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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Les réformes de Tibère

Les Modernes sont revenus sur le règne de Tibère pour en extraire des éléments le montrant comme un précurseur du socialisme, alors porté par les thèses marxistes à l'époque de la rédaction des études. Ainsi rapporte t-on souvent l'histoire de Tibère sermonnant le préfet d'Égypte qui lui rapporte plus d'impôts qu'il avait été fixé, lui reprochant d'écorcher ses brebis au lieu de les tondre696. Ce propos « digne sans doute d'une autre bouche » selon Linguet, prouverait à la lui seul qu'on juge Tibère avec trop de rigueur697. Heinrich Von Schoeler va jusqu'à faire de son personnage un précurseur du marxisme, vantant le prolétariat « tendant ses forces à l'extrême pour tenir sa place au soleil » et auquel appartient l'avenir s'il se rend un jour compte de sa puissance698.

Nous avons préalablement fait état de son aide lors de l'effondrement de l'amphithéâtre de Fidènes. Cette occurrence ne fut pas la seule, et l'on recense d'autres occasions où Tibère se montra attentif aux besoin du peuple, notamment lors d'un incendie sur l'Aventin, dans Rome même699. Force est tout de même de constater que le prince s'est politiquement plus soucié des provinces que de la capitale elle-même. La postérité lui en a tenu rigueur, car c'est l'élite romaine, essentiellement basée à Rome, qui l'a dépeint dans les textes pour ce qu'il était à leurs yeux : un « lâcheur ». Toutefois, ce sacrifice se fait au profit des peuples « assujettis » de l'Empire, qui se trouvent dans une condition de prospérité alors inégalée et inégalable pendant plusieurs siècles. Ce qu'il économise en superflu, notamment dans le domaine du divertissement (limitant le nombre de gladiateurs, réduisant la paie des acteurs,...), il le réinvestit dans le soin aux classes populaires, ce qu'il estime être le nécessaire de sa fonction700. Pour l'historien moderne, il est déplorable d'avoir obscurci la félicité des provinces, qui s'observe par les sources archéologiques, par les témoignages enragés venus de Rome, dénonçant un mépris aristocratique qui était en réalité un souci d'égalité sociale (si l'on peut se permettre un tel propos anachronique)701.

Revenons un instant sur ces témoignages : ils sont l'oeuvre de la haute société persécutée sous son

695. Tarver 1902, p. 429-430

696. Scarre 2011, p. 34

697. Linguet 1777, p. 165

698. Schoeler H., Tiberius auf Capri, Leipzig : Verlagsbuchhandlung, 1908, p. 223-224, in. David-de Palacio 2006, p. 120-121

699. Tarver 1902, p. 422

700. Zeller 1863, p. 43

701. Massie 1983, p. 107

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règne, du moins le croit-elle. Mais si, comme l'affirme Roger Vailland, « la tyrannie, comme l'amour, laisse rarement au pur hasard de lui désigner des objets » - dans le sens où le despote frappe ses rivaux, à commencer par sa famille - tout individu ne s'élevant pas à sa condition, ou ne s'élevait pas « au-dessus du commun » lui était inoffensive. Et rien n'indique que le peuple silencieux aux yeux de l'Histoire ait souffert du règne des Césars, qui plus est d'un tel prince attentif à ses besoins702.

L'historien moderne reviendra aussi sur l'étude économique du règne de Tibère. A la lecture de Suétone, Tibère passe pour avare : « Parcimonieux et avare, il ne donne jamais de traitement aux compagnons de ses voyages ou de ses expéditions, mais se contenta de subvenir à leur entretien ; une fois seulement il leur fit une libéralité, aux frais de son beau-père (...) les appelant non des amis, mais des Grecs703 » (Yves Roman nous explique que les Grecs étaient préjugés roublards et menteurs, tout comme devait l'être les amis envieux et le Tibère que se représentait l'auteur704). Pourtant, ce qui passe pour de l'avarice peut-être réinvesti comme un argument réhabilitant Tibère : cela serait de la prudence et de l'économie. Ainsi peut-être interprétée sa vie de tous les jours. Gregorio Maranon nous rapporte l'anecdote des tables de bois : le prince, pourtant riche, mangeait sur une table en bois ordinaire, tandis que d'autres personnages illustres et financièrement moins aisés - tels Asinius Gallus ou Cicéron - vantaient d'avoir payé un million de sesterce pour les leurs, taillées dans des bois précieux705. Même souci dans ses repas de restes : pourquoi faire des repas somptueux si l'on laisse des vivres destinés à être jetées ? Le bilan économique de son règne est sans appel : il laisse 2,7 milliards de sesterces en héritage... une somme que Caligula aura dilapidé en quelques mois.

Enfin, on loue sa prudence militaire. Fidèle à la politique voulue par Auguste, il consolida les frontières sans prétendre à les étendre. Ernest Kornemann estime qu'après le premier prince de Rome, seuls deux hommes d'État ont su suivre ses directives et agir pour le bien de l'Empire : Tibère et Sénèque - et, dans une moindre mesure, Domitien et Trajan706. Et malgré les mutineries de 14, qu'il pense dues à la crise politique plus qu'à une haine personnelle, Edward Beesly fait de Tibère un militaire exceptionnel et loué par ses troupes. De son oeil de moderne, il le compare à Wellington, invaincu et aussi apprécié des soldats, se souciant moins de ce que l'on dirait de ses

702. Vailland 1967, p. 203-204

703. Suétone, Tibère, XLVI.

704. Roman 2001, p. 53

705. Maranon 1956, p. 178

706. Kornemann 1962, p. 218-219

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directives que de l'approbation morale de sa propre conscience707. Ce propos apparaît dans un

paragraphe antérieur, où l'auteur fait parler les soldats admiratifs : A Rome, il est fort probable qu'il n'était pas populaire, là où sa froideur et sa moralité austère étaient une perpétuelle protestation contre la frivolité et la dissipation. Mais ses soldats le comprenaient mieux. Probablement, comme Guillaume III, était-il meilleur au camp qu'à la ville. La réception que lui fit son armée sur le Rhin, à son retour après dix ans d'absence, telle que la décrit un témoin oculaire, nous rappelle le retour de Napoléon sur l'Elbe, ou l'arrivée de Nelson dans la flotte britannique à Trafalgar. Le vétérans criaient de joie. Ils se pressaient autour de lui pour lui serrer la main. « Est-ce que nos yeux vous voient à nouveau, mon général ? », « J'ai servi sous vos ordres en Arménie, général. », « Vous rappelez vous de moi, dans le Tyrol ? », « Vous m'avez décoré lors de la campagne en Bavière, mon général », ou « en Hongrie » ou « en Germanie ».708

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo