Analyse critique de la crise de l'éducation scolaire chez Ivan Illich.par Emmanuel De Marie MUSA MBWISHA Institut Supérieur de Philosophie/KANSEBULA - Graduat en philosophie 2020 |
1.3.2. L'anti-enseignement obligatoireIl nous revient de combattre l'école publique et gratuite au nom de la véritable égalité des chances devant l'éducation. La jeunesse veut des institutions éducatives qui lui assurent vraiment l'éducation. Elle n'a pas besoin, elle ne veut pas de soins maternels, de certificats de garantie, ou d'endoctrinement. Il est évidemment difficile d'obtenir une éducation dans une école qui refuse d'éduquer sans exiger de ses élèves qu'ils se soumettent, à la fois, à sa surveillance, à une compétition stérile, à sa doctrine. Il est tout aussi difficile de financer un enseignement et un enseignant qui représente en même temps le tuteur, le conseiller, l'arbitre, le garant et l'inventeur des programmes. C'est faire preuve d'un manque d'économie que de combiner ces fonctions dans une institution unique. C'est précisément parce que ces quatre fonctions souvent contraires sont associées, que le coût de l'éducation acquise à l'école augmente. Il nous revient de créer des institutions qui offrent à tous l'éducation à un coût acceptable, ne dépassant pas les possibilités d'investissement public. Il faudrait que nous ne ressentions plus la nécessité de l'école, et cette acquisition d'une maturité plus grande lui permettra alors de financer l'éducation pour tous et d'accepter des formes nouvelles d'éducation. Il n'y a pas de raison fondamentale qui interdise l'acquisition d'une éducation plus convaincante dans le cadre familial, professionnel et communautaire, ainsi que dans des bibliothèques d'un modèle nouveau et dans les centres fournissant les moyens d'apprendre.47(*) L'enseignement de nos jours comporte l'obligation d'assister une bonne partie de l'année à différentes classes à raison de plusieurs heures par jour. Et cela est imposé à tous les citoyens pour une période qui s'étend sur dix à dix-huit années ; si bien que l'école divise l'existence en deux périodes distinctes, qui tendent de plus en plus à être de longueur comparable. L'école implique une sorte de détention des êtres jugés indésirables ailleurs pour l'excellente raison que l'école a été faite pour les servir. L'État donne aux enseignants, les missionnaires de l'évangile scolaire, le pouvoir d'inventer de nouveaux critères qui permettront de confier aux bons soins de l'école des fractions encore plus importantes de la population. L'école sélectionne ceux qui sont destinés à réussir et leur accorde avant de les lancer dans la vie un insigne qui témoigne de leur aptitude. Une fois que l'éducation a été reconnue comme le signe de reconnaissance des membres à part entière d'une société la compétence se mesure par l'argent dépensé et au temps consacré à cette éducation, et la société ne tient pas compte des connaissances acquises indépendamment des programmes d'études marqués du sceau de l'orthodoxie. 48(*) Le penseur de l'anti-enseignement obligatoire, précurseur de Ivan Illich, Paul Goodman pense que la réaction de désertion scolaire est normale et que c'est l'école qui est désertée qui est bel et bien anormale : « Pendant dix ou treize ans, chaque jeune est contraint de rester assis la meilleure partie de sa journée dans une salle presque toujours bondée, face au tableau, pour suivre des cours prescrits par une administration lointaine et sans rapport avec ses intérêts à lui, intellectuels, sociaux, biologiques ou même économiques. C'est que l'école obligatoire n'est qu'une promesse frauduleuse ; elle prétend donner l'instruction et l'accès aux métiers lucratifs, mais elle sélectionne une petite élite au profit des grandes firmes, alors que les autres auront perdu leur temps et leurs efforts pour être finalement éliminés. L'école ne sert alors qu'à préserver l'ordre social contre la jeunesse. L'école élémentaire est une coûteuse garderie, l'enseignement secondaire et collégial un camp de concentration qui, par sa discipline et ses lavages de cerveau, allège la tâche de la police. L'école obligatoire n'est finalement qu'un piège universel ».49(*) L'existence même de l'école obligatoire divise toute société en deux catégories, Certaines périodes, certaines méthodes, certaines professions sont dites académiques ou pédagogiques, d'autres ne le sont pas. Ainsi, le pouvoir de l'école de distinguer entre deux réalités sociales est bientôt sans limites : l'éducation se situe à l'écart du monde, tandis que le monde ne possède aucune valeur éducative. Le système de la scolarité obligatoire, s'il conduit inévitablement à une ségrégation au sein de la société, permet également une sorte de classement entre les nations. Ainsi s'établit une véritable hiérarchie internationale, où chaque caste fonde sa dignité sur le nombre d'années de scolarité défini par ses lois. Les établissements d'enseignement nous conduisent à une situation paradoxale : il leur faut sans cesse plus d'argent, et cette escalade budgétaire ne fait que renforcer leur puissance de destruction à la fois dans les pays qui consentent à ces dépenses accrues et, par contagion, sur le plan international.50(*) * 47Cf. ID.,Libérer l'avenir, 130-131. * 48 Cf. Ibid., 108-109. * 49 P. GOODMAN, cité par O. REBOUL, Op. Cit., 83. * 50 Cf. I. ILLICH, Une société sans école, 25. |
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