c. La Voluptueuse Agonie , ou l'horreur
érotique
Parmi les revues décadentes, nous nous devons
de citer le Gil Blas Illustré. C'est dans cette revue, dans le
28e numéro, daté du 13 juillet 1900, qu'est parue une nouvelle
dans laquelle le personnage de Tibère est mentionné. Cet
écrit, c'est la Voluptueuse Agonie de Gaston Derys, le
récit du martyre de la fille de Séjan, violée et
tuée par le bourreau. Mais, là où le propos est souvent
trop atroce pour être retranscrit même dans une étude
historique, il est ici utilisé dans une nouvelle érotique,
témoignant à la fois de l'horreur et de l'attrait malsain de la
scène. La nouvelle n'étant guère longue, nous l'avons
recopiée dans son intégralité (voir Annexe
6)
Le récit s'ouvre sur une pensée de
Tibère. Apprenant la trahison de son ami, il sombre dans une
colère noire, commune à bien des fictions à sujet antique
du XIXe siècle. Avant même d'apprendre la conspiration, il
jalousait déjà les honneurs qu'on rendait au ministre, et dont il
était le premier responsable. Alors que Rome élimine les proches
de Séjean, ses enfants sont faits prisonniers. Le garçonnet est
immédiatement exécuté, mais Tibère hésite
sur le sort à réserver à la soeur, car «
malgré Caprée, malgré une longue habitude du crime et
de la cruauté, César hésitait, peut-être par crainte
des Dieux, à trancher la fleur de cette frêle vie ignorante, car
il était inouï qu'une vierge fût punie de la peine capitale.
»
De son âme viciée, il trouve
l'idée de faire violer la fillette par un bourreau brutal, un guerrier
Germain ramené à Rome comme prisonnier et reconverti dans
l'exécution des condamnés. Il est l'horreur même : velu,
gigantesque, dotés de « bras noueux et durs comme des
chênes », de « poings pareil à des
béliers », il est plus animal qu'humain. C'est cette brute
épaisse qui force la jeune fille, déchirant ses vêtements
et « meurtrissant ses flancs sous son élan vigoureux
». A l'horreur du lecteur, le viol est décrit tant dans son
indignité, le bourreau forçant « la vierge
effrayée », au corps « fragile, délicat et
puéril », aux jambes « fragiles et
légères », suppliant son tortionnaire de la laisser
tranquille tandis qu'il « torture sa chair » et la «
ballotte comme une
962. Ibid., p. 249
292
trirème », que dans son
érotisme : l'auteur a soin de décrire le corps nubile de la
fillette, telle une oeuvre d'art vivante, innocente, au sein « en
bouton de rose apriline », au bras « à la sveltesse
harmonieuse », à la bouche « frivole et mutine
». Le lecteur oublie alors un instant, juste un instant, qu'il lit
l'histoire d'un viol - qui s'achève en volupté.
Ému, le bourreau se prend de sympathie pour sa
victime. Celui qui vient de commettre un acte odieux et dont le physique ne
prédestine à aucune tendresse, lui fait de nouvelles avances,
cette fois plus douces, et la fillette répond à son excitation :
« nulle haine n'aiguisa son regard (...) elle se trouvait heureuse et
calme (...) une fierté montait en elle (...) le même hymne de joie
bramée roucoula dans leurs gorges. ». Alors qu'il
s'apprête à accomplir sa mission, le bourreau hésite :
peut-il tuer cette femme innocente dont il est tombé amoureux ? Mais la
nature reprend le dessus : il ne pourrait jamais vivre heureux avec elle,
quelques soient ses efforts. Alors, lui donnant
« l'aumône d'une suprême caresse
», il lui écrase la gorge envoyant « son âme
dans l'éternité ». Ce n'est pas l'affreux tortionnaire
que le lecteur doit haïr, puisqu'il ne fait que suivre des ordres et que
son amour aurait pu supplanter sa cruauté, mais Tibère. Par
vengeance, par égoïsme et par méchanceté, il a mis
fin à bien des vies et - plus que tout - à détruit un
amour qu'il avait lui-même permis.
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