c. Ponce Pilate
Mais il est un Romain encore plus haï par la
postérité chrétienne : le gouverneur de Judée,
Ponce Pilate, celui qui prononça la mort du Christ. Mais lorsqu'il est
associé à Tibère, on tend à diminuer sa
responsabilité, ou du moins à lui offrir une chance de
s'expliquer. Ainsi raisonne Voltaire dans les Deux lettres de Pilate
à l'Empereur Tibère, issus de sa Collection d'anciens
évangiles286 (1769). Ce texte épistolaire permet
de montrer une évolution dans le caractère de Pilate entre la
condamnation et la prise de conscience suivant l'exécution. Dans sa
première lettre, il rapporte l'exécution d'un « Roi des
Hébreux » profitant de la crédulité des Juifs pour
faire croire à des
281. Ibid., p. 54
282. Laurentie 1862 II, p. 21-22
283. Ibid., p. 37
284. Ibid., p. 22
285. Maranon 1956, p. 220-221
286. Voltaire 1879, p. 537-538
100
miracles (purifier les lépreux, guérir
les paralytiques et ressusciter les morts). Mais son mépris est moindre
à celui des princes jaloux qui lui livrèrent l'accusé pour
qu'il le condamne : il se contente de le flageller avant de le rendre aux
Juifs, qui ont pris l'initiative de le crucifier. Il écrit à
l'empereur pour ne pas que de fausses accusations le rendent coupable du crime
des Juifs. La seconde lettre est une supplique : il dénonce le «
cruel supplice » d'un homme « si pieux et si
sincère » et reconnaît que ses disciples « loin
de démentir leur maître par leurs oeuvres (...) font au contraire
beaucoup de bien en son nom ». Pilate vit avec les remords d'avoir
craint la sédition du peuple qu'aurait entraîné la
grâce du Christ et de l'avoir sacrifié à sa propre
lâcheté. Le propos est identique dans le film Selon Ponce
Pilate (1987), dans lequel le gouverneur perd le sommeil après
avoir compris l'horreur de son acte, trouvant enfin la rédemption en
mourant après avoir perpétué de bonnes
actions.
Pilate sert parfois à réhabiliter
Tibère. En témoigne l'interprétation de l'affaire des
boucliers dorés, rapportée par Philon dans sa
Legatio287. Pilate, alors procurateur de Judée,
aurait consacré dans le palais d'Hérode à Jérusalem
des boucliers en or honorant l'empereur Tibère dans des termes proches
de la divinisation, au déplaisir des Juifs. Ceux-ci, pensant que le
prince était innocent de ces actes et qu'on tirait prétexte de
son nom pour les outrager, lui en référèrent par lettre.
Tibère serait devenu furieux, blâmant la conduite de Pilate et
demandant expressément de conduire les objets du délit en dehors
de la ville. Ainsi, le prince respecte les croyances de ses sujets, quand bien
même elles ne sont pas le siennes : un propos allant à l'encontre
du reproche d'intolérance dont nous faisions préalablement
état. C'est à cette idée que se rattachent certains
auteurs pour montrer une tolérance, voire une sympathie de Tibère
envers les monothéistes - jusqu'à le faire faillir à
embrasser la cause chrétienne.
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