Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.par Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
B. La condition morale de la responsabilité pénale des personnes morales : une condition primordiale26. L'alinéa (a) de l'article 74-1 exige qu'en dehors du fait que l'infraction soit commise par une personne qui incarne l'être moral, il faut également qu'elle soit « commise pour [son] compte ». Cette condition comme l'ont déjà fait remarquer certains auteurs, était déjà présente dans plusieurs lois pénales spéciales114(*) telles que la loi sur la cybercriminalité notamment en son article 64 alinéa 1115(*) ; la loi n°2005/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite des enfants en son article 7 116(*).Cette condition nous parait primordiale au moins pour deux raisons. D'abord parce qu'elle permet de rattacher l'infraction à l'existence même de la personne morale (1) ensuite parce qu'elle permet d'établir la volonté illicite de la personne morale (2). 1- Une condition permettant de rattacher l'infraction à l'existence même de la personne morale 27. Les êtres collectifs sont généralement créés dans un but précis et pour des activités précises. Les sociétés commerciales par exemples sont créées pour faire du profit qui sera partagé entre ses différents associés ou actionnaires, les partis politiques pour conquérir le pouvoir. En exigeant comme condition de la responsabilité pénale des personnes morales la commission d'une infraction pour leur compte, le législateur laisse ainsi comprendre que l'infraction pour être imputable à la personne morale doit être liée à l'existence même de celle-ci. 28. À cet effet, compte tenu des différents objectifs poursuivis par l'existence des groupements, l'infraction commise pour le compte de la personne morale peut d'abord être considérée comme celle qui apporte une plus-value qui peut être pécuniaire ou non pécuniaire. Celle qui donne une meilleure visibilité de l'entreprise ; ou toute infraction ayant une conséquence positive pour le groupement117(*). De ce point de vue, il parait pertinent d'analyser les notions d'intérêt social ou intérêt du groupement, et celui de profit. L'infraction peut également être commise pour le compte de la personne morale lorsqu'elle rentre dans le domaine son domaine d'activité, de telle sorte qu'elle découle de la réalisation de son objet social. De cet autre point de vue, la notion d'objet social peut nous aider à examiner les contours de « l'infraction commise pour le compte de la personne morale ». 29. L'idée d'intérêt social ou l'intérêt du groupement justifie aisément la deuxième condition, surtout lorsqu'on sait que les groupements sont des acteurs économiques importants. Une infraction commise par un organe ou un représentant parait donc être la première étape pour accabler la personne morale en tant qu'auteur matériel, si cette infraction est en plus commise dans l'intérêt ou au profit de la personne morale, elle ajoute un côté intellectuel118(*) rassemblant ainsi tous les ingrédients d'une responsabilité pénale. À cet effet, l'infraction commise pour le compte de la personne morale est celle qui sert l'intérêt sociale. Mais qu'est-ce que l'intérêt social ? Deux approches principales sont utilisées pour la définir, le premier est celle qui considère l'intérêt sociale comme « le seul intérêt convergent des associés » l'autre « celui de l'institution sociétaire »119(*). 30. L'approche considérant l'intérêt social comme intérêt commun des associés a pour fondement les articles 1832 et 1833 du code civil. En effet, il ressort d'après l'article 1832 du Code civil que « La société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun, en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter » ; l'article 1833 in médium dispose que « toute société (...) doit être contractée pour l'intérêt commun des parties (...) » Cette approche fait prévaloir le caractère contractuel du groupement. Il parait clair pour les tenants de cette approche que la société ne peut avoir d'autres buts que celui de satisfaire l'intérêt des personnes qui l'ont créé ou de ceux qui participent à son capital social ou à sa direction et à son fonctionnement et qui « ont seule vocation à partager entre eux le bénéfice »120(*) . 31. Pour la seconde approche, l'intérêt de social ne saurait être limité à l'intérêt des associés qu'elle transcende nécessairement. Dans ce sens l'intérêt social est l'intérêt supérieur du groupement de telle sorte « qu'il tendrait à assurer la prospérité et la continuité de l'entreprise »121(*) cette approche est soutenue en partie par le législateur OHADA lorsqu'il censure les abus de majorité122(*) et de minorité ou même d'égalité123(*) qui se définissent par le fait qu'un groupe d'actionnaires paralysent ou favorisent la prise de décision dans leur seul intérêt, et au mépris de l'intérêt de la société. En absence de définition précise par le législateur, les autorités de poursuite peuvent opter pour une conception protéiforme « à contenu variable »124(*) de la notion d'intérêt social. Dans ce sens, ils pourraient retenir la notion d'intérêt social soit dans le sens de l'intérêt commun des associés ou plus largement l'intérêt de l'institution sociétaire125(*). 32. l'infraction peut également être considérée comme commise pour le compte de la personne morale lorsque celle-ci entre dans le champ d'activité quotidien du groupement mieux, dans le cadre de la réalisation de son objet social. Autrement dit, l'être moral est créé pour un objectif déterminé. Et pour accomplir cet objectif, il doit mener des activités, décrites dans l'objet social et délimitées par lui en vertu du principe de spécialité de l'existence des personnes groupements moraux. Selon cette vision,toutes les infractions commises dans le cadre de cet objet social doivent être mises au passif de la personne morale. 33. Sauf qu'une partie de la doctrine a vite constaté que la loi exige la licéité de l'objet social du groupement. Ce qui exclut l'existence de groupement avec un objet social qui est contraire à la loi, et donc aucune activité délictueuse ne pouvait être menée dans le groupement en vertu du principe de spécialité dicté par son objet social126(*). De ce fait, « dès qu'une infraction serait commise par un organe ou un représentant, on devrait enlever l'écran de la personnalité morale afin d'engager la responsabilité des personnes physiques car le groupement devrait demeurer pénalement irresponsable »127(*). À première vue, cette analyse peut paraitre pertinente, sauf à préciser que l'être collectif n'a pas besoin d'avoir pour objectif la réalisation d'un acte illicite pour qu'une infraction soit commise pour son compte128(*) d'une part. D'autre part, l'observation du phénomène criminel permet de comprendre que certains groupements ne sont créés que pour commettre des infractions129(*) de telle sorte que dans la réalisation de son objet social le groupement peut effectuer des activités réprimées par la loi pénale et qui de surcroit lui profite. Dès lorsqu'il y a du profit, le groupement doit en assumer les conséquences comme le pensait déjà SALEILLES« je ne vois pas pourquoi, du point de vue de l'équité, celui qui devait profiter du délit n'en subirait pas la sanction ; et ici celui qui devait profiter au délit, ce n'est pas l'agent qui l'a commis, c'était la collectivité pour laquelle il le commettait (...) avant tout, la peine doit atteindre le patrimoine qui devait profiter du délit, c'est-à-dire celui de la personne juridique appelée à en bénéficier »130(*). Si la seconde condition de la responsabilité pénale des personnes morales permet de la rattacher la commission d'une infraction, comment met-elle en exergue la volonté groupement ? 2- Une condition permettant d'établir la volonté illicite de la personne morale 34. La seconde condition de la responsabilité des personnes morales peut être considérée comme une condition psychologique dans la mesure où elle permet de savoir si la volonté du groupement se cache derrière l'infraction et si ladite infraction laisse transparaitre la « subjectivité criminelle de la personne morale »131(*). Une infraction commise pour le compte de la personne morale permet de caractériser sa volonté illicite, lorsqu'on se rend compte que les notions d'intérêt supérieur du groupement et d'objet social constituent en quelque sorte l'esprit qui se cache derrière tous les actes passés par la personne morale. La personne morale sera déterminée à effectuer, par l'entremise de ses organes ou représentant des actes qui lui procurent une plus-value économique et incontournables dans la réalisation de son objet social. Les organes et les représentants en tant qu'âme dirigeante de la personne morale ressentiront toujours ce besoin d'agir dans le sens de l'intérêt du groupement pour lui assurer d'atteindre la béatitude, de ce fait, toutes les infractions réalisées pour l'accomplissement de l'intérêt de groupement ou la réalisation de son objet peuvent être considérées comme ayant été accomplis pour satisfaire sa volonté. Ce constat nous permet d'exclure les infractions commises par les organes ou représentant qui ne satisfont que leur intérêt personnel ou l'intérêt d'une tierce personne au groupement, dans ces cas la personne morale est la victime et non l'auteur de l'infraction.132(*) * 114 NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit., p. 221 - 244. * 115« Les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte, par leurs organes dirigeants ». * 116« ... les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables (...) lorsque les infractions auront été commises par (leurs) dirigeants, agissant dans l'exercice de leurs fonctions ». * 117Rien n'empêche qu'une infraction n'entrainant pas de conséquences positives pour les groupements puisse être commise pour le compte de la personne morale. * 118 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne op.cit. p.146. * 119CADET (I.), « L'intérêt social, concept à risque pour une nouvelle forme de gouvernance », Laboratoire Groupe INSEEC-ECE LYON n° 13- juillet-décembre 2012 p. 17. * 120ROUSSEAU (S.) TCHOTOURIAN (I.) « L'intérêt social » en droit des sociétés : Regards transatlantiques cours polycopié. P.9. * 121 PAILLUSSEAU (J.), « Les fondements du droit moderne des sociétés », in J.C.P., éd. E., 1993, n°14193, p.165, ROUSSEAU (S.) TCHOTOURIAN (I.), cours polycopié ;ibid. p.9. * 122 Article 130 de l'acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et groupements d'intérêts économique « il y a abus de majorité lorsque les associés majoritaires ont voté une décision dans leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des associés minoritaires sans que cette décision ne puisse être justifiée par l'intérêt de la société ». * 123 Article 13 « il y a abus de minorité ou d'égalité lorsque, en exerçant leur vote, les associés minoritaires ou égalitaires s'opposent à ce que les décisions soient prises, alors qu'elles sont nécessitées par l'intérêt de la société et qu'ils ne peuvent justifier d'un intérêt légitime ». * 124MOUTHIEU (M A), l'intérêt social en droit des sociétés, L'Harmattan, Etudes africaines, 2009, 420 p. * 125 ROUSSEAU (S) TCHOTOURIAN (I) « L'intérêt social » en droit des sociétés : Regards transatlantiques » ibid. p.9. * 126RONTCHEVSKY (N.), « La notion d'entité personnifiée », in LPA, 11 décembre 1996, n°149, p.9. * 127 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), Thèse, op.cit. p.149. * 128 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), ibid. p.159 et 160. * 129Sociétés écrans par exemples. * 130 SALEILLES (R.), De la personnalité Juridique histoire et théorie, Paris : Éditions la mémoire du droit, 1992, p. 10. * 131 REINALDET DOS SANTOS (T-J.),Thèse, ibid., p. 149 ; AFCHAIN (M.-A.), La responsabilité de la société, Thèse Tours, 2006, p. 157, p. 235. * 132« Dans cette hypothèse, la personne morale peut, par ailleurs, se constituer partie civile contre la personne physique représentant ou organe » REINALDET DOS SANTOS (T-J.), Thèse,op.cit. p. 158 (voir Cour de cass., Ch. crim., 20 juin 2007, Dr. pén. 2007, comm. 142, obs. M. Véron). |
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