Analyse critique de la crise de l'éducation scolaire chez Ivan Illich.par Emmanuel De Marie MUSA MBWISHA Institut Supérieur de Philosophie/KANSEBULA - Graduat en philosophie 2020 |
2.2.3. L'école comme aliénation d'AfriqueL'école aliène le monde et d'une manière spéciale cette aliénation atteint son comble dans les pays pauvres, Illich voit en cela, l'ensemble de tous les pays du tiers-monde qui subissent une aliénation accrue par l'école occidentale qui leur a été imposée. Plus particulièrement nous nous limiterons de parler de l'aliénation que subissent les écoles de l'Afrique sub-saharienne. Illich affirme, en effet que : « Les pauvres ont besoin de crédits pour leur permettre d'apprendre, non pas pour recevoir un certificat de vaccination attestant qu'ils ont suivi un traitement susceptible de les guérir de leurs insuffisances supposées »106(*).Cette affirmation illichienne illustre que la pauvreté modernisée engendrée par l'école, dans les nations elles-mêmes pauvres, le cas pour la plupart des pays africains subsahariens, affecte un nombre plus élevé d'êtres humains et de façon plus visible, mais finalement moins profonde.107(*) Yves-Emmanuel Dogbé affirme que l'enfant qui pénètre dans le monde de l'école africaine commence une hostilité presque inconsciente que lui ménage ce milieu ; qui est appelé pourtant à suppléer sa cellule familiale et à jouer le rôle de ses parents, une partie importante de sa vie, ainsi qu'en a convenu la société.108(*) Les caractéristiques de l'hostilité du milieu scolaire à l'égard de l'enfant sont indiscutables : « Inflexible dans ses institutions, intransigeante dans ses règles, dans ses formes de scolarité même, dans ses programmes d'enseignement et ses méthodes pédagogiques, l'école se perpétue en se proclamant tutrice de premier ordre de l'enfant, sans malheureusement tenir compte ni de la diversité des natures des élèves, ni de l'inégalité de leurs rythmes de maturation, ni de la variété de leurs vocations »109(*) Le professeur KALELE-KA-BILA regrette du maintien du système d'enseignement hérité du colonialisme traduisant un certain néocolonialisme par une aliénation de l'école qui apprend aux jeunes africains à connaître plus les réalités occidentales que les réalités africaines, les réalités de leurs pays respectifs, de leurs milieux auxquelles ils sont confrontés chaque jour et auxquelles ils devront, pour améliorer leurs conditions de vie, trouver des solutions appropriées et adéquates mais hélas l'école leur apprend à mépriser leurs propres réalités au profit de celles étrangères.110(*) Dans une société aliénée, si l'éducation ne peut s'acquérir que dans les écoles, seuls ceux qui se sont pliés à leur discipline aux niveaux inférieurs seront admis aux stades plus élevés. Dans les sociétés où les capitaux font défaut et qui ne sont pas assez riches pour permettre une durée d'études non limitée, la majorité apprend par l'école non seulement l'acceptation de son sort mais encore la servilité.111(*) Pour Illich, Le révolutionnaire politique renforce la demande de scolarisation en promettant en vain que sous son administration plus de savoir et plus de gain seront accessibles à tous, grâce à une plus grande scolarisation. Il contribue à la modernisation d'une structure mondiale de classes et à une modernisation de la pauvreté. La tâche du révolutionnaire culturel est toujours de vaincre la tromperie sur laquelle est basée l'école et d'ébaucher des plans pour la déscolarisation de la société : « Il est clair qu'avec des écoles de qualité égale, un enfant pauvre ne pourra jamais atteindre l'enfant riche ; ni un pays pauvre ne peut se comparer à un pays riche. Il est également clair que les enfants pauvres et les pays pauvres n'ont jamais d'écoles égales à celles des riches mais toujours des écoles plus pauvres, ainsi sont-ils de plus en plus en arrière, tant qu'ils dépendent des écoles pour leur éducation ».112(*) Ainsi l'école africaine aliénée domestique de plus en plus ses jeunes et le mot sous-développement est un terme diffamatoire de pure invention de l'esprit colonisateur, dénotant assurément, « le regret de perdre et les peuples qui étaient jadis sous sa domination et les avantages de cette tutelle. Ce n'est pas parce que le sage africain n'est pas diplômé d'une école européenne qu'il est sous-développé ».113(*) Et l'éducation restera aliénée et aliénante tant que la société n'aura pas réalisé la vraie démocratie, i.e. la participation active de tous au destin collectif.114(*) Les recherches d'amélioration du processus éducatif au sein des écoles et à l'adaptation de ces mêmes écoles aux conditions particulières des pays sous-développés doivent nous aider à nous interroger sur la valeur du postulat sur lequel le système scolaire se fonde et que nous ne devons pas exclure la possibilité que les nations en voie de développement ne profitent pas de cette forme d'enseignement par l'école, que cette solution apportée à la nécessité de leur éducation ne soit pas finalement viable. Ce doute devrait nous permettre de concevoir des sociétés futures où les écoles, telles que nous les connaissons aujourd'hui n'auraient plus de raison d'être.115(*) L'école restreint la possibilité d'emprunter des voies de traverse et, surtout elle rend personnellement responsable celui qui n'a pas scolairement réussi lorsqu'il est tenu socialement à l'écart.116(*) * 106 I. ILLICH,Une société sans école, 20. * 107 Cf. Ibid. * 108 Cf. Y.-E. DOGBE, Op. Cit., 40. * 109Ibid., 43. * 110Cf. KALELE-KA-BILA, École : Domestication et aliénation des jeunes africains, Lubumbashi, Éditions Labossa, 1983, 16. * 111Cf. I. ILLICH, Libérer l'avenir, 112. * 112I. ILLICH, Art. Cit., 32. * 113Y.-E. DOGBÉ, Op. Cit., 65. * 114 Cf. J. DEWEY,Op. Cit., 54. * 115 Cf. I. ILLICH, Libérer l'avenir, 105. * 116 Cf. Ibid., 106. |
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