Analyse critique de la crise de l'éducation scolaire chez Ivan Illich.par Emmanuel De Marie MUSA MBWISHA Institut Supérieur de Philosophie/KANSEBULA - Graduat en philosophie 2020 |
2.3.3. L'appariement des égaux et les éducateurs professionnelsUn organisme faciliterait les rencontres entre pairs. Ce serait un Véritable réseau de communication qui enregistrerait la liste des désirs en matière d'éducation de ceux qui s'adresseraient à lui pour trouver un compagnon de travail ou de recherche. L'école se contente souvent de rassembler des élèves dans une même salle et de les soumettre au même programme de cours. Parfois, elle essaie d'améliorer ce système en proposant des options. Mais toujours nous remarquons dans chaque discipline se constituer des groupes d'élèves de force à peu près égale. Un authentique système éducatif permettrait à chacun de choisir l'activité pour laquelle il rechercherait un partenaire de sa force : « Organiser des rencontres entre enfants dès leur plus jeune âge, pour qu'ils puissent se connaître mutuellement, se juger et apprendre à rechercher la compagnie d'autrui, voilà qui les préparerait à découvrir tout au long de leur existence des partenaires nouveaux, avec lesquels se lancer dans de nouvelles entreprises ».136(*) Déscolariser, c'est donc aussi abolir l'obligation que l'on vous fait de participer à une assemblée. C'est, en même temps, reconnaître le droit de quiconque, indépendamment de l'âge ou du sexe, de tenir une réunion.137(*) La possibilité libératrice de participer simultanément à la vie de plusieurs groupes d'égaux. Dans cette perspective, l'appariement des égaux pourrait conduire à l'apparition de nombreuses communautés qui existent dans une ville à l'état latent, mais sont, pour l'heure, étouffées.138(*) L'éducation est centrée aujourd'hui sur la marchandisation prônant le principe qu'il faut étudier pour avoir une place dans le marché : « Le danger de la pédagogie actuelle est de se prendre pour une fin, alors que le pédagogue se ravale au rang d'un annonceur publicitaire, soucieux uniquement de vendre sans s'intéresser le moins du monde à la qualité de ce qu'il vend. Il est vrai que trop de pédagogues s'évertuent à donner d'eux-mêmes l'image des hommes compétents pour vendre de l'orthographe, de l'arithmétique ou de la morale, mais se refusant farouchement à réfléchir sur ce qu'ils enseignent. Il y a là un mépris de la réflexion et de la culture qui est, finalement un mépris des élèves ».139(*) Déscolariser l'éducation devrait développer, au lieude l'étouffer, l'effort pour rechercher des êtres humains possédant une sagesse pratique,prêts à aider le nouveau venu au seuil de son aventure éducative. Que celui qui estparvenu à la maîtrise de son art renonce à se poser en modèle unique, en détenteur dessources du savoir, et l'on croira plus volontiers à sa sagesse.140(*) Les enseignants, qui représentent au sein de la fonction publique la fraction la plus importante, forment eux-mêmes, la plupart de temps : « un corps social statique, peu ouvert à l'innovation, cherchant à professionnaliser au maximum l'acte pédagogique afin de se le réserver et de devenir ainsi à jamais dispensables, alors que c'est d'eux que la société attend une impulsion et des initiatives capables de dépasser les impasses dans lesquelles l'école se débat ».141(*)La disparition du maître d'école fera éclore des vocations d'éducateurs indépendants. La présence de ces éducateurs indépendants serait même indispensable, car, ces réseaux ne fonctionneront pas sans un personnel compétent.142(*) L'école actuelle est un échec, car elle distille l'ennui et le dégoût pour l'étude, d'où la paresse. L'éducation ne sera donc pas livresque, mais axée sur l'observation et la pratique des arts, les méthodes seront adaptées au caractère de chacun. Cet enseignement ne reposera pas sur l'autorité et la contrainte, mais sur la confiance à l'égard du maître et le désir de faire aussi bien que les aînés. C'est le rôle éducatif des pairs143(*) Dans un monde déscolarisé, « les pédagogues pourraient tenter de faire ce qui est interdit aujourd'hui aux professeurs frustrés de toute décision et il serait du ressort de chaque étudiant de déterminer son propre itinéraire éducatif ».144(*) Toutefois, le disciple ne doit pas suivre le maître aveuglément et doit éviter de faux maîtres.145(*) L'enseignement prétend avoir en effet le monopole de l'éducation : « il veut être seul compétent pour instruire non seulement ses propres élèves, mais aussi ceux des autres professions. Déjà, cette prétention abusive le rend vulnérable face à n'importe quel corps de métier qui réclamerait le droit de former ses propres apprentis. La disparition de l'école pourrait conduire au triomphe du pédagogue, à qui l'on donnerait mandat d'agir en dehors de l'école sur la société tout entière ».146(*) * 136Ibid., 154. * 137Cf. Ibid., 156-157. * 138Cf. Ibid., 159. * 139 O. REBOUL, Op. Cit., 60-61. * 140Cf. I. ILLICH, Op. Cit., 161. * 141C. CIJIKA, Paulo Freire et la pédagogie de la conscientisation, 118. * 142Cf. I. ILLICH,Une société sans école, 161-162. * 143Cf. L.T. KHÔI, Marx Engels et l'éducation, Paris, Éditions PUF, 1991, 26. * 144 I. ILLICH,Op. Cit, 164. * 145Cf. Ibid., 167. * 146Ibid., 169-171. |
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