d. Une blessure indélébile
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Cette séparation a, semble-t-il, laissé une
blessure indélébile en Tibère. Un jour, il aperçut
Vipsania
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dans les rues de Rome et l'on remarqua son
émotion735. Auguste fit donc en sorte qu'une telle rencontre
ne se renouvelle pas. Pour Charles Beulé, toutefois, il s'agissait d'une
réaction sensuelle,
non d'une marque d'amour : ce ne sont point des
larmes qui jaillissent des yeux de Tibère à la vue de la compagne
de sa jeunesse; il n'éprouve ni douleur ni regret; ses yeux s'enflent,
Se tendent, s'enflamment. Les sens parlent donc seuls ; c'est le cheval qui
hennit devant une belle cavale.736
Malgré le temps qui passe, Tibère n'a
jamais pu oublier Vipsania. Dans Poison et Volupté, alors que
le récit commence plusieurs décennies après leur divorce,
le personnage apparaît encore dans les conversations. Ainsi, Antonia se
refuse de prononcer le nom de Vipsania en présence du prince, tant elle
sait que la blessure lui est douloureuse737. Drusus ne pardonne
jamais à son père de les avoir abandonné à ses
ambitions : il avait alors cinq ans et n'a plus vu son père pendant des
années, celui-ci se refusant même à lui écrire de
Rhodes. Tibère, qui reprochait quelques instants plus tôt à
son fils de passer trop de temps avec les gladiateurs comprend qu'ils lui sont
des pères de substitution et exprime son regret738. Enfin,
quand Livie lit les lettres d'Auguste, dépréciant Tibère,
il reste impassible devant les critiques et les insultes mais ne peut
qu'accuser le coup lorsque Livie lui lit :
Ce pauvre Tibère déteste tout le monde.
Il est l'ennemi du genre humain. » Et encore ceci : « Dans le drame
que nous inflige l'impudicité de Julie, Tibère porte une
écrasante responsabilité. Sans sa passion pour la sotte Vipsania
qui se moquait d'ailleurs de lui, il aurait pu s'attacher à ma famille
ou, du moins, mieux la surveiller.739
Dans la série Moi Claude, empereur, il
déteste Julie, qu'il a été forcé d'épouser,
et regrette Vipsania. Il va la voir, bien qu'elle lui demande de s'en aller.
Tibère menace de la tuer pour ne pas la perdre quand il apprend qu'elle
va se remarier et pleure sur ses genoux en proposant de se trancher ensemble
les veines afin de ne plus être séparés. Auguste est
furieux en apprenant la rencontre, sermonnant Tibère qui, selon lui, a
déshonoré sa fille. Il le menace alors : il a mâté
Marc Antoine par le passé, quand il avait abandonné sa soeur
Octavie, et celui-ci était deux fois plus fort que Tibère.
L'accusé reste silencieux, craignant cette colère, ne prenant la
parole que pour menacer de quitter Rome. Auguste finit par l'encourager
à aller voir des putains, mais en aucun cas Vipsania.
Julie se moque de sa rivale en présence d'Antonia,
la qualifiant de squelette, de haricot et plaisantant de sa maigreur en disant
que Tibère devait longtemps la chercher dans le lit. Elle sous-entend
aussi qu'il est impuissant et qu'il aimait sans doute voir sa femme de dos,
propos qu'elle se refuse de développer, malgré l'insistance
d'Antonia, sous-entendant que Vipsania avait le corps d'un
735. Suétone, Tibère,
VII.
736. Beulé 1868, p. 100
737. Franceschini 2001, p. 29
738. Ibid., p. 81
739. Ibid., p. 51
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jeune homme. Plus tard, Julie tente de séduire
Tibère qui, de rage, la repousse en la nommant « grosse vache
saoule ». Il menace de la frapper quand elle commence à l'accuser
d'homosexualité (Tibère a des goûts
spéciaux) et qu'elle révèle avoir couché avec
un esclave, mais il retient son geste. Mais, quand elle insulte Vipsania, il ne
peut se retenir de la frapper avec toute sa force. Ce personnage, au contraire
de la première épouse de Tibère, est souvent
décrié. C'est le propos que nous allons désormais
détailler.
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