II - Causes nationales et politiques
a. Tibère et l'Allemagne
Dans son étude, Marie-France David-de Palacio
recherche les causes de la naissance de ce mouvement de réhabilitation.
Elle constate vite qu'au XIXe siècle, le mouvement est essentiellement
allemand110. La littérature nationale use abondamment de ce
personnage, alors que son pendant étranger, notamment en France, lui
préfère Néron ou Héliogabale, plus propices
à la descriptions de vices nouveaux. Mais l'intérêt
allemand pour Tibère n'est pas uniquement lié à l'image de
la décadence : c'est avant tout un lien à l'Histoire qui se
profile.
Le rapport à la Germanie antique importe
beaucoup aux Allemands, même si les ancêtres dont ils se
réclament ont été vaincus par la famille de Tibère.
Arminius/Hermann est un symbole national et Tibère le
représentant de la victoire, tout comme peuvent l'être
Vercingétorix et César en France. La littérature nationale
en fait un prince nostalgique de ses campagnes passées, un amoureux des
terres et du peuple germaniques.
Et il aime ce pays, ajouta Telemachos, il
préfère vos sombres forêts de chênes que traverse en
murmurant la tempête aux rives souriantes. Il prétend que la
Germanie est le vrai pays, un pays d'hommes.111
Parallèlement, les Allemands font l'analogie
entre Tibère et leur empereur, Guillaume II (régnant de 1888
à 1918). Il est vrai que les deux hommes partagent une psychologie
complexe et une même incompréhension chez leurs contemporains.
Guillaume II succède à son grand-père Guillaume
I,
110. Mais pas exclusivement : De Tiberio imperatore.
État du monde romain, vers le temps de la fondation de l'empire de
Victor Duruy (France, 1853) ou Catiline, Clodius and Tiberius d'Edward Beesly
(Angleterre, 1878) sont parmi les ouvrages de référence sur la
réhabilitation de Tibère au XIXe siècle
111. Gjellerup K., Der goldene Zweig. Dichtung
und Novellenkranz aus der Zeit des Kaisers Tiberius, Leipzig : Quelle und
Meyer, 1917, p. 201, in David 2006, p. 28-29
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premier empereur allemand (1871-1888112) -
tout comme Tibère suivait Auguste. L'un comme l'autre furent incapables
de se faire apprécier, de par leur manque de charisme en comparaison de
leur prédécesseur et devinrent les boucs émissaires de
leur temps. Les intellectuels vont alors puiser en Tibère les «
symptômes » pour comprendre leur empereur. En réfère
Thomas Kohut, évoquant la période d'exil au lendemain de la
Grande Guerre, là où Guillaume est le plus confronté
à son échec :
En attribuant les difficultés de Guillaume
à sa naissance, sa déformation physique, les manipulations du
médecin lors de l'accouchement, ou sa mère anglaise, les
Allemands étaient en mesure de nier leur parenté
émotionnelle avec le Kaiser, leur influence sur ses actes, leur
contribution à la catastrophe. Au lendemain d'une défaite
inattendue et humiliante, on fit de Guillaume un bouc émissaire, la
cible de l'ignominie et de la colère impuissante de ses anciens
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