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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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B. Réhabiliter Tibère ?

I - Le mouvement de réhabilitation

a. La naissance du mouvement de réhabilitation

Il est difficile d'établir la date à partir de laquelle le mouvement réhabilitant a pu se développer. En effet, ce sont des études diverses, datées de la seconde moitié du XIXe siècle, qui font office de références à ce courant et ont offert à débat, inspirées par des travaux antérieurs. Gregorio Maranon

propose une lecture de cette réhabilitation naissante : Il est indéniable que la réhabilitation de l'empereur a été influencée par les rationalistes, et parfois les farouches anti-chrétiens, une pensée de l'écriture historique moderne, dès la fin du dix-huitième siècle. N'oublions pas que l'un des premier défenseurs de Tibère, et de plus un de ceux à avoir le plus d'influence en ayant créé une atmosphère qui lui soit favorable, était Voltaire. (...) Une des légendes à laquelle Voltaire s'opposa était précisément celle d'un Tibère devenu chrétien. Alors vinrent les révisions apologistes du personnage de Tibère, menées par des historiens français, allemands et anglais, beaucoup d'entre eux influencés par le puritanisme protestant car, en bien des aspects, ce César se présentait comme un prédécesseur de Calvin. Finalement vinrent plus d'historiens, des italiens cette fois, que la diffusion du nationalisme dans leur pays rendaient plus favorable à la défense des grands noms de la Rome antique.103

Cet intérêt naît dans un but précis : discuter de la véracité des textes antiques et de la personnalité d'un personnage méconnu, car incompris. Car Tibère représente la base d'un modèle politique perpétué durant des siècles : l'impérialisme. Il est aussi un personnage chargé de symboles : mélancolie, ressentiment,... des thèmes chers à la fiction du XIXe siècle. Marie-France David-de Palacio définit ce nouveau Tibère comme le représentant du « destin tragique de la modernité, une sorte d'allégorie à l'usage des consciences malheureuses du nouveau siècle, le vingtième104. »

S'il faut définir un « chef de file » à ce mouvement, M.-F. David-de Palacio propose le nom d'Adolf Stahr. Celui-ci publie, en 1863, Bildr aus dem Altertum, considéré comme le premier texte

moderne réhabilitant Tibère, dont voici le préambule : « J'ai entrepris de ramener à de justes proportions le jugement porté par les hommes sur un souverain dont le nom n'a été cité jusqu'à présent dans l'histoire qu'à titre de symbole du pire, ce qui, réduit à l'image d'un tyran inhumain, peut bien susciter l'exécration. (...) Entre son panégyriste

103. Maranon 1956, p. 6-7

104. David-de Palacio 2006, p. 212

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inconditionnel Velleius et son accusateur enragé Tacite, la balance s'incline largement du côté défavorable dans la quasi-totalité des livres d'histoire récents. Au mieux, on nous y présente un monstre, énigmatique certes, composé des qualités les plus contradictoires, mais toujours un monstre, dont la vue fait frémir d'effroi notre sentiment d'humanité, un être étrange, que nous ne parvenons pas à expliquer, un effrayant mystère, dont la clef nous manque, comme elle manquait déjà, en vérité, à l'auteur de qui nous tenons les informations principales concernant Tibère.105

La thèse de Stahr repose sur une réfutation de Tacite. Celui-ci, référence de la plupart des ouvrages d'historiens consacrés à Tibère, offre une vision partiale des événements, motivée par ses propres convictions. Ainsi, le bon historien se doit de réfuter les Annales, du moins les lire avec prudence, pour comprendre le second prince de Rome. Le drame de Tibère est d'avoir sombré dans la folie dès

lors qu'il apprit la trahison de Séjan, le dernier homme qu'il pensait être son ami : L'effet produit sur la sensibilité de Tibère par la découverte des méfaits et de la trahison de son ami intime fut terrible. Une absence totale d'espoir en l'humanité, une sinistre fureur rentrée comme le monde et contre son propre destin s'emparèrent de lui. Ce fut comme si, avec la trahison de Séjan, le dernier lien qui le reliait encore à l'humanité s'était rompu. (...) Sa cruelle vengeance envers ceux qui avaient pris part au crime de Séjan ne connut au début ni mesure ni but précis, et il laissa impitoyablement torturer et assassiner tout ce qui, au cours de l'enquête, lui tombait sous la main. Sa douleur et son désespoir confinèrent à la folie, et il est presque certain que depuis lors son âme resta occasionnellement troublée par l'ombre de la démence.106

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille