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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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CHAPITRE 7 -

TIBERE ET LA FICTION

- Plaise au ciel que ce Grec ait vu juste, je ne peux rien te souhaiter de mieux, ami Claudius, et
puisses-tu être longtemps heureux avec une épouse aussi choyée par le Destin... mais méfie-toi du

hasard...

- Le hasard ? Voilà un mot que je n'ai jamais entendu, Nicias... C'est encore un de ces mots grecs que vous employez, vous autres, les médecins ?

- Il n'a rien de grec, c'est un mot que les légionnaires romains ont ramené de Syrie et qui fait fureur dans les tripots de Subure, où ils perdent des fortunes en jouant aux dés ; lorsqu'ils gagnent, il s'écrient : « Merci, hasard ! » et, lorsqu'ils perdent, ils disent : « C'est encore un mauvais coup du hasard ! »

- En quoi ce hasard ou ce Syrien peuvent-ils bien influencer la conduite de Livie, Nicias ? C'est une épouse absolument irréprochable. Que veux-tu insinuer, Nicias, en me recommandant de me méfier du hasard ?

- Je n'insinue rien, Claudius, et je ne te recommande rien, je dis tout simplement que, dans notre pauvre existence humaine, tout peut survenir sans qu'on s'y attende : tu es vivant aujourd'hui, mais demain tu peux mourir, renversé par un cheval au galop, tu es riche

aujourd'hui, et demain tu peux être ruiné par un incendie ou par une spéculation

malheureuse.

(...)

- Alors, mon vieux Claudius, où que tu sois aujourd'hui, tu y crois, maintenant, à ce bon vieux hasard dont tu riais jadis ?

[ Roger CARATINI - Tibère ou la mélancolie d'être ]

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A. Romancer l'Antiquité

Notre traitement de l'Antiquité dans la fiction se doit de commencer par le romanesque. Non que ce genre soit chronologiquement le premier à se manifester, mais il permet plus facilement la transition entre l'Histoire et la fiction, de par l'aspect romancé de certaines biographies. Cette étude se fera essentiellement aux moyens d'exemples choisis, et nous userons abondamment de la citation, afin de ne pas dénaturer un propos où la forme est tout autant, voire plus, réfléchie que le fond.

I - Le roman historique : Vivre l'Antiquité

a. La biographie : une pratique romanesque

Parler de romanesque n'est pas forcément parler de fiction. En cherchant à reconstituer une Antiquité dont les éléments sont morcelés et imprécis, l'historien est amené à faire appel à des qualités littéraires, celles lui permettant de constituer un tout cohérent. Si le risque est de conter un récit fantasmé et essentiellement composé d'inventions et de préjugés, la pratique est inévitable : sans elle, tout devrait être noté au conditionnel et le lecteur ne pourrait en aucun cas se faire une idée, ni sur le propos de l'auteur, ni sur la situation que celui-ci veut restituer. Nous l'avons vu précédemment, en étudiant la personnalité des personnages du temps passé, nous atteignons une meilleure compréhension des événements et nous pouvons penser à de nouveaux questionnements sur des faits débattus depuis des siècles, voire des millénaires. Quand bien même le propos serait incertain, la comparaison des travaux d'historiens permet une vue globale de l'Histoire où chacun a la possibilité de se faire sa propre opinion.

Toutefois, il existe plusieurs façons de réaliser une biographie. Certains auteurs, comme Barbara Levick ou Emmanuel Lyasse, conservent au mieux un ton détaché des événements, afin d'éviter de prendre trop de partis pris. Leurs travaux sont ponctués d'avis personnels, d'hypothèses justifiées, appuyées sur de nombreux précédents historiographiques et parviennent à rester dans la « sobriété », ne faisant appel au romanesque que pour articuler le propos. D'autres recherchent à exalter la psychologie des personnages en faisant de leur imagination et de leurs connaissances acquises par les lectures érudites un propos prenant en considération les pensées de leurs personnages. Ainsi, Lidia Storoni Mazzolani fait parfois appel aux pensées de Tibère pour dicter les événements : on pensera à la fin de son ouvrage, lorsque le prince mourant pense à sa succession.

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D'autres historiens vont jusqu'à faire parler leurs personnages, inventant des dialogues fictifs qui leur semblent crédibles et redonnent une nouvelle vie aux personnages disparus. Tibère ou la mélancolie d'être, le roman de Roger Caratini, est essentiellement écrit selon ce principe. Les propos peuvent parfois porter à sourire par leur grandiloquence, mais force est de constater qu'ils permettent au lecteur de s'immerger dans l'action. Citons notamment l'immersion dans les mutineries de l'an 14. Le lecteur sera t-il plus intéressé par un récit « universitaire » des événements, ou par la harangue des révoltés devant leur général ? :

- Si tu n'as pas le pouvoir d'augmenter nos soldes, ni de soulager nos fatigues, ni, en bref, de nous faire du bien, qu'es-tu venu faire ici, Drusus ?

- Tu parles comme un vulgaire comptable, qui se retranche derrière son maître pour ne pas payer ses dettes ! - Par Hercule, ces gens-là n'ont de pouvoir que pour ordonner qu'on nous fouette ou qu'on nous tue, mais ils se

moquent bien de notre vie !

- Quand Auguste était en vie, Tibère se retranchait déjà derrière son nom pour éluder nos requêtes, et maintenant c'est Drusus qui fait de même en invoquant le nom de son père !

- Quand la République cessera-t-elle de nous envoyer des gamins sous tutelle pour faire semblant de négocier

avec nous !

- Comme c'est curieux : l'imperator Tibère ne renvoie au Sénat que les questions concernant la seule chose qui nous intéresse, à savoir l'armée ! Mais pourquoi donc le Sénat n'est-il pas consulté, quand Tibère ordonne des batailles ou condamne un soldat au supplice ? Serait-ce que seules les récompenses dépendent des maîtres et que les châtiments n'ont pas d'arbitre ?903

Mais, dans ce cas précis, les dialogues ne font office que de citations appuyant le propos de l'auteur et l'ouvrage est majoritairement une étude historique, reposant sur de nombreuses sources et destinée à un public « novice », aux connaissances historiques limitées. Il s'agit, en clair, d'une vulgarisation scientifique de l'Histoire, volontairement simpliste. De fait, il est possible d'intéresser les « néophytes » par l'intermédiaire de la fiction : peu leur importe que l'auteur ne soit pas une référence reconnue par les plus grands érudits en la matière, il leur plaira d'être divertis et d'avoir appris de nouvelles choses. Libre à eux ensuite de parfaire leurs connaissances par la lecture d'études de niveau plus « ardu ». Alors l'Histoire et la fiction deviennent indissociables, mêlant la réalité et la légende, interprétant les personnages de manières, non seulement différentes, mais parfois opposées en tous points. Toute oeuvre est historique, à sa manière, car elle représente la pensée d'une époque par l'intermédiaire de la réputation accordée aux figures du passé.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway