C - Tibère et le Christ
I - Tibère et la religion
a. Tibère et l'astrologie
La religion n'a pas pris une importance majeure dans
la conception de l'état selon Tibère. En revanche, le prince
était adepte d'une croyance orientale, alors répandue dans la
haute société romaine de l'époque : l'astrologie. Nous
pouvons voir en cet intérêt une manière de
s'échapper du présent, pratique tout à fait concevable
pour un stoïcien mélancolique. En témoigne
Barbara
Levick : Si l'astrologie ne fait pas partie des
bagages du stoïcien, l'intérêt de Tibère peut
s'expliquer d'une autre manière : par l'échec dans sa recherche
d'une consolation adéquate dans la philosophie en ces temps
d'humiliation et de peur262
C'est à Rhodes que Tibère se convertit
à cette pensée, au moment même où il
s'éloigne du monde romain. Nul dieu ne peut lui venir en aide, et les
signes deviennent un élément rassurant. Pour lui, fataliste
convaincu, le destin est immuable et l'astrologie lui permet de le
connaître et d'anticiper les
imprévus de la vie. : Il s'adonna aussi
à l'étude de la philosophie, et surtout à l'astrologie,
science dans laquelle il parvint à un niveau de compétence
égal à celui des spécialistes. Il s'amusait à faire
l'horoscope des personnes en se fondant sur l'état civil et, une fois,
en voyant s'approcher le jeune Galba, il s'écria : « Voici celui
exercera, un jour, le pouvoir sur le monde... » (...) Du haut des villes
mortes, dressées sur des rochers battus par la mer, Lindos, Camiros, il
a dû s'attarder à contempler ce firmament qu'il croyait immobile ;
il en tirait la certitude qu'il existe, derrière la faible
épaisseur de la réalité, un ordre, une
géométrie cristalline, en vertu de laquelle les êtres
occupent chacun une place, dans un tout hiérarchiquement stable. (...)
Une certitude qui conduit au fatalisme, au détachement de toute forme de
culte : la prière, l'espérance sont refusées à
celui qui croit que la volonté des dieux a déjà
prédéterminé, dès la
naissance, le destin de chacun, et que ce destin est
immuable263.
Dans la série The Caesars,
Tibère fait souvent usage de l'astrologie. Elle lui révèle
systématiquement de mauvaises nouvelles. Lors de la première
occurrence, il cherche à faire son horoscope et celui de Postumus
Agrippa ; la prédiction est la même dans les deux cas : ils auront
droit à ce qu'ils désirent le moins (accéder au
trône pour Tibère, mourir dans l'ombre pour
262. Levick 1999, p. 7
263. Storoni-Mazzolani 1986, p.
81-82
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Postumus). Il en appelle une seconde fois à
l'astrologie pour savoir si son plan géopolitique - envoyer Germanicus
en Orient accompagné de Pison - était judicieux. Réponse
négative dont il aura par la suite la confirmation par la mort du jeune
homme.
Il partage cette croyance avec un de ses compagnons de
Rhodes, l'un des rares personnages à être resté son ami
tout au long de sa vie : Thrasylle. Celui-ci est souvent présenté
comme un fidèle confident, lisant dans les astres pour l'aider et le
conseiller. Dans le second tome du roman de Franceschini et Lunel, Thrasylle
prouve la légitimité de ses croyances en prévoyant
l'arrivée d'un enfant d'Orient devant changer la face du monde, et en
admettant une certaine curiosité lorsque les rapports de Judée
mentionnent le nommé Yeshua. Pour Gregorio Maranon, Thrasylle
était un homme providentiel qui, sachant que Tibère ne voudrait
pas que ses prétendus ennemis lui survivent, lui prévoyait une
longue vie, sauvant ainsi bien des condamnés. Sur ce point, on retrouve
une analogie avec le personnage de
Shéhérazade264.
Mais les motivations de Tibère importent peu
aux yeux de la postérité religieuse. La seule image qui
transparaît est celle d'un homme influençable, victime d'une
époque de superstitions. Le Romain est
crédule, sous la domination morale des
astrologues. Ainsi pense J.-F. Rolland : Les apparences, comme l'on voit,
n'étoient pas brillantes, et ne lui promettaient pas
l'élévation à laquelle il parvint bientôt
après. Il revint pourtant, si nous en croyons Suétone, plein de
grandes espérances, fondées principalement sur les
prédictions de l'astrologue Thrasyllus. (...) Car Tibère
dévoré d'ambition dans sa retraite, et ne perdant point de vue
l'Empire, consultoit volontiers ces hommes trompeurs, qui se donnent pour
habiles dans la connaissance de l'avenir, et dont tout le savoir ne consiste
qu'en ruse et en charlatanerie.265
Les croyances de Tibère sont jugées
irrationnelles, voire ridicules. Charles Dezobry grossit le trait pour s'en
moquer dans son oeuvre de fiction :
Les Romains ont quantité de pratiques et de
croyances superstitieuses, toutes d'autant plus étonnantes qu'elles
sont
observées par des gens d'ailleurs
habituellement raisonnables. Ainsi, l'un, en portant de la salive avec son
doigt derrière son oreille, croit adoucir les inquiétudes de son
esprit ; l'autre attendra la pleine lune pour se faire faire les cheveux,
persuadé que par-là il évitera la calvitie et les maux de
tête, ce qui n'arriverait pas s'il s'avisait de choisir
pour cette opération le décours de la
lune. Tibère observe cela rigoureusement.266
L'idée est de démontrer de l'aberration
qu'est le paganisme aux yeux des chrétiens et de ses aspects pervers.
Superstitieux, les Romains causent des morts évitables, telle celle de
Marcellus : quand Musa avait soigné la maladie d'Auguste à l'aide
d'eau froide, le remède semblait convenir à toute
264. Maranon 1956, p. 190
265. Rolland 2014, p. 194
266. Dezobry 1846, p. 372
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affection. Croyant son idée géniale, le
médecin l'appliqua dans le cas de la maladie du gendre du prince,
aggravant davantage la maladie267.
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