III - Jouer l'Antiquité
Pour conclure ce chapitre sur la fiction, nous ne
pouvons faire l'impasse sur l'existence des jeux vidéos dont la trame
scénaristique se base sur l'Histoire du monde. Nombreux sont ceux
à s'intéresser à la Seconde Guerre Mondiale (Call of
Duty, Medal of Honor,...), ou du moins à y placer
commodément leurs personnages. En ce qui concerne l'Antiquité, on
pensera en premier lieu à Age of Empires, dans lequel le joueur
pouvait diriger une puissance de l'Histoire Antique (telle la Grèce, la
Phénicie ou l'Assyrie) et en assurer le développement
économique et militaire, ou à Rome Total War, dans
lequel les grandes familles romaines mènent des conquêtes au nom
de Rome avant de s'affronter entre elles pour
l'Empire989.
989. Un second volet de cette série a
récemment été développé, mais il n'apporte
que peu à notre propos.
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Mais là où le cinéma
présente des personnages historiques dans leur époque
reconstituée, le jeu vidéo n'utilise que peu les « figures
» du temps. Jules César fait quelques apparitions, souvent plus
symboliques que réellement liées au scénario (il sert
d'emblème à la série des Civilization et, dans un
tout autre genre, joue les figurants dans les Lapins Crétins -
le joueur étant amené à changer le passé, en
faisant rire le sévère Romain aux jeux du cirque en lui jetant
une corbeille de fruits au visage), mais les empereurs y sont
absents990.
Néanmoins, nous devons noter l'existence d'un
jeu vidéo (apparemment l'unique) présentant le personnage de
Tibère : Spartan Total Warrior (sorti sur PlayStation2, Xbox et
GameCube991). Empli d'anachronismes, il fait appel à
l'imaginaire de l'Antiquité plus qu'aux événements
historiques. Le joueur est confronté tant à des personnages
historiques (Léonidas de Sparte, le savant Archimède ou
Séjan) qu'à des monstres légendaires (on y affronte
Méduse, l'Hydre de Lerne et le Minotaure). Le personnage principal est
un guerrier spartiate, non nommé, cherchant à sauver sa
cité des invasions romaines (datées de 300 av. J.-C.),
commandées successivement par M. Licinius Crassus (un barbu
balafré utilisant une gorgone comme « arme de destruction massive
» - la force de son regard pétrifiant étant propulsée
comme un tir d'artillerie sur les armées spartiates), Séjan
(présenté comme un nécromancien sadique) et, à la
tête de l'Empire, Tibère.
Séjan est l'antagoniste apparaissant le plus
dans le jeu, étant affronté à quatre reprises. Aussi
distant des récits historiques que fidèle par son image
dégradante, il est présenté comme un homme grêle,
formé dans les arts nécromants. On le voit notamment s'entourer
d'une garde de soldats revenus des morts et chevaucher un dragon (!). On le
rencontre une première fois dans les ruines de Troie, où il tente
d'empêcher le héros spartiate de récupérer les armes
d'Achille - en réalité une diversion pour l'éloigner de
Sparte tandis que les Romains mènent l'assaut. Il est ensuite
l'antagoniste principal des deux missions consacrées à la
bataille d'Athènes, durant laquelle il périt au combat. Enfin, il
réapparaît durant l'avant dernière mission du jeu, lorsque
le héros et ses alliés vont attaquer Rome, s'incarnant cette fois
sous forme de mort-vivant. Quant à Tibère, il n'apparaît
que durant le dernier tiers du jeu. Nous avons précédemment
établi que l'on pouvait le dépeindre de bien des manières,
mais l'image que s'en font les créateurs de ce jeu y est originale.
Tibère est présenté comme un petit homme obèse,
fourbe et vicieux, manifestant une colère infantile à la moindre
contrariété : en clair, un Néron de cinéma.
Opérant dans l'ombre, par l'intermédiaire de Séjan et ses
généraux, il n'est
990. Nous citions Rome Total War : un mode du jeu
permet de jouer certaines batailles historiques. Parmi elles, la bataille de
Teutobourg, où le commandant des troupes contrôlées par le
joueur est Quintilius Varus - cette fois, les Romains évitent le
désastre. Le mot d'Auguste est mentionné dans le descriptif de la
bataille.
991. Le jeu a été testé sur
cette dernière console, mais le contenu est identique dans les trois
versions.
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jamais directement confronté au personnage
principal. Les deux personnages ne se recontrent que durant l'affrontement
final, dans le Colisée de Rome (!), où l'Empereur explique les
raisons de ses actes : il était le jouet du dieu Arès,
chargé d'attiser les flammes de la guerre pour le contenter. Par peur,
tant du Spartiate que du dieu, il se suicide en se jetant de sa tribune,
s'écrasant dans l'arène.
Le soin n'a pas été apporté au
développement des personnages et à leur lien à l'Histoire.
Étant présentés pêle-mêle, dans une
chronologie anarchique (bien des générations séparent
l'essor des cités grecques et l'avènement des empereurs romains),
il était probablement du souhait des développeurs de
présenter leurs personnages par des noms célèbres de
l'Antiquité, sans souci de cohérence. Manifestement, les
protagonistes suivent les poncifs du cinéma à sujet antique :
Tibère est l'empereur « néronien », Séjan (si on
lui enlève ses tours magiques) est l'archétype du méchant
du genre - laid, fourbe et cruel, le Spartiate est issu d'extraction
inférieure (il est un simple soldat et son nom n'est jamais
mentionné) et se fait remarquer par son courage et son sens de la
justice. Plus qu'à des noms, on s'attache à des
stéréotypes.
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