II - Julie, l'épouse indésirable
a. L'objet politique
Le mariage de Tibère avec Julie reposait sur
des motifs politiques. Si cela était déjà le cas pour
l'union avec Vipsania, cette fois, la promotion sociale profite plus au mari
qu'à la femme. Si Tibère a mal vécu cette période,
on ne peut nier qu'elle favorisait sa position : en devenant le mari de la
fille du prince, il en devenait l'héritier à titre
précaire - le temps que les petits-enfants d'Auguste prennent la toge
virile et gagnent de l'expérience. Ainsi les détracteurs de
Tibère refusent de plaindre celui qui profitait de la situation et
servait son ambition dans ce mariage honteux. Pour Lenain de Tillemont, «
jamais homme ne sceut mieux vaincre toutes les passions par la passion de
son interêt740», et pour Rolland, «
l'ambition néanmoins l'emporta sur tout autre sentiment. Il
répudia une femme chérie, pour en prendre une, qui n'étoit
digne que de son mépris et de sa haine, mais qui lui frayoit le chemin
à l'Empire.741»
Mais si la position de fille d'Auguste offrait des
privilèges à Julie par rapport aux femmes de moindre naissance,
elle la condamnait à être un objet politique, un moyen de signer
des alliances dans une monarchie héréditaire où le prince
n'avait pas d'héritier mâle. Faute de fils, Auguste devait passer
par le mariage de sa fille pour trouver un successeur légitime. Et
à la mort d'Agrippa, quand bien même il avait deux petits-enfants
de son sang, il se devait d'avoir un membre de la famille proche pour soutenir
son action. Ainsi Julie fut sacrifiée à la raison d'État.
Barbara Levick l'affirme au moyen d'une législation d'époque : il
fallait un certain temps de veuvage avant qu'une femme puisse se marier
à nouveau et, dans le cas de Julie, le mariage fut contracté au
plus tôt - juste le temps d'honorer la loi et d'éviter toute
confusion quand à la paternité de l'enfant posthume
740. Lenain de Tillemont 1732, p.
23
741. Rolland 2014, p. 118-119
215
d'Agrippa742. Et si l'on s'intéresse
souvent plus à Tibère qu'à son épouse dans cette
union, il est probable que Julie n'était pas plus heureuse de ce
mariage. Ainsi Maria Siliato la présente dans une grande colère,
s'opposant pour la première fois à son père en criant
qu'on se servait d'elle sans lui demander son accord et qu'on la liait à
un odieux personnage, le fils de son haïssable belle-mère.
D'ailleurs, elle pense que son père ne l'a jamais aimée, en
témoignait le manque de tact dont il fit preuve à l'égard
de sa mère Scribonie, ne considérant Julie que comme le fruit
d'une union politique sans passion743.
Le propos est basé sur un
précédent historique attesté. En effet, Auguste
s'était marié à Scribonie pour le poids politique que
possédait sa famille (elle était liée à
Pompée). Dès lors que Sextus devint son ennemi et que sa
situation personnelle était assez aisée pour se passer d'elle, il
la répudia sans ménagements, attendant juste qu'elle donne
naissance à Julie744. Sa fille devait alors jouer le
même rôle : être une attache entre les familles, un ventre
pour accueillir les héritiers, rien de plus. Quand elle fut
exilée pour mauvaise conduite - conduite qui découle quelque part
de son rôle - ce n'est pas tant une question morale qu'une question
politique. Non seulement elle a pris pour amant le fils d'Antoine, un rival
dangereux à la nouvelle génération (il fut le seul
exécuté, démontrant qu'Auguste sanctionnait le danger
politique et non l'inconduite morale), mais elle est devenue inutile :
désormais, Lucius et Caius sont les fils adoptifs du prince, elle n'est
plus qu'un objet de scandale dont l'on peut disposer745. La Julie
des Dames du Palatin est consciente de son rôle ingrat et cache
difficilement sa colère à la naissance de Caius :
Julie ferma les yeux, pour ne pas trahir son
agacement. Ce n'était pas à son fils que s'adressaient ces
effusions, mais à l'héritier. Auguste se souciait aussi peu de
l'enfant que de la mère ; il ne lui avait demandé ni comment elle
se sentait ni quels soins lui étaient donnés. Peu importait
aux hommes que les femmes dussent appliquer sur leurs ulcérations
de puantes compresses de fiente de chèvre ! A eux l'agrément,
à elles la peine !746
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