b. Le dernier jour de Tibère , ou un tyran
dégoûté par la servilité
Dans sa pièce, représentée pour
la première fois en 1828, Lucien Arnault conte les derniers jours de la
vie du prince, alors vieux et malade. Alors que le Sénat se
félicite de cette mort prochaine, Macron cherche à
réconcilier Cayus et son grand-oncle, afin de faire du jeune homme
l'héritier au trône. Sa rapprochant des sénateurs, il leur
propose la candidature de ce nouveau prétendant, afin de se doter d'un
dirigeant plus docile, que le Sénat - en réalité,
lui-même - pourrait contrôler à sa guise. Pourtant, Cayus
n'est pas aussi naïf : il se joue des arrogants qui l'entourent en
feignant la gentillesse et la candeur, alors qu'il est prêt à
assumer une tyrannie encore plus rude que celle sous laquelle il vit
présentement. Tibère, quant à lui, souhaite
secrètement démissionner et laisser sa place au
républicain Galba qui, s'il haït le principat, est capable d'agir
avec intelligence. Pris d'un malaise, on le croît mort, et les
sénateurs maudissent sa mémoire. Quand il paraît, vivant,
les lâches sont humiliés. Écoeuré, le prince veut
lancer des proscriptions et éliminer ses ennemis. Le médecin
Chariclès l'en empêche en l'empoisonnant : dans ses listes de
condamnations, il avait noté le nom de membres de sa famille.
Tibère voit son assassin mourir devant ses yeux, empoisonné par
le même verre afin d'échapper à la justice, le plongeant
dans une terreur encore plus vive.
Tibère n'est pas explicitement un mauvais
homme. Si les sénateurs le haïssent et dénoncent ses actes,
ils sont lâches et serviles et leur parole n'est pas digne d'être
prise en considération. De même, Galba déteste le tyran
mais respecte la mémoire de l'homme quand il le croit mort. Son
principal tort est d'être impulsif et vengeur. Ainsi, quand Macron
rapporte au Sénat que l'empereur est mort, il fait le récit d'une
dernière condamnation lancée par le prince mourant :
MACRON.
Tibère dès long-tems vers son heure
suprême
943. Ibid., p. 75
279
Se traînait exécré des hommes
et des dieux : Épuisé , chancelant , au sortir de ces lieux
, En vain sous les dehors d'une trompeuse joie Il cache les tourmens
où sa vie est en proie : La nature trahit ce douloureux effort, Et
ses regards éteints sont voilés par la mort. (...) Dans le
coeur du tyran prêt à s'anéantir En faveur de Drusus
éveille un repentir : « C'est mon sang, c'est mon fils, me
dit-il à voix basse, « Et de Germanicus l'inévitable
race « De mes propres enfans partagerait les droits? « Non,
non. Réparateur de mes dernières lois, « J'en
révoque à l'instant la coupable injustice, « Et du
déshérité j'ordonne le supplice. » En achevant ces
mots , seul avec Chariclès Il se dérobe , il court dans le
fond du palais Cacher les noirs transports de son dernier
délire, Et ce n'est qu'en mourant qu'il cesse de
proscrire.944
Quand vient l'heure de sa mort, il se félicite
d'être vengé. Chariclès a su prévenir ses
proscriptions, mais il lui reste un instrument pour punir les lâches :
Cayus. Le prince a su lire dans les véritables intentions du jeune homme
et, en faisant de lui son héritier, il condamne Rome à subir un
tyran encore plus cruel que lui-même. Le tragique veut que le sacrifice
du bon médecin ait été vain : il aura pu retarder la mort
de ses proches, mais non l'éviter :
Celui qu'avec orgueil vous portiez à
l'empire! Assassiné par vous, c'est pour lui que j'expire... Pour
lui...! Regardez bien... Voyez comme ses yeux Trahissent les penchans de son
coeur odieux... Voyez dans tous ses traits quelle terreur farouche! Mille
proscriptions s'élancent de sa bouche Mille forfaits par lui sont
déjà préparés! ! ! Je m'y connais, Romains ,
vous me regretterez... ! A payer vos bienfaits sa fureur sera
prompte; Mais vous le destiniez au trône... qu'il y monte ! Rome
sert... Cayus règne... et Tibère est vengé
!945
944. Arnault 1828, p. 49
945. Ibid., p. 78
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