ce qui fut presque le cas pour Germanicus
lui-même l'année suivante.351
Plus loin :
Encore que symptomatiques du malaise qui paralysait
l'État, ces ennuis demeuraient mineurs en comparaison
du problème que me posait Germanicus. Ses victoires en Germanie ne
nous avaient apporté aucun avantage solide ou durable, mais, afin
d'assurer sa réputation, j'étais prêt à grossir leur
importance. Je lui accordai donc un triomphe. J'espérais aussi, je le
confesse, que ce geste pourrait avoir pour effet de le réconcilier avec
moi, ainsi qu'Agrippine. Cet espoir était vain. Il y avait aussi
une autre raison. Mon neveu brûlait de poursuivre la guerre et de lancer
une nouvelle expédition - la quatrième- contre les Germains.
Il n'y avait aucun chance qu'elle remporte un succès plus substantiel
que les autres. Les campagnes de Germanicus n'avaient fait jusque-là
que me renforcer dans l'opinion qu'Auguste et moi avions fini par nous
former indépendamment l'un de l'autre : que les limites raisonnables de
l'Empire avaient été atteintes et que tout projet d'expansion
supplémentaire devait être abandonné. Et voilà que
l'impétuosité du jeune Germanicus venait remettre notre
jugement en question. C'était
intolérable.352
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