b. Adhésion au christianisme ?
Plus que de ressentir la sympathie, Tibère
aurait été chrétien sans le savoir. Gregorio Maranon en
fait un sceptique, fermé à toute croyance, néanmoins plus
proche de la Vérité que n'importe quel Romain, sans pouvoir la
distinguer - un Perceval antique devant le Graal292. Dans le roman
d'Allan Massie, c'est l'affranchi Sigismond, l'ami le plus fidèle de
Tibère, qui récupère les manuscrits où sont
consignées ses Mémoires. Devenu chrétien sous le nom
d'Étienne, il considère comme un devoir de mémoire de
réhabiliter son ancien maître pour montrer qu'il pouvait
être un bon chrétien. Tibère n'a jamais appris l'existence
du Christ - sans doute a-t-il lu son nom dans un rapport sans s'y
288. Storoni-Mazzolani 1986, p.
219-220
289. Kuntz 2013, p. 17
290. Arnault 1828, p. 27
291. Villemain 1849, p. 84-85
292. Maranon 1956, p. 220-221
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attarder, mais il s'est efforcé de conserver des
vertus dignes d'un fidèle de Jésus293.
Peut-être Tibère aurait pu se convertir
au christianisme s'il l'avait découvert plus jeune. Quand le Christ
meurt, le prince a soixante-quatorze ans : trop affaibli, il ne peut lutter
pour que Rome reconnaisse la primauté de cette religion. Ce constat
tragique apparaît dans le roman Tiberius auf Capri d'Heinrich
Von Schoeler, où le vieil homme se désole de son impuissance
à faire accepter le christianisme, éveillant son ressentiment
:
Le sens de la vie est en effet l'amour humain. (...)
C'est pourquoi je proposai au Sénat de placer Jésus de Nazareth
au rang des dieux ; mais ma proposition fut rejetée. Elle suscita
même chez les Romains l'indignation et le mépris. Oderint, dum
probent - qu'ils me haïssent, pourvu que la postérité
m'approuve !294
Même image dans L'Enquête
Sacrée (2006) : Tibère est réveillé, alors
qu'il somnole à Capri, par un orage apparaissant soudainement dans un
ciel clair, parallèlement à la mort du Christ. Il envoie un
général de confiance enquêter sur ce
phénomène et, devant la réussite de sa mission, comprend
la Vérité. Il reçoit, sur son lit de mort, Caligula et
Macron, leur expliquant qu'il veut envoyer une missive au Sénat pour
adopter le christianisme en religion impériale. Son acte est vain :
Caligula ne veut pas renoncer à ses prétentions de prince de
droit divin et brûle la lettre après la mort de
Tibère.
Au contraire, chez Jean de Strada, malgré une
conscience d'être dans l'erreur, le prince refuse de se convertir : le
différend moral entre Tibère et le Christ est trop important pour
qu'il daigne passer outre ses préjugés. La liberté et la
vérité ne lui sont que des mots « vides et creux
», le seul terme valable étant l'obéissance,
l'adoration de la puissance du prince295.
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