WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

C. Annonce de notre étude

Nous nous trouvons en présence d'un personnage mystérieux, dont la vie semble être une succession d'événements paradoxaux. A la fois bourreau et victime, symbole de dignité et d'indignité, de victoire relative et d'échecs complets, il provoque l'indécision chez l'historien moderne. Qui croire ? Ceux qui critiquent un prince dont le règne fut marqué par le crime, un fait attesté, qui a scellé le destin de Rome après une crise politique qui durait depuis les guerres civiles entre César et Pompée, qui a négligé son rôle pour se complaire dans la débauche et l'infamie ? Où faut-il croire à un Tibère fataliste, blessé dans son orgueil par des années d'humiliations, impuissant face à un principat qu'il n'a jamais désiré, et auquel il s'est même opposé, et - au final - qui serait une des figures les plus respectables de l'Histoire ? Alors Tibère représente pour l'historien moderne un problème historiographique123.

Le débat suscité par les travaux historiographiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle semble être clos, ou du moins n'offre plus à ces discussions houleuses. Pourtant les historiens continuent à proposer des visions diverses et variées de la vie de Tibère et à se questionner sur ce personnage. En témoigne la quatrième de couverture de Tibère ou la mélancolie d'être, la biographie romancée de Roger Caratini, constat de la persistance de cet inconnu un siècle plus tard :

Qui fut exactement Tibère ? Le fils adoptif d'Auguste, qui fit divorcer sa mère pour l'épouser alors qu'il avait à peine quatre ans ? Le général victorieux dans ses campagnes en Arménie et au Tyrol ? L'homme auquel Auguste avait décidé de confier l'Empire, mais qui préféra s'exiler pendant huit années à Rhodes avant d'accepter le pouvoir ? Le pacificateur de la Germanie ? Le législateur froid et peu disert qui gouverna Rome avec sagesse jusqu'en 23 après J.-

C. ? Le mélancolique maniaco-dépressif qui abandonna son autorité au sinistre Séjan ? Le vieillard libidineux qui termina ses jours, solitaire, dans l'île de Capri ?

Comme l'évoque Olive Kuntz, « l'image de Tibère n'est pas restée une énigme à cause d'un manque de preuve, mais davantage à travers le plaisir de manquer de preuves contradictoires124». Tibère fascine par les mystères qui l'entourent. Rien ne prouvera jamais son implication dans la mort de Germanicus (fut-ce même un assassinat ?), aucune lettre du prince exilé ne nous parviendra pour expliquer les raisons de sa démission, jamais les pierres de Capri ne nous renseigneront sur les

123. Lyasse 2011, p. 12

124. Kuntz 2013, p. 7 : « The picture of Tiberius has not remained an enigma through lack of evidence but through a failure satisfactorily to dispose of much conflicting evidence. »

52

peines de son hôte. Pourtant, Tibère devient, tant dans les travaux d'historiens que dans les tragédies, un personnage que l'on veut connaître, dont on veut comprendre les peines pour expliquer sa conduite curieuse.

La postérité de Tibère, telle qu'elle se présente et qu'elle doit apparaître dans cette étude, est avant tout une discussion autour d'éléments fantasmés de la vie d'un personnage qui nous est presque inconnu. L'intérêt même de cette étude est de percevoir la nouvelle image accordée à ce prince, qu'elle le réhabilite ou le condamne à de nouvelles critiques. Marie-France David-de Palacio, dans son étude « Ecce Tiberius » ou la réhabilitation historique et littéraire d'un empereur « décadent » (Allemagne-France, 1850-1930) (2006), avait déjà donné son avis sur ce débat d'historiens et sur l'image de l'empereur dans la littérature « fin de siècle ». Si cet ouvrage fait office de référence dans notre étude, notre approche du sujet en diffère. Dans ce livre, l'auteur cherchait les causes de cette réhabilitation, politiques ou littéraires, non les composantes du débat. Notre étude porte davantage sur l'approche historiographique de Tibère, sur les éléments contradictoires notés à la lecture d'historiens - pourtant influencés par les même sources - et sur l'évolution de la perception du personnage. En outre, là où M.-F. David-de Palacio bornait son étude de la seconde moitié du XIXe au premier tiers du XXe siècle, nous nous permettons d'étudier une plus large période.

C'est au moyen de citations d'auteurs de ces deux siècles - voire trois si l'on prend en considération les études antérieures au débat - que nous discuterons de la postérité de Tibère125-126. Aucun de ces savants ne peut restituer avec certitude la vie de ce prince, tant par l'absence de sources indiscutablement fiables que par des préjugés qui influencent leurs écrits : mais chacun apporte des éléments intéressants pour nos recherches. Après avoir brièvement présenté, dans ces deux chapitres, l'évolution de l'historiographie consacrée à Tibère, nous possédons quelques bases pour comprendre les motivations des deux courants opposés, sans pouvoir affirmer lequel est le plus proche de la vérité. Du reste, il serait naïf de résumer les divergences entre les auteurs par l'appartenance - ou par un rejet du mouvement de réhabilitation : chacun admet sa propre vision de Tibère, lui témoignant de plus ou moins de sympathie, de plus ou moins de responsabilité dans la condamnation que la postérité lui réservait.

125. Dans certains cas, où les citations s'avèrent longues (notamment dans le cas des tirades théâtrales), nous renvoyons le lecteur aux ANNEXES, afin de conserver un certain « dynamisme » dans la rédaction.

126. Dans un souci de clarté, l'abondance de citations pouvant rendre la lecture difficile, nous chercherons à en réduire au mieux le nombre. De même, les traductions de textes en langue étrangère (hors traduction déjà effectuée lors de la parution française : Massie 1998, Yavetz 1983,...) sont des traductions personnelles. Quand la traduction est confuse, nous apposerons le texte original en note de bas de page (ce sera notamment le cas des citations d'Adams 1894, la pièce étant écrite dans un style exclamatif anglophone qu'il est difficile de restituer)

53

Nous chercherons, dans les trois chapitres suivants, à mettre en avant les aspects qui - avant la réhabilitation - étaient les principaux propos de la condamnation de Tibère : l'irrespect des valeurs familiales, la perversion sexuelle, l'incapacité à assumer le pouvoir impérial,... Tous ces thèmes ont été maintes fois rediscutés par les historiens modernes pour en percevoir la crédibilité, les implications d'une réfutation ou d'une validation de ces arguments. Nous nous efforcerons donc de présenter ce qui paraissait une évidence au regard des sources antiques et de montrer dans quelle mesure ces « certitudes » sont contestables aux yeux des Modernes, qui vont nuancer le propos d'autrefois, qui à leurs yeux devient infamant. Ces nouveaux historiens bénéficient d'un outil auparavant négligé - si ce n'est pour déprécier - pour comprendre le personnage historique : cet instrument, c'est l'étude de la psychologie. Que l'on s'oppose à Tibère ou qu'on l'apprécie, il devient inévitable d'étudier le fonctionnement de sa pensée pour comprendre comment l'austère Claudien a pu devenir le Bouc de Capri, dans l'optique d'une évolution de sa psychologie.

L'objet du sixième chapitre sera de considérer la vie de Tibère avec ce nouveau regard. Après être revenus sur le rapport du prince aux « femmes de sa vie » - ses deux épouses et sa mère qui, chacune à sa façon, ont influencé l'évolution de son caractère - nous en viendrons aux principales composantes de la psychologie de Tibère. Nous devrons considérer tous les éléments préalablement établis comme une base à la compréhension de cet homme qui, semble-t-il, était guidé par trois modes de pensées : la solitude voulue et pesante, la tristesse de ne pas être aimé et d'être l'instrument d'autrui, et le ressentiment causé par des années d'humiliation et de mélancolie.

Enfin, le dernier chapitre de notre étude sera consacré à la fiction, sous toutes ses formes, celle-ci représentant le coeur même de la représentation du personnage historique. L'auteur peut faire parler les figures du passé pour les rendre plus « humaines » et témoigner de l'importance du caractère dans le façonnement de l'être. Nous verrons ainsi plusieurs Tibère apparaître : le Tibère mélancolique de la tragédie du XVIIIe siècle, le Tibère destructeur de l'esprit « fin de siècle » au XIXe, le Tibère apte à la confidence au XXe siècle, et - enfin - le Tibère incarné par son spectateur dans un jeu du XXIe siècle.

54

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote