c. La condamnation
Vient le jour où Auguste apprend l'inconduite
de sa fille. Il la fait alors exiler dans une île lointaine, sans espoir
de retour. Mais ce qui était officiellement la condamnation de moeurs
perverses et officieusement de trahison envers son père fut aussi
interprété comme une trahison envers son mari. Roger Caratini
s'en explique : en formant à l'aide de ses amants un parti excluant
Tibère de la succession, elle cherchait à promouvoir ses fils
illégalement et allait à l'encontre des pouvoirs
déjà accordés à son mari. Auguste n'aurait ainsi
pas condamné l'outrage aux moeurs, mais le complot envers
l'héritier qu'il avait choisi - héritier qui était alors
démissionnaire et exilé761.
Tibère aurait écrit à Auguste
pour lui demander d'être indulgent envers Julie. Le geste semble curieux
pour qui l'aurait détesté et fui pour se réfugier dans une
île. Ainsi trois hypothèses ont été avancées
par les historiens modernes. Premièrement, Tibère aurait eu
pitié du malheur de Julie, quelles que soient ses fautes et, sans s'en
émouvoir, aurait cherché à raisonner le père pour
qu'il revienne sur sa décision762. La seconde
hypothèse serait en lien avec l'hypocrisie dont était taxé
Tibère, à savoir qu'il cherchait à gagner les faveurs de
l'empereur en se montrant à la fois compatissant à sa peine de
père et apte au pardon envers celle qui l'avait
blessé763. La dernière possibilité serait une
compassion intéressée, la condamnation signifiant le divorce et,
ainsi, le condamnait lui-même à quitter la famille
impériale. Il avait alors tout intérêt à rester en
lien avec Julie s'il voulait succéder un jour à
Auguste764.
L'exil de Julie ne fut jamais rompu, et elle mourut
sur l'île. Les conditions d'emprisonnement, si elle n'était pas
à proprement dire enchaînée, devaient lui être
pénible moralement, ce qui inspire le propos du troisième acte de
la tragédie de Francis Adams - nous y reviendrons ultérieurement.
Mais si l'on comprend le refus d'Auguste de la laisser reparaître
à Rome, on note également qu'elle lui a survécu pendant
quelques mois. Ainsi, Tibère n'avait aucune raison de la maintenir en
exil, et cet abandon a semblé cruel. Roger Caratini présente le
prince se réjouissant de voir emprisonnée la
761. Caratini 2002, p. 97-98 : On peut contrarier
le propos en se demandant pourquoi Auguste aurait favorisé
l'exilé, qui était alors privé de la plupart de ses droits
à la succession, et sanctionné la promotion des Princes de la
Jeunesse, qu'il favorisait depuis des années.
762. Ibid., p. 97
763. Beulé 1868, p.
135-136
764. Villemain 1849, p. 64-65
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femme qui l'a humilié par ses tromperies, de la
voir torturée par la nouvelle de la mort de son dernier fils, et mourir
d'épuisement, oubliée de Rome765. Le propos est
identique chez Laurentie,
mais le ton est plus accusateur : Tibère
avait nourri longtemps son ressentiment. Les dédains de Julia avaient
été la cause secrète de sa retraite à Rhodes ;
devenu maître de l'empire, et après le meurtre de Posthumus
Agrippa, il se souvint de sa femme exilée, qui depuis près de
vingt ans vivait dans la détresse et dans la honte, et il la fit mourir,
par la lente agonie de la faim, pensant, dit Tacite, qu'après la
longueur de l'exil cette mort serait
inaperçue.766
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