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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. La mauvaise foi des Anciens

Pour arriver à ses fins, Suétone n'hésite pas à masquer la vérité, ou du moins à présenter son récit comme il convient pour supporter ses théories. Si, au cours de ses recherches, un point lui a semblé aller à l'encontre de sa pensée, il l'aura exclu ou l'aura déformé avant d'y faire référence. Sa vision de la mort des Césars semble aller dans ce sens.

Dans son objectif de dénoncer le mauvais souverain et de glorifier le bon, Suétone souligne particulièrement les morts indignes des tyrans. Aux morts calmes d'Auguste et Vespasien, morts dans leur lit, entourés de leurs amis, l'auteur oppose les fins atroces des mauvais : Caligula est passé au fil de l'épée, Vitellius est humilié publiquement avant d'être égorgé, Domitien lutte en vain pour crever les yeux de celui qui l'étrangle. Le destin a une morale. Mais Suétone fait preuve de mauvaise foi : il élude au mieux la mort de Titus, agonisant à la suite d'une maladie. Il ne fait aucun doute que l'auteur ait cherché à ignorer au mieux ce fait qui allait à l'encontre de la morale prônée : un bon souverain doit mourir âgé et serein, ou assassiné injustement par les méchants dans la fleur de l'âge, non de la peste à 41 ans. Pour y remédier, il accuse Domitien d'avoir précipité la mort de son frère, un motif qui semble plus s'accorder à la morale : ce n'est pas le destin qui a voulu supprimer cet homme bon, mais la jalousie d'un César pervers et cruel. Alors la mort de Titus est contée deux fois : dans sa Vie pour conclure un court règne prometteur, et dans celle de Domitien pour dénoncer les vices du nouveau prince36. Il en va de même pour Tibère, à la différence que Suétone ne témoigne d'aucune sympathie pour aucun d'entre eux. Dans la Vie de Tibère, il ne prend

35. Gascou 1984, p. 799-800

36. Ibid., p. 385-386

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pas parti sur les causes de la mort de Tibère mais, qu'il ait péri seul en cherchant de l'aide ou qu'il ait été assassiné par son successeur, celle-ci fut atroce et constitue le châtiment d'un règne où s'accumulaient les vices. Dans la Vie de Caligula, il revient sur ce même événement pour en faire une lecture incontestable : Caligula a tué Tibère, une abominable première action pour le nouveau prince (et qui fait écho à la priorité de son prédécesseur en l'an 14 : condamner son rival Postumus)37.

Nous l'évoquions précédemment, Suétone suit un plan thématique et n'accorde que peu d'égards à la chronologie. Ce qui peut paraître un choix intéressant nuit à sa crédibilité : en l'ignorant, il semble mettre en scène les événements à sa guise et manque d'objectivité. Dans le cas de Tibère, l'auteur cherche à diviser sa vie en deux grandes périodes : une bonté feinte, où sa perversité est dissimulée, et une libération progressive de ses vices alors que ses proches disparaissent. Alors Suétone manipule la chronologie pour faire paraître le mal dans les dernières années du règne alors même que les événements cités peuvent être situés, à la lecture des Anciens, aux premières années du principat de Tibère. Ainsi, énumérant des actes ignobles postérieurs à l'an 25, il conclut par la condamnation de Vonones, roi des Parthes. Celui-ci, réfugié à Antioche aurait été assassiné afin d'être dépouillé de ses richesses : non seulement l'appât du gain est odieux, mais il se fait au détriment d'un souverain, qui plus est un allié de Rome qui est censé être sous la protection de celui qui l'attaque. En confrontant Suétone aux autres sources, on aperçoit qu'il est le seul à accuser Tibère : il semble que ce soit un soldat romain qui l'ait mis à mort alors qu'il tentait de pénétrer l'Arménie, sans que le prince ait donné le moindre ordre. De plus, et c'est là notre propos, si Suétone ne date pas cet événement, Tacite le fait : Vonones est mort en 19. Alors l'auteur, pour affirmer sa thèse d'une progression chronologique des vices de Tibère, se sert d'un événement survenu dans le premier quart de son règne, bien avant la prétendue date de la révélation de ses débauches (Germanicus est encore en vie). Ce qui paraissait logique et défendable à la lecture seule de Suétone devient une falsification de l'Histoire38.

Alors les Vies constituent une source intéressante sur le monde romain, car elles nous renseignent sur les préjugés d'un homme sur les règnes précédent sa naissance, motivés par son entourage, son vécu et la situation politique de son époque, mais ne doivent pas être lues comme un récit sans failles. Suétone est un romancier, un prédécesseur du marquis de Sade selon Roger Vailland, qui ressent la même « angoisse surmontée », la « torpeur » et les « moiteurs » en lisant Juliette ou les

37. Ibid., p. 381

38. Ibid., p. 409-410

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Prospérités du Vice : il conte la débauche, l'outrage à la morale39. Et Suétone n'est pas le seul à blâmer : certes, il est celui qui verse le plus dans la caricature, mais n'allons pas croire que Tacite ou Dion aient réalisé leurs ouvrages en toute bonne foi. Les motifs sont multiples - préjugés, opinions politiques, désir de romancer l'Histoire - mais tous ont un même objectif : un souci de vraisemblance en se servant des faits du passé à leur propre compte.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld