c. La vie à Rhodes
Le roman d'Allan Massie, contant la vie de
Tibère comme le ferait une auto-biographie, se divise en deux parties.
La première (p. 9-164) est censée avoir été
écrite à Rhodes, durant les jours de calme où
Tibère pouvait faire appel à ses pensées les plus
enfouies, tandis que la seconde (p. 167-310) est l'oeuvre de ses vieux jours
à Capri. Au contraire de Capri et de son image de débauche,
Rhodes est davantage liée au repos et l'art. Tibère y mène
une vie retirée, dans une villa, lit des poèmes et
assiste aux débats d'érudits. Dans un
autre ouvrage, Massie rapporte ces moments de détente : Il y
vécut tranquillement, appréciant les lectures de philosophes et
débattant avec eux en tant qu'égal ; car Tibère
était un intellectuel. Il écrit de la poésie (en grec) et
plus tard, à Capri, ses mémoires. Il étudia la grande
science alors en vogue, l'astrologie. Thrasylle, l'un des plus fameux
mathématiciens contemporains, et astrologue, était membre de sa
cour, du moins de ses années à Rhodes jusqu'à sa mort. Les
goûts de Tibère étaient ceux d'une vie simple. Il
était friand d'asperges, de concombres et de radis, qu'il mangeait avec
du miel et du vin. Il aimait les fruits, ce qu'on peut
interpréter comme l'expression d'une
émotivité194. Même repos selon Roger
Caratini, celui d'un homme
libéré de toute manifestation de
pouvoir, un philosophe heureux : Lorsque Tibère arrive à
Rhodes, dont il avait découvert le charme et la
sérénité dès le jour où il y avait
jeté l'ancre, au retour de sa campagne victorieuse en Arménie,
quatorze ans auparavant, en 20 av. J.-C., il décide de se fondre
anonymement dans la population insulaire ; dans ce but, il s'achète une
maison modeste au centre de la ville et une autre dans sa banlieue, et passe
ses journées à écouter les maîtres de la philosophie
et de droit qui enseignent leurs doctrines un peu partout. (...) Il
découvre la joie de se promener sans licteurs ni huissiers, au sein
d'une foule cosmopolite d'étudiants venus de tous les coins du monde
gréco-latin, attirés par le renom des nombreuses écoles
(...) qui pullulent dans cette grande
cité.195
Mais certains auteurs pensent que Tibère a vite
regretté sa décision. Ce qui lui semblait être un repos
bien mérité devint vite une source d'ennui et il dut longtemps
supplier Auguste de le laisser revenir à sa vie à Rome. En vain.
C'est notamment le postulat de Jean-François Rolland qui parle d'un exil
où il « s'embarqua en toute diligence » et où
il eut « tout le temps de se repentir du parti qu'il avoit pris avec
tant de vivacité, et de s'ennuyer dans sa retraite, qui fut de sept ans
entiers.196 ». Dans la série Moi Claude,
empereur, c'est un Tibère maussade qui attend à Rhodes des
nouvelles de Rome. Aigri, il menace son ami Thrasylle de le jeter de la falaise
(« la route est longue pour monter jusqu'à moi, elle est plus
courte à la descente ») si de bonnes nouvelles ne
lui
193. Franceschini 2001, p. 11
194. Massie 1983, p. 96
195. Caratini 2002, p. 94
196. Rolland 2014, p. 180 - au ton du texte, nous
aurons compris qu'il s'agit d'une réédition d'un texte ancien,
daté de 1825
79
parviennent pas prochainement. L'astrologue est
prêt à être tué lorsqu'un messager vient le
délivrer de son tourment : Lucius César vient de se noyer - le
porteur du message est endeuillé et digne, tandis que Tibère ne
peut réprimer son hilarité - et l'exilé est
autorisé à revenir chez lui.
|