b. Exercice du pouvoir
Puis, « Dès qu'il arrive au pouvoir,
le César entreprend de grands travaux d'utilité publique et
s'applique à élever le niveau de vie du peuple romain
». Velleius, ne tarissant pas d'éloges envers
Tibère, présente un début de
règne sain et souhaitable : « Les événements de
ces seize dernières années sont encore présents aux yeux
et à l'esprit de tous : qui pourrait les raconter dans leurs
détails ? César divinisa son père non pas en usant de son
pouvoir absolu mais en lui rendant un culte ; il ne lui donna pas le titre de
dieu, mais il en fit un dieu. Il ramena la bonne foi sur le forum ; du forum,
il chassa la sédition, du champ de mars les brigues, de la curie la
discorde. Il rendit à la cité les vertus qui semblaient mortes et
surannées, la justice, l'équité, l'activité. Les
magistrats retrouvèrent leur autorité, le sénat sa
majesté, les tribunaux leur force. Il réprima les
désordres du théâtre. A tous il inspira le désir ou
imposa la nécessité de bien faire. La vertu est honorée,
le vice puni. Le peuple respecte les grands sans les craindre, le grand prend
le pas sur le peuple sans le mépriser. A quelle époque le prix
des denrées fut-il plus bas ? Quand vit-on paix plus joyeuse que celle
qui s'étend de l'Orient à l'Occident jusqu'aux extrêmes
limites du nord et du midi, paix auguste qui délivra de toute crainte de
brigandage les coins les plus reculés du monde. Les ruines que la
fatalité apporte aux citoyens et aux villes mêmes sont
réparées par la libéralité du prince. Les villes
d'Asie sont relevées, des provinces délivrées des
vexations de leurs magistrats. La récompense est toujours prête
pour celui qui en est digne, le châtiment atteint lentement les
méchants, mais il les atteint.52 ».
Même les auteurs hostiles reconnaissent que le
prince avait commencé dignement en évitant de se comporter en
tyran, en témoigne Dion Cassius : Tibère porte toute affaire au
Sénat plutôt que d'en
48. Ibid., XVI.
49. Ibid., XCIV.
50. Ibid., CVI.
51. Suétone, Tibère,
XXI.
52. Velleius Paterculus, CXXVI.
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décider seul53, refuse d'être
adulé pour son seul titre54, se montre généreux
et aimable envers ses amis55 et, grâce à ses valeurs,
fait aimer au peuple son gouvernement56. Au pire, il est rigoriste
et sévère, condamnant les désordres populaires dans les
théâtres alors qu'Auguste avait légiféré la
tolérance envers les histrions dissipés57 et peut se
montrer implacable quand on abuse de sa bonté : Tacite rapporte le cas
d'un nommé Hortalus, venu demander la charité à
Tibère, ne rencontrant que le mépris de celui qui abhorre la
mendicité d'un membre du milieu sénatorial salissant la
mémoire de ses ancêtres - ici, l'auteur voit déjà
poindre la fin du règne juste de ce prince qui laisse tomber «
la maison [d'Hortalus] dans une détresse
humiliante58».
De façade, du moins, « Le César
défend l'ordre moral et la pureté du sang romain ».
Dans le cas de Tibère, c'est un attachement au républicanisme et
un mépris des cultes orientaux qui le rattache à cette
thèse, même si l'hypocrisie lui est souvent reprochée.
Économe, Tibère s'insurge contre le luxe à
table59 et l'enrichissement dans l'usure60. Il s'oppose
aussi à la violence gratuite, mettant en garde son propre fils de ne
commettre « aucune violence, ni aucun excès
»61. Enfin, il veut rétablir la sainteté des
mariages en punissant les matrones prostituées62, mais tout
en édulcorant la loi préexistante, la Papia Poppea
d'Auguste, qui devenait matière à la
délation63.
L'oeuvre de Velleius Paterculus s'achève à cette
époque où Tibère est encore en grande partie un bon
prince. Quand vient l'heure du bilan, c'est une conclusion
flatteuse qu'il rédige : « Finissons
ce livre par un voeu. Jupiter Capitolin et toi, fondateur et soutien de la
gloire de Rome, Mars Gradivus, et toi aussi, Vesta, gardienne du feu
éternel, et vous toutes, divinités qui avez fait de l'empire
romain un immense édifice qui domine le monde entier, au nom de l'Etat,
je vous implore et je vous supplie. Gardez, conservez, protégez cet
Etat, cette paix, ce prince. Qu'après un long séjour parmi les
mortels, il reçoive de vous le plus tard possible, des successeurs dont
les épaules soient assez fortes pour soutenir le fardeau de l'empire du
monde
avec la vaillance que nous voyons en
César.64 » Malheureusement, aux yeux de la
postérité, le règne de Tibère ne s'achève
pas à ce moment : il est destiné au même cheminement que
celui des autres Césars, celui d'un dérèglement de la
personnalité et d'une débauche naissante.
53. Dion Cassius, Livre 57, VII.
54. Ibid., VIII.
55. Ibid., X.-XII.
56. Ibid., IX.
57. Tacite, Livre 1, LXXVII.
58. Ibid., Livre 2, XXXVIII.
59. Ibid., Livre 3, LIII.-LIV.
60. Ibid., Livre 6, XVI.-XVII.
61. Dion Cassius, Livre 57., XIII.
62. Suétone, Tibère,
XXXV.
63. Tacite, Livre 3, XXV.
64. Velleius Paterculus, CXXXI.
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