Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.par Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
B. La possibilité de revisiter lesystème d'imputation en place182. Si le système d'imputation actuel de l'infraction à la personne moral basé sur la personne physique a une certaine efficience, il n'en demeure pas moins qu'elle présente des faiblesses certaines qui ont déjà été relevés. Le choix du législateur de faire de la personne physique l'instrument de la responsabilité pénale des personnes morales420(*) rejaillit sur la punissabilité des infractions commises par les personnes physiques, et même celle des personnes morales. L'impossibilité de rattacher l'infraction à un organe ou même de présumer la commission l'infraction par un organe ou représentant, empêche la condamnation de cette dernière. Face à ces problèmes, le législateur camerounais peut adopter une posture s'inspirant à la fois des systèmes d'imputations proches du sien (1), que ceux qui lui sont dissemblant (2). 1- L'exploration des solutions découlant des législations appliquant des mécanismes d'imputation proche du droit interne 183. Le point commun entre tous les systèmes qui appliquent ou qui ont appliqué le modèle d'imputation indirecte est qu'ils consacrent comme condition de la mise en oeuvre de la responsabilité des groupements la commission d'une infraction par un organe ou représentant pour le compte de la personne morale421(*). Le caractère indirect du modèle d'imputation dépend d'abord au sens strict, de l'utilisation du substratum humain qui commettra l'infraction pour la personne morale, de telle sorte que la responsabilité pénale de la personne morale serait établie dès lors que le juge acquiert la conviction que l'acte incriminé n'a pu être commis que par un organe ou un représentant. 184. Ensuite, le caractère indirect du système d'imputation dépendra, lato sensu de l'interprétation que la jurisprudence donne à ces conditions. Si elle impose d'abord la condamnation ou même l'identification du dirigeant ou du représentant en tant qu'auteur ou complice des actes incriminés comme préalable à la reconnaissance de culpabilité de la personne morale, il s'agira d'un système d'imputation indirect. La Cour de cassation française l'a d'ailleurs déjà consacré en ces termes « [Il] est nécessaire de caractériser les éléments constitutifs de l'infraction non à l'encontre de la personne morale, mais à l'encontre de l'un de ses organes ou représentants »422(*). Pourtant cette solution semble limitée, aussi bien la doctrine française que d'autres législations européennes proposent que les éléments constitutifs de l'infraction soient caractérisés chez la personne morale423(*). Même s'il est nécessaire que la personne morale se sert d'un être physique pour commettre l'infraction, celle-ci « possède une consistance propre, distincte de celle de ses membres, de nature à lui permettre de prendre des décisions autonomes et de poursuivre les objectifs qu'elle se fixe »424(*). Les mécanismes d'imputation de l'infraction à la personne morale proches de ceux choisis par le législateur camerounais, lui offre peu de marge de manoeuvre dans l'hypothèse d'un réaménagement. Mais du point de vue pratique, elle peut servir aux juges, qui pour interpréter l'énoncé de l'alinéa (a) de l'article 74-1, ne devront pas exiger l'identification de la personne physique, et rechercher la volonté cachée de la personne morale. Cela semble être une tâche ardue, raison pour laquelle l'on recherchera des solutions dans les législations ayant adoptés des mécanismes d'imputation différents du droit interne. 2- L'exploration des solutions découlant des législations appliquant des mécanismes d'imputation différents du droit interne 185. Il s'agit des législations appliquant des mécanismes d'imputation directe de l'infraction à la personne morale. Elles ne font pour la plupart même pas intervenir le terme « organe » ou « représentant » dans l'énoncé des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale des personnes morales425(*), pour certaines. Et pour d'autres fondent la responsabilité pénale des groupements sur l'idée de faute diffuse426(*). L'un des exemples les plus marquants est tiré du Code pénal belge qui ne fait pas d'entrée de jeu allusion à l'implication d'un organe ou d'un représentant. Son article 5 dispose que « Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet, ou à la défense de ses intérêts ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte »427(*). Le législateur belge a pourtant fait montre de prudence dans la mesure où cette responsabilité directe n'est applicable qu'à titre « subsidiaire »428(*). Elle ne s'applique pas dans les cas où la personne physique auteur des actes incriminés est identifiable. Dans ce cas l'imputation ne se fera pas de façon directe, mais par identification429(*).En fonction du degré de la faute commise par la personne physique, il y aura ou non cumul de responsabilité430(*). 186. Dans certaines législations anglo-saxonnes, un mode d'imputation directe de l'infraction pour « faute diffuse », c'est-à-dire une faute de la structure431(*) est envisagé. Cette vision s'est développée en droit Australien433(*), puis en droit anglais434(*). Aussi qualifiée de « corporate culture »435(*), elle se fonde sur « la politique de l'entreprise en tant que volonté de la structure »436(*). Elle ne concerne que la responsabilité pénale des personnes morales437(*). Ce texte dispose que la personne morale sera pénalement responsable lorsque la façon dont ses activités sont organisées cause la mort d'une personne ou découlent de la violation « grossière » d'une obligation de sécurité ayant entrainé la mort438(*). Dans les deux cas suscités les législateurs émettent des réserves à chaque fois, tout simplement parce que les activités de l'entreprise sont nécessairement organisées par les personnes physiques dirigeantes439(*). Au fond, aucune des solutions envisagées par les différents systèmes étrangers ne saurait être considérées comme la panacée. Le législateur camerounais, pour optimiser les mécanismes d'imputation de l'infraction à la personne morale, pourra adopter un mécanisme hybride admettant la faute diffuse lorsque l'identification de l'organe ou du représentant est impossible à établir. Pour l'heure, et en attendant une réaction du législateur, les organes de la procédure pénale devront adopter une certaine attitude pour palier eux même à certaines carences. * 420 NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des lois spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. p. 221- 244. * 421 C'est le cas notamment du système français avec l'article 121-2 du CPP français, du système espagnole Article 31 bis 1. Alinéa 1er du Code pénal espagnol, traduit par Clinter, Ministerio de Justica - Secretaría General Técnica, 2013. « Les personnes morales sont pénalement responsables des délits commis en leur nom ou pour leur compte, et à leur profit, par leurs représentants légaux et administrateurs de fait ou de droit » * 422Crim., 15 févr. 2011, n° 10-85.324, RTD com. 2011. 653, obs. B. Bouloc; Dr. pénal 2011. comm. n° 62, M. Veron, dans une affaire de blessures involontaires impliquant la SNCF. Le pourvoi rejeté par la Cour invoquait explicitement la théorie de la responsabilité par ricochet. Cette décision est intéressante parce qu'elle fait l'écho à une autre affaire d'homicide involontaire impliquant la SNCF : Crim., 18 janv. 2000, n° 99-80.318, Bull. crim. n° 28 ; cette Revue 2000. 816, obs. Bouloc (B.) ; RTD com. 2000. 737, obs. B. Bouloc ; D. 2000. 636, note J.-Saint-Pau (C.) : « La responsabilité pénale des personnes morales est-elle une responsabilité par ricochet ? ». À « partir d'une argumentation rigoureusement identique la position de la Chambre criminelle est diamétralement opposée ; peut-être faut-il relever que dans la première affaire, c'est un voyageur qui fut la victime, tandis que dans la seconde il s'agissait d'un salarié ? » Voir TRICOT (J.) « Le droit pénal à l'épreuve de la responsabilité des personnes morales : l'exemple français » op.cit. * 423 C'est la solution donnée en droit espagnol et en droit belge. Lire à cet ibid. * 424 JACOBS (A.), « La responsabilité pénale des personnes morales en droit belge », La responsabilité pénale des personnes morales ibid. p. 20 et s. * 425 D'autres auteurs n'envisagent le caractère indirect que sous cet angle, ainsi pour eux, lorsque la responsabilité pénale du dirigeant n'est pas une condition de celle de la personne morale, on est en présence d'une condition d'imputabilité directe. Il nous semble néanmoins que l'imputation directe de l'infraction à la personne morale est celle dans laquelle on n'envisage même pas la notion d'organe ou de représentant. * 426SAINT-PAU (J-C), La responsabilité des personnes morales : réalité et fiction, op.cit. p. 96. * 427 Même si pour certains auteurs belges, l'article 5 fait implicitement allusion aux organes et aux représentant car selon eux, seul ces derniers peuvent légitimement engager la responsabilité pénale du groupement. Voir dans ce sens MASSET (A), « Consécration du principe de la responsabilité pénale des personnes morales en droit belge : le principe, les peines et les particularités procédurales », La responsabilité pénale de la personne morale - enjeux et avenir, L'Harmattan, 2015, Comité international des pénalistes francophones. 1615. A. Jacobs, « La loi belge à l'aune de la jurisprudence », La responsabilité pénale de la personne morale - enjeux et avenir, op.cit., p. 113 et s. * 428BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. p. 419- 415. * 429 Voir TRICOT (J.) « Le droit pénal à l'épreuve de la responsabilité des personnes morales : l'exemple français » op.cit. 19 et s. * 430 Art. 5 al. 2 du CP belge « Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave est condamnée. Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable ». * 431 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, ibid. p. 419 et s. 432Ibid. * 433 Article 12§3 du Code pénal australien aux termes duquel l'infraction pourra être imputée à la personne morale lorsque « il est prouvé que ... c) une culture d'entreprise existant au sein de la personne morale a commandé, encouragé, toléré ou conduit à la violation de la réglementation... ; ou d) s'il est prouvé que la personne morale a échoué dans la création ou le maintien d'une culture d'entreprise qui exigeait la mise en conformité avec la réglementation ». * 434 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. pp. 497 et s. * 435 Elle permet « L'imputation directe de l'infraction à la personne morale en cas d'homicide involontaire ». Propos emprunté à BOULANGER (A.) ibid., p. 419 et s. V. également la CorporateManslaughter and corporate homicide Act. * 436DESNOIX (E.), « Plaidoyer (français) pour la consécration de l'infraction de corporatekilling en Angleterre », Rev. pénit. 2007, n° 1, p. 131, spéc. p. 135. * 437 « Et non celle des personnes physiques qui restent responsables suivant les fondements de l'infraction de la common Law » BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale,Op.cit. p. 419 et s. * 438 Article 1§1 du projet de loi sur la CorporateManslaughter and corporate homicide Act, traduit par J. Pradel, op.cit., spéc. p. 193, n° 127. * 439 Article 1§1 du projet de loi sur la CorporateManslaughter and corporate homicide Act, traduit par J. Pradel, op. cit., spéc. p. 193, n° 127. |
|