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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Un devoir de mémoire

Réhabiliter Tibère devient un devoir de mémoire pour l'historien. Devant l'injustice de la postérité,

il est amené à la contester : L'histoire a pendant longtemps jugé cet homme d'après les dernières années de son règne, et lui a fait ainsi un tort sévère. Il n'y a sans doute aucun autre homme que Tibère qui ait connu un destin aussi tragique. Caractère noble et humain en tous points, il est conduit très tôt par la bassesse de sentiment de son entourage, par les flatteries trompeuses du personnel de l'État et des sénateurs, au mépris des hommes, ce qui rend plus difficile la grandeur de sa mission. Mais plein de sentiment du devoir, il ne retarde pas l'exécution de ce qu'il tient pour juste ; il trouve sa récompense dans l'espoir de rendre son peuple heureux et de gagner un jour dans l'histoire un nom glorieux. (...) L'histoire est juste. Tibère, longtemps vilipendé, reconquiert aujourd'hui son honneur. On s'est dit avec raison que l'on ne devait pas lui imputer les actes perpétués pendant son effroyable maladie.107

C'est cet objectif que défend Edward Beesly. Son ouvrage Catiline, Clodius and Tiberius, paru en 1878 est la retranscription d'une conférence présentée à l'université de Bradford le 27 mars 1867. Dans cette étude, l'auteur voulait montrer l'importance de la corruption des élites, ce pourquoi César

105. In David-de Palacio 2006, p. 227

106. Stahr A., Bilder aus der Altertum. Tiberius, Berlin : Verlag von J. Guttentag, 1863, p. 234-235, in David-de Palacio 2006, p. 272-273

107. Willenbucher H., Tiberius und die Verschwörung des Sejan, Gütersloh : Bertelsmann, 1896, p. 46, in David-de Palacio p. 58

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avait mérité sa popularité auprès du peuple accablé en s'opposant à la perversion du milieu sénatorial, dans l'échec politique de Tibère et comment cette impuissance a engendré l'image injuste retenue par la postérité. La première partie de l'étude est consacrée à sa vie avant le principat, avec de nombreux renvois au récit de Velleius Paterculus, la seconde concerne son règne. Tibère n'avait que peu à craindre de l'aristocratie, car celle-ci se livrait à des querelles internes dans l'espérance d'une promotion et ne pouvait se résoudre à former un parti hostile au prince, tout du moins jusqu'à ce qu'Agrippine le leur propose à mots couverts. Au sortir de cette conférence, les spectateurs devaient pouvoir remettre en question leur propre vision de Tibère car, à la lumière de ces nouveaux

propos, elle se trouvait bouleversée : La plupart des personnes cultivées ont lu des oeuvres le concernant durant leur jeunesse, et de son nom ils voient des images de sombre misanthropie, d'une hypocrisie de long vécu, d'une lente mais implacable haine, de cruauté sans remords, d'un répugnant vieillard pataugeant dans des exercices fous sur une île recluse ou ni les plaintes, ni les malédictions ne l'atteignait. Ainsi est l'image transmise par la postérité par les plus éloquents des historiens. Une image si fausse, si contradictoire, si insultante pour le sens commun que je me dois de vous le démontrer ce soir. (...) Ne supposez pas que je prenne un plaisir pervers à maintenir un paradoxe. Je respecte bien trop l'Histoire pour en faire des bagatelles, et c'est car je me désole de voir deux siècles d'Histoire tournés vers le non-sens que je veux la ramener à la lumière du bon sens, pour travailler sur ces personnages de la Révolution romaine.108

L'objectif de la réhabilitation n'est toutefois pas de décharger Tibère de toute faute : l'erreur serait de faire du prince un innocent et de ses proches des coupables, voire de rejeter la responsabilité de ses actes sur ses victimes. Il ne faut donc pas nier le crime, celui-ci étant indiscutable, mais le nuancer. Ce que cherchent à démontrer les auteurs de la réhabilitation, c'est que le Tibère que présentent les Anciens est un personnage fictif, un hybride des vices tyranniques apparus chez ses successeurs, tels Néron ou Domitien, une caricature du mal. Gaston Boissier, alors que le courant existe depuis près d'un demi-siècle, met en garde le lecteur contre tout préjugé trop favorable à Tibère :

L'Allemagne était à ce moment (1852) très mal disposée pour lui, et il faut reconnaître que les arguments dont elle usait pour le combattre valaient bien mieux que ceux dont Voltaire et Linguet s'étaient contentés. On essayait, par toutes sortes de raisonnements et de recherches, de réhabiliter les princes qu'il a condamnés, surtout Tibère - car il faut remarquer que c'est autour de Tibère que s'est toujours livrée la bataille contre Tacite. La campagne fut habilement menée, sauf que, comme il arrive dans toutes les polémiques un peu passionnées, on alla vite à l'extrême. Il ne suffit pas d'établir, ce qui est vrai, que Tibère était un très habile politique, qu'il a bien gouverné les provinces, qu'il a maintenu l'Empire en paix ; on voulut prouver que c'était un honnête homme, « une noble et bonne nature », et, comme il était difficile de nier que beaucoup de sang avait coulé sous son règne, on en fit retomber la faute sur ses victimes, qui l'avaient exaspéré par leur résistance.109

108. Beesly 1878, p. 85-86

109. Boissier G., Tacite, Paris : Hachette, 1904, p. 113, in David-de Palacio, p. 12

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Ainsi naît la réhabilitation de Tibère. Les nouveaux historiens se font un devoir de réécrire l'Histoire en appelant à l'objectivité et à une meilleure lecture des sources antiques. Le nouveau Tibère n'en est pas moins fictif, mais il s'avère moins caricatural. C'est un prince réhabilité qui admet certaines qualités morales dont était incapable son pendant ancien : il n'est plus seulement le tyran et le Bouc de Capri, il est aussi l'ennemi de la décadence, le précurseur des lois sociales et un intellectuel empli de spleen. Mais cet intérêt pour Tibère n'apparaît pas ex nihilo. Les causes sont autant historiographiques que politiques.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein