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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Un couple mal assorti

Le mariage de Tibère et Julie ne témoigne pas de liens forts entre époux. En fait, ils étaient trop différents pour s'apprécier. D'un côté, le mari était sombre, austère et moraliste, de l'autre sa femme s'écartait du droit chemin, avait connu trois époux et semblait vouloir vivre sa vie loin des contraintes imposées par son père. Ainsi, le mariage est catastrophique747. Lidia Storoni Mazzolani

742. Levick 1999, p. 18

743. Siliato 2007, p. 102-103

744. Kornemann 1962, p. 10

745. Lyasse 2011, p. 65

746. Franceschini 2000, p. 101

747. Kornemann 1962, p. 23

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prend ainsi le parti de Tibère, dépréciant cette union sans espoirs : La séparation d'avec son épouse, écrit Suétone, lui cause une peine immense ; les réactions de la jeune femme n'ont pas été enregistrées : elle ne comptaient pas. Pour un homme aux principes sévères comme lui, convaincu qu'une femme qui se respecte ne doit avoir connu qu'un seul mari (univira, comme il écrit dans les inscriptions funéraires), se lier à une femme deux fois veuve comme l'était Julie, une intellectuelle sans préjugés et ambitieuse devait être une grande mortification ; il semble - toujours selon Suétone - que dans le passé Julie se fût offerte à lui sans aucune pudeur748.

C'est un reproche souvent intenté contre Julie : elle n'était pas fidèle à son mari et entretenait de nombreuses liaisons. Le propos est probablement du à une propagande contre sa personne et fut amplifié pour la faire paraître plus coupable - on le retrouve pour bien des femmes dans l'Histoire, notamment pour déprécier Messaline ou Marie-Antoinette. Mais il est souvent utilisé pour condamner son attitude et réhabiliter sa première victime : le mari trompé. Ainsi apparaît-elle aux yeux du peuple chez Roger Caratini, les badauds mettant son attitude sur le compte de l'hérédité de sa « putain de mère749», ou dans l'esprit de la Vipsania des Dames du Palatin, accusant Julie de séduire son mari alors qu'il est ivre750.

Ses manières lui sont reprochées par les critiques, tel Laurentie. Celui-ci dénonce les moeurs infâmes de Rome à cette époque, prenant Julie comme exemple de mauvaise conduite - un héritage de son père Auguste qui souillait sa vie par l'adultère alors même qu'il affichait de contrôler les moeurs d'autrui751. Parlant ironiquement de la sainteté des mariages, il revient sur la vie « souillée de vices » de la jeune femme752. Pour condamner encore plus sa mémoire, on va jusqu'à lui attribuer des goûts malsains. Ainsi Maranon fait de Julie une amatrice de nains et de monstruosités face auxquelles elle pourrait briller, mais aussi narguer son père qui était notoirement dégoûté par la difformité753.

Tibère semblait conscient de la nature de sa nouvelle femme et du fait qu'elle le trompait. Pour Maranon, elle était déjà aussi dévergondée du temps d'Agrippa, ridiculisant sa « chevelure grise ». S'il ne disait rien, il devait en être plein de ressentiment754. Cette honte apparaît dans la pièce d'Adams, quand Tibère affiche son refus de se marier avec cette dévergondée :

Tibère

Arrêtez, arrêtez, vous me tuez, sire !

748. Storoni Mazzolani 1986, p. 61

749. Caratini 2002, p. 48

750. Franceschini 2000, p. 205

751. Laurentie 1862 I, p. 242

752. Ibid., p. 252

753. Maranon 1956, p. 59-60

754. Ibid., p. 48-49

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Auguste
Je ne peux croire que ce soit Tibère
Qui chancelle et balbutie
Tibère
Non, je ne peux pas le faire !
Elle, Julie, Julie, elle ? Non, jamais, jamais !
Sire, laissez-moi parler. Je ne pourrai supporter la honte
D'être la risée de Rome.755

C'est à cause de la honte que lui apportait Julie que Tibère, selon certains, se serait enfui de Rome. Par sa conduite honteuse, elle l'a à jamais dégoûté des femmes et l'a poussé à ne plus jamais se remarier756. Mais, pour d'autres, Tibère n'avait rien vu venir et n'aurait compris qu'il était trompé que lorsqu'il appris la condamnation de Julie alors qu'il était lui-même parti pour Rhodes depuis des

années. C'est notamment le postulat de John Tarver : Le meilleur des hommes, le plus bon, le plus juste, et le plus sincère est celui commettant le plus de fautes dans ses rapports avec un certain type de femme. Plus d'une femme qui apporte la disgrâce sur sa famille et sur elle-même aurait pu être défendue si son mari, son père ou son frère avait été moins bon, moins aveugle, moins juste, mais juste plus compréhensif, elle n'aurait pas été trahie dans sa conduite désastreuse. Bien souvent, cette question est posée, « tu aurais du voir ce qui se passait ; pourquoi ne m'as tu pas arrêtée ? » et souvent la réponse est, « j'admets que j'aurai du le voir, peut-être l'ai je vu, mais je ne pouvais te croire

capable de faire ce que les apparences me disaient que tu faisais757. »

Les rapports entre Tibère et Julie restent de l'ordre de la supposition. Si le départ pour Rhodes, l'adultère et les différences de caractère semblent témoigner d'une mésentente, il est possible qu'ils aient pu surmonter leurs différends quelques temps. Ainsi, Allan Massie rend Julie amoureuse de Tibère, ce dès leur enfance, une attirance accentuée par son incapacité de l'avoir pour elle seule758. Mais, en règle générale, on présente les époux comme témoignant d'une haine mutuelle : Tibère ne supporte pas l'inconduite de Julie, tandis qu'elle s'ennuie de ce moraliste759. Francis Adams présente

755. Adams 1894, p. 46 :

Tiberius.

Stop, stop, you kill me, sire !

Augustus.

I cannot think this is Tiberius here

That reels and stammers.

Tiberius.

No, I cannot do it!

She, Julia, Julia, she ? No, never, never ! . . .

Sire, let me speak. I could not shame myself

To be the scoff of Rome.

756. Massie 1983, p. 95

757. Tarver 1902, p. 188

758. Massie 1983, p. 95

759. Martin 2007, p. 141

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ce désamour dans sa tragédie, les deux personnages se plaignant auprès du prince. Pour Tibère, Julie est impudique, pour Julie, Tibère est sale :

Tibère.
Ce que cela signifie, monsieur, est clair. Je vous demande de partir
De Rome. Ici, on m'appelle l'épouvantail.
Dont même les bordels se moquent. C'en est trop.
Jamais plus nous ne vivrons sous le même toit.
Ma plainte ne vient pas de ce seul tort
Le mélange de ma honte et de l'infamie
Des Jules, les anciens juges
De bien des débauchés, mais elle,
Ma femme, a sali chaque lieu public,
Imitant les impudiques égyptiens
Sous les yeux des sales esclaves
Auguste.
Julie, est-ce vrai ?
Julie.
Père, cet homme
Est un mufle et mange des poireaux. Phoebé, mon esclave
N'arrive jamais à assez aérer la pièce en son absence
Je dois toujours laisser la fenêtre ouverte
Quand il s'assoit près de moi. Il dort dans ses vêtements760.

Faisons état d'une occurrence curieuse, celle du film La Tunique. Dans celui-ci, Tibère est un vieillard âgé, retiré à Capri. Il est encore marié à Julie, une union qui dure depuis quarante ans et qui

760. Adams 1894, p. 73 :

Tiberius.

It's meaning, sire, is clear. I ask your leave

For quitting Rome. My name here is the scarecrow

The very brothels jeer at. It is too much ?

Never again one roof for her and me.

My plaint is not alone for common wrongs,

The mixture of my shame with the infamy

Of such as Julius, the ancient master-usher

Of a hundred rank debauches, but that she,

My wife, has fouled the very public places,

Revelling a mimic Egyptian wanton there

Before the greasy leers of the gutter slaves.

Augustus.

Julia, is this true ?

Julia.

Father, that man

Is a tailor, and eats leeks. Phcebe, my woman,

Can never scent the room enough when he's gone

I have to keep the windows open wide

When he sits by me. He sleeps in his clothes.

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n'est pas allée en s'améliorant : la grosse femme, portant une couronne, ne lui inspire que de la haine.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon