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Analyse critique de la crise de l'éducation scolaire chez Ivan Illich.


par Emmanuel De Marie MUSA MBWISHA
Institut Supérieur de Philosophie/KANSEBULA - Graduat en philosophie 2020
  

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2. 3.2. Les objets éducatifs et l'échange des connaissances

Les deux premiers réseaux éducatifs illichiens sont les objets éducatifs et l'échange des connaissances. Le premier service serait chargé de mettre à la disposition du public les objets éducatifs, i.e. les instruments, les machines, les appareils utilisés pour l'éducation formelle. Une certaine partie d'entre eux, conçue dans un but purement éducatif, serait présentée dans des bibliothèques, des laboratoires, des salles d'exposition (musées, salles de spectacle, par exemple) ; d'autres, utilisés dans les activités journalières, par exemple dans des usines, des aéroports, des fermes pourraient être accessibles aux personnes désirant les connaître, soit pendant une période d'apprentissage, soit en dehors des heures de fonctionnement normal. En matière d'enseignement, les objets matériels représentent une ressource fondamentale. Certes, selon le milieu où un homme se trouve placé et les rapports qu'il entretient avec son entourage, il est à même d'acquérir presque fortuitement un certain nombre de connaissances. Mais l'apprentissage formel passe d'abord par la possibilité de manipuler, d'utiliser les objets de la vie quotidienne, de même que par l'examen, l'étude de ceux qui sont conçus dans une perspective purement éducative.126(*)

Autrefois les rues étaient destinées avant tout à ceux qui les peuplaient. Puis les rues sont pensées. Elles reçoivent un tracé neuf et rectiligne et un aménagement approprié à la circulation des véhicules. Les écoles se multiplient dès lors pour accueillir les jeunes ainsi chassés des rues.127(*) Aujourd'hui, Constate Illich, nous nous contentons de voir les différences entre les enfants pauvres et les enfants riches. Ces derniers sont avantagés dans la mesure même où ils disposent plus, mais : « les êtres humains, qu'ils soient par ailleurs riches ou pauvres, sont de plus en plus tenus à l'écart de la nature réelle des objets conçus par notre société »128(*).

Les écoles imposent aux élèves de vivre dans un domaine artificiel, où les objets sont retirés du milieu quotidien dans lequel ils ont leur sens véritable :

« L'homme vit dans un milieu qu'il a lui-même conçu, et voilà que cet environnement artificiel lui devient aussi impénétrable que la nature l'est pour le primitif. En même temps, tout ce qui sert à l'éducation est du ressort de l'école. L'industrie monopolistique du savoir conditionne les objets éducatifs les plus simples, produit des outils spécifiques dont seul l'enseignant qualifié est censé savoir se servir »129(*).

Pour construire un monde où la vie quotidienne aurait vertu éducative, il nous faudrait réorganiser les usines et les bureaux de telle sorte qu'ils soient ouverts au public, que chacun puisse voir ce qui s'y fait, un grand pas vers l'éducation serait accompli.130(*)

Un service d'échange des connaissances tiendrait à jour une liste des personnes désireuses de faire profiter autrui de leurs compétences propres mentionnant les conditions dans lesquelles elles souhaiteraient le faire :

« L'homme qui souhaite communiquer à autrui un savoir particulier se distingueégalement des pairs. Ces derniers se définissent en effet comme des personnes qui, àpartir d'intérêts et d'aptitudes comparables, décident de poursuivre ensemble leurrecherche ; ou encore qui se réunissent pour s'exercer à la pratique d'un savoir partagé,que ce soit une activité sportive, artistique, ou la discussion des prochaines élections ».131(*)

L'enseignant qui détient le monopole de la transmission du savoir a, pour sa part, tout à gagner lorsque l'artisan craint de voir son apprenti devenir son concurrent. Les diplômes représentent un obstacle à la liberté de l'éducation, en faisant du droit de partager ses connaissances un privilège réservé aux employés des écoles. Le droit d'enseigner une compétence devrait être tout aussi reconnu que celui de la parole. Une fois cette restriction levée, l'étude en serait facilitée.132(*)

Au lieu de parquer la jeunesse dans un ghetto scolaire, il faut la mettre au travail dès que possible, et organiser en revanche pour tous les adultes des stages de perfectionnement et de recyclage. À ce niveau, l'enseignement répondra à une demande réelle et à une expérience vécue, la hiérarchie enseignant-enseigné fera place à une communauté où l'éducation sera échange et progrès.133(*) Comme le dit aussi Gaston Bachelard, « l'école continue tout le long d'une vie, une culture bloquée sur un temps scolaire est la négation même de la culture scientifique. Il n'y a de science que par une école permanente. C'est cette école que la science doit fonder, alors les intérêts sociaux seront définitivement inversés, la société sera faite pour l'école et non l'école pour la société ».134(*)

Illich veut institutionnaliser l'échange des compétences en créant des centres ouverts au public pour les connaissances indispensables à l'exercice de certaines professions : savoir lire, écrire à la machine, se servir de la comptabilité, parler une langue étrangère. Ainsi ce système aurait une solution plus révolutionnaire en créant une sorte de banque. Chaque citoyen recevrait un premier crédit lui permettant d'acquérir des connaissances de base. Ensuite, pour bénéficier de nouveaux crédits, il devrait lui-même enseigner, soit dans les centres organisés, soit chez lui, voire sur les terrains de jeux : « Une élite entièrement nouvelle apparaîtrait, constituée de ceux qui auraient gagné leur éducation en la partageant avec autrui ».135(*)

* 126 Cf. I. ILLICH,Une société sans école, 134.

* 127Cf. ID., Énergie et équité, Paris, Éditions du Seuil, 1973.

* 128 ID., Une société sans école, 135.

* 129Ibid., 136-137.

* 130 Cf. Ibid., 146.

* 131 I. ILLICH, Une société sans école, 148.

* 132 Cf. Ibid., 151.

* 133 Cf. O. REBOUL,Op. Cit., 87.

* 134G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, Paris, Éditions Vrin,32004, 301.

* 135I. ILLICH, Op. Cit., 151-152.

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