III - Un échec à relativiser
a. La base du principat
688. Massie 1998, p. 170-171
689. Ibid., p 169
690. Arnault 1828, p. 39-40
691. Kornemann 1962, p. 222
692. Voir ANNEXE 5
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On ne peut décemment pas faire du règne de
Tibère un échec total. Au milieu des vices de cruauté qui
lui furent attribuées, de son incapacité à restaurer la
République de ses ancêtres et de la servilité du peuple
qu'il aurait inconsciemment encouragé, on trouve des points positifs
dans les actes de son règne. Ce que la postérité a
présenté comme un règne entièrement négatif
serait, en réalité, une transition difficile entre un principat
non défini légalement et un système politique nouveau qui
s'est perpétré pendant cinq siècles malgré de
nombreuses embûches, un échec relatif.
Si l'on fait du principat une solution pour redresser
Rome, incapable de maintenir son empire avec sa République vacillante,
on peut considérer l'action de Tibère comme un bon point de son
règne. Auguste, en devenant le prince, n'agissait qu'à la suite
d'événements particuliers, notamment de la guerre civile, et
n'avait pas légalement détruit la république ni
édifié l'empire. La tâche de l'affirmer revint à son
successeur, qui dut définir la légitimité de ce
régime pour en assurer la continuité. En proclamant l'empire,
Tibère a du sacrifier sa popularité, en résolvant une
« énigme » qu'Auguste avait maintenue
volontairement693.
Et si Tibère avait été aussi mauvais
qu'on le prétend, l'empire n'aurait pas pu lui survivre. Non seulement
le principat fut consolidé, mais il s'étendit sur plusieurs
siècles. Chargé d'une mission difficile, pour laquelle il n'aura
pas été ménagé par la postérité, il a
pu l'accomplir avec brio694. Cette victoire, en dépit des
obstacles dressés contre lui, fait office de conclusion à
l'ouvrage de John
Tarver, qui pourtant s'intitule Tiberius the tyrant
! : Même si l'on admettait les anecdotes sensationnelles qui se
sont accumulées autour de la retraite de Tibère à Capri,
il faudrait encore tenir compte de soixante-huit années d'une vie
exempte de tout vice et de tout crime, et consacrée surtout à
l'accomplissement laborieux des plus grands devoirs de la vie publique. Comme
général, comme homme d'état, Tibère se place, sinon
au premier rang, du moins à la première place du second, et son
mérite est d'autant plus grand que la vie publique lui
déplaisait, que le pouvoir n'avait pas d'attrait pour lui ; s'il
eût été libre de suivre ses inclinations, il aurait
vécu dans la retraite, occupé de littérature et de
science. Nous voyons en lui, en vérité, le plus beau type de
Romain, le meilleur exemple de ces qualités particulières par
lesquelles Rome s'éleva au rang de maîtresse du monde. Ce
n'était pas l'intelligence des Romains, ni leur tactique militaire qui
les rendaient aussi puissants, les Grecs était plus intelligents et
Hannibal était meilleur militaire que tout général romain,
c'était leur sens fort du devoir, leur dévotion à la
légalité, leur amour de l'ordre, leur ténacité dans
l'entreprise de grands projets, leur maîtrise de soi, leur honneur leur
ont permis de réussir là où les Grecs et les
Phéniciens avaient échoué avant eux, et où la Gaule
et les Teutons échouerait. Toutes ces qualités sont très
marquées chez Tibère : il est le sénateur romain
idéal, la réalisation de ce modèle légendaire qui
forme l'imagination des enfants romains. Il n'est pas Cicéron, le
brillant orateur, l'homme de lettres sympathique représentant le vrai
Romain, ni le pieux Caton, ni le génial César : il est tenace,
consciencieux, mais simplement Tibère, pas très enthousiaste, peu
brillant, dépourvu de motivation, horrible plus qu'aimable, mais assez
sage, assez tempéré et assez fort pour remplir
la
693. Zeller 1863, p. 36
694. Lyasse 2011, p. 222-223
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tâche qui lui était
confiée.695
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