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Analyse critique de la crise de l'éducation scolaire chez Ivan Illich.


par Emmanuel De Marie MUSA MBWISHA
Institut Supérieur de Philosophie/KANSEBULA - Graduat en philosophie 2020
  

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2.3. La société déscolarisée et ses réseaux éducatifs

Que faut-il faire face à la crise de l'enseignement ? Illich propose la déscolarisation de la société qui aidera la communauté à se débarrasser des inégalités et méfaits engendrés par l'école que nous avons béatifiée en vache sacrée. Ce dernier point du deuxième chapitre donne les caractéristiques illichiennes de la société déscolarisée et analyse les quatre réseaux qu'Illich propose en remplacement du système scolaire actuel. Ce sont ces quatre organismes grâce auxquels celui qui veut s'éduquer pourra bénéficier des ressources qu'il juge nécessaires.

2.3.1. Les caractéristiques de la société déscolarisée

Illich pense que la solution véritable à la crise scolaire serait une totale et complète metanoïa, changer profondément et méthodiquement les structures scolaires, cela doit nous conduire tout simplement à la déscolarisation de la société en vue de trouver d'autres formes d'éducation qui permettront une liberté digne car, dit-il, « Un véritable système éducatif n'impose rien à celui qui s'instruit, mais lui permet d'avoir accès à ce dont il a besoin »117(*)

Ainsi pour lui, un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs : le premier est celui de donner accès aux ressources existantes à tous ceux qui veulent apprendre, et ce à n'importe quelle époque de leur existence. Le deuxième est celui d'offrir à ceux qui désirent partager leurs connaissances de rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Et le troisième serait de permettre aux porteurs d'idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l'opinion publique, de se faire entendre. Ainsi dans la société déscolarisée, il ne sera pas possible de soumettre ceux qui veulent apprendre à un programme obligatoire, la ségrégation fondée sur la possession de certificats ou de diplômes d'étude n'aura pas sa place. Les possibilités que nous donne la technologie seront de moyens efficaces pour s'exprimer, communiquer, rencontrer les autres. Ce sera donc la liberté universelle de parole, de réunion, d'information, qui a vertu éducative.118(*)

Ces propos illichiens sont soutenus par David Cooper qui pense que la société actuelle doit se débarrasser du discours de préjugés concernant l'éducation et, par conséquent, rayer de la carte des notions telles qu'examens, diplômes, divisions entre les enfants, division entre écoles primaires et secondaires, ségrégation effectuée en fonction de l'âge et du sexe, durée des études déterminées par des examens, thèses ou compositions qui sont des rites crétins de passage amenant le candidat de limbes absurdes à d'autres limbes auxquels il est censé croire. Il est facile de justifier la suppression de ces rites superficiels et fanatiques qui pervertissent les réalités de l'initiation dans le sens d'un endoctrinement simpliste et d'un conformisme qui abuse les gens au point de leur faire perdre toute faculté critique. Nous devons donner ici à l'éducation un sens très large, faute de quoi elle continuera d'avoir des effets assassins, ceux de la corde passée autour du cou de la victime étranglée.119(*)

Si l'éducation ne peut pas tout, elle peut seule s'attaquer à la racine de l'inégalité, qui est la différence d'instruction, l'école doit pratiquer l'égalité des chances i.e. la possibilité pour chacun de se développer et d'accéder à la situation pour laquelle il est apte. Un enseignement dont le but est de sélectionner et de former les plus doués n'est pas démocratique ; à la place de la sélection par la naissance et par l'argent, il met la sélection par le talent ; le rôle d'une école digne est avant tout celui d'élever les médiocres, la démocratie a moins besoin d'une élite éclairée que d'un peuple éclairé.120(*)

Un mouvement de libération parti de l'école qui se fonderait sur la conscience des maîtres et des élèves d'être en même temps exploiteurs et exploités pourrait annoncer les stratégies révolutionnaires de l'avenir, car le phénomène de la déscolarisation préparerait les jeunes à un nouveau style de révolution capable de venir à bout d'un système social qui fait de la santé, de la richesse, de la sécurité des obligations.121(*)Il faut instituer une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, en donnant le goût d'inventer et d'expérimenter. L'école, si elle existe, doit devenir le lieu de rupture avec le conformisme. Dans tous les cas, il faut supprimer son monopole et reconnaître tous les lieux d'accès au savoir. Illich insiste tellement sur l'idée de la déscolarisation de la société contemporaine qu'il le dit clairement en ces termes :

« La nature destructive de l'enseignement obligatoire ira jusqu'à sa logique ultime, à moins que nous ne commencions dès aujourd'hui de nous libérer de cette hybris pédagogique, de notre croyance que l'homme peut faire ce que Dieu ne fait pas : manipuler les autres pour les conduire au salut. La manipulation des hommes et des femmes commencée à l'école a atteint un point de non-retour. Or la plupart n'en prennent pas conscience »122(*)

voulant distinguer l'école publique et obligatoire de la skholè, Sylvain Rochex et Mathilde Anstet, membres actifs du Mouvement Citoyen pour la Déscolarisation de la société et la déscolarisation des cerveaux123(*)affirment que la skholè est gratuite, personne ne paye ou n'est payé, point d'agents d'une volonté extérieure mais des citoyens, libres, égaux et autonomes qui contribuent ensemble à l'apprendre. Nous voulons retrouver cette communalité et cette convivialité du partage des savoirs, en établissant une vraie skholè, basée sur l'égalité d'expression, et non séparée de la vie. Car, un savoir enfermé dans les sanctuaires scolaires ne sert à rien. Un savoir est vivant lorsqu'il est expérimenté, confronté au réel, testé, adapté, éprouvé sans cesse, en un aller-retour permanent entre réflexivité et expérimentation.124(*)

Il existe deux types de savoirs : Le premier naît des rapports entre les hommes à travers l'utilisation d'outils conviviaux. Le second n'est qu'un dressage intentionnel et programmé à l'emploi des outils créés par la société industrielle. Le savoir global d'une société s'épanouit quand, à la fois, se développent le savoir acquis spontanément et le savoir reçu d'un maître; alors rigueur et liberté se conjuguent harmonieusement. Tant que le savoir sera mis sur le marché des biens échangeables, l'homme subira le monopole radical industriel et ne pourra s'accomplir dans une société conviviale.125(*)

* 117 I. ILLICH, Une société sans école, 132.

* 118Cf. Ibid., 128.

* 119 Cf. D. COOPER, Mort de la famille, Paris, Éditions du Seuil, 1972, 66-67.

* 120 Cf. O. REBOUL, Op. Cit., 102.

* 121 Cf. I. ILLICH, Une société sans école, 87.

* 122Ibid., 89.

* 123 Ce mouvement français prône, à la suite d'Ivan Illich, une skholè libre, un espace-public égalitaire et la séparation de l'éducation et de l'État.

* 124 Cf. www.descolarisation.org, consulté le 15 mars 2020, à 17h12.

* 125 Cf. I. ILLICH, La convivialité, Paris, Éditions du Seuil, 1973, 88-89.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille