III - Ressentiment, une revanche sur la vie
a. Le pouvoir de la peur
Nous l'avons vu en de nombreuses occasions dans ce
mémoire, Tibère a vécu des situations de peur tout au long
de sa vie, une terreur qui influence le déroulement de son règne.
Le prince des Mémoires de Tibère est ainsi dominé
par la crainte, et observe son effet chez les autres avant lui-même. Les
sénateurs, de peur du prince, vendent leur dignité. Les
arrivistes se cachent des délateurs. Auguste même avait
succombé à la peur en apprenant que sa fille fréquentait
des conspirateurs : c'est la raison pour laquelle il la fit exiler.
Pareillement, c'est sa crainte pour l'avenir qui l'a poussé à
tuer son petit-fils Postumus. Et Tibère se sentit lui aussi atteint par
ce mal quand Agrippine le dépréciait auprès de son peuple,
le nommant ennemi de sa famille et attisant la haine des
Romains873.
L'esprit méfiant de Tibère n'est pas un
fait nouveau à l'époque des événements cités
par Allan Massie. Toute sa vie, il avait vécu dans
l'anxiété et la névrose obsessionnelle, et les
événements ne font que renforcer ces précédents
pour les transformer en une paranoïa profonde, dont Séjan use
contre lui874. Et de la psychologie déjà fragile de ce
prince, dont l'attitude est déterminée par les
événements, naît la peur des complots qui l'amène
à fuir Rome pour Capri et à se montrer plus apte à la
violence si elle lui semble nécessaire875. La souffrance
d'autrui ne lui est pas un plaisir, mais une nécessité
désespérée contre ceux qui pourrait lui
nuire876.
Par cette paranoïa, Tibère se condamne aux
yeux de la postérité. Les dernières années sont les
plus douloureuses, en témoigne Charles Beulé, parlant d'un
supplice moral où il envia Séjan mort d'avoir pu
disparaître si vite d'un monde où tous le détestaient et
pouvaient venir le tuer877. Plus personne ne
872. Zeller 1863, p. 41
873. Massie 1998, p. 194-195
874. Caratini 2002, p. 146
875. Storoni Mazzolani 1986, p. 278
876. Grimal 1992, p. 103
877. Beulé 1868, p. 144
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pouvait approcher le prince, qui craignait jusqu'au plus
inoffensif visiteur. Le récit même de
Suétone montre l'évolution de cette peur
auto-destructrice. Les chapitres LXIII à LXVII font état de
l'évolution de sa personnalité après une vie de criminel
(XLI-LXII) : le LXIII concerne sa peur de la haute société
romaine, le LXIV de sa famille et le LXV de Séjan. Dans le chapitre
LXVI, les injures viennent de tous coins de l'empire et, dans le LXVII,
Tibère est un homme fini qui s'est condamné à l'infamie
par son combat contre la peur, qu'il a lui même engendré par ses
crimes. A la peur s'est mêlé le ressentiment.
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