Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.par Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
§- 2 La prise en compte à travers une reconsidération du système d'imputation173. Dans l'optique d'adopter une vision générale de la responsabilité pénale des personnes morales, le législateur camerounais a fait le choix de l'anthropomorphisme, pour tirer les conséquences que cette responsabilité pouvait entrainer. Pour faire peser l'obligation de subir la répression sur la personne morale, le législateur a adapté des principes prévus à la base pour s'appliquer à la personne physique. Il s'agit principalement du principe de la personnalité, qui se décline en un triptyque, responsabilité du fait personnel, personnalité de la sanction et personnalité juridique. Ainsi, seuls les groupements dotés de la personnalité juridique peuvent voir leur responsabilité pénale engagée, ce qui entraine des effets pervers tels que la mise en échec des institutions de poursuite. De ce fait, il est nécessaire dans la prise en compte de certaines conséquences du principe général de responsabilité pénale des personnes morales, de revoir le préalable de la personnalité juridique (A). Bien plus, pour adapter le principe de la personnalité de la responsabilité pénale, le législateur a fait le choix d'assimiler la personne physique organe ou représentant à la personne morale, or cette vision ne permet pas toujours de saisir la délinquance d'entreprise, ainsi, il est possible de revoir aussi le système d'imputation (B). A. La nécessaire reconsidération du préalable de personnalité juridique174. Admettre que seuls les groupements dotés de la personnalité morale sont pénalement responsables présente l'avantage de mettre sur un même pied d'égalité personnes physiques et personnes morales. Mais se limiter à la conception civiliste de la personnalité juridique pousse nécessairement le législateur à ignorer les spécificités même des personnes morales. Il parait nécessaire de rechercher comment d'autres systèmes pénaux ont abordé la question de la personnalité morale. Il ressort que certains systèmes, pour lutter contre l'impunité des groupements collectifs appliquent la responsabilité pénale indépendamment de la personnalité juridique399(*) (1). Et pour résoudre la problématique de l'instrumentalisation des opérations de fusion et scission mettant en échec la nouvelle responsabilité, d'autres systèmes sont favorables à la transmission de la responsabilité pénale de la personne morale absorbée vers la personne morale absorbante (2). Ces deux visions se détachent ainsi du principe de personnalité. 1- L'apport des systèmes appliquant la responsabilité indépendamment de la personnalité morale 175. Au regard de nombreux problèmes soulevés par le choix du terme « personne morale » par le législateur camerounais, celui-ci doit nécessairement pouvoir se séparer de la conception classique de personnalité juridique comme préalable de la responsabilité pénale des groupements. La doctrine a déjà proposé que le droit pénal camerounais se saisisse du concept « personne morale » afin de lui donner un sens propre en droit pénal compatible avec les exigences de la responsabilité pénale400(*). Le droit pénal a déjà effectué une telle manoeuvre avec la notion de domicile en lui donnant un sens différent que celui donné par le droit civil, ou même à la notion de fonctionnaire qui a sens différent en droit pénal qu'en droit de la fonction publique401(*). 176. Des systèmes pénaux étrangers appliquent déjà cette conception. La responsabilité pénale des groupements non doté de la personnalité juridique peut être engagée en droit belge, dans la mesure où le législateur pénal belge a adopté une définition complètement différente de la notion de personne morale. Aux termes de l'article 5 du Code pénal applicable sur le territoire belge, « toute personne morale est pénalement responsable », « sont assimilées à des personnes morales : 1°) les associations momentanées et les associations en participation ; 2°) les sociétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation »402(*). Le droit belge ne s'est attardé ni sur les concepts civilistes de la personnalité morale, ni sur les formalités imposées par le droit des sociétés commerciales. Pour lutter contre l'entité collective ou le groupement qui « éluderait volontairement la personnalité morale en vue de se soustraire à la responsabilité »403(*) d'autres systèmes ont fait le même choix. Le droit anglais404(*) permet aussi d'engager la responsabilité pénale des groupements n'ayant pas la personnalité juridique au sens classique du terme. Selon l'InterpretationAct de 1978, sont pénalement responsable« non seulement les personnes physiques et les personnes morales, mais tout (uncorporated association) groupement n'ayant pas la personnalité morale »405(*). 177. Cette solution peut être adoptée par le législateur camerounais, afin de lutter pleinement contre la délinquance des êtres collectifs. Elle présente l'avantage de saisir la personne morale dans sa globalité. Cette vision n'est pas étrangère au droit pénal camerounais comme l'on a déjà indiqué, dans la mesure où ce dernier a déjà à plusieurs reprise brisé les standards définitionnels posés par d'autres branches du Droit. L'une des difficultés qui pourrait par contre se poser c'est que certains groupements de fait n'ont pas de patrimoine, dès lors, toute sanction serait dirigée contre le patrimoine des personnes physiques. Mais cette difficulté semble surmontable. D'abord parce que les sanctions pécuniaires ne sont pas les seules qui peuvent être imposées aux groupements d'une part ; et d'autre part, une partie de la doctrine a fait remarquer, chaque groupement a nécessairement une masse de bien sur lequel peuvent s'appliquer les sanctions patrimoniales406(*). Cette solution permettra au droit pénal camerounais de prendre en compte une « part potentielle de délinquance »407(*), mais celui-ci devra nécessairement l'adapter au paysage interne. Ne restera alors que la question des moyens de défense non conventionnels utilisés par la personne morale pour déjouer l'appareil répressif que sont l'instrumentation des opérations de restructuration. Dans ce cadre aussi un tour d'horizon des systèmes pénaux étrangers peut apporter des réponses au droit camerounais. 2- L'apport des systèmes ayant réglé la question des restructurations sociétaires 178. Lorsqu'on interroge le sort de la responsabilité pénale des personnes morales en cas de restructuration sociétaire sous le prisme du droit comparé, l'on est toute suite saisie par la créativité dont fait preuve certains législateurs. Deux visions assez proches cristallisent l'attention. Il s'agit du système de transmission partielle de responsabilité pénal applicable aux États-Unis et du système de transmission totale de responsabilité pénale applicable en Espagne. 179. Aux Etats-Unis, la société qui acquiert une partie des actifs d'une autre pourra voir sa responsabilité pénale engagée pour des violations au ForeignCorrupt Practices Act408(*) commises antérieurement à la cession par le cédant. Le mécanisme vise à mettre en jeu « la responsabilité du successeur (ou successorliability)409(*) au titre de laquelle le cessionnaire hérite des manquements de la société cible qu'il acquiert »410(*). Le dispositif est intéressant dans la mesure où il constitue un moyen dissuasif qui implique pour les repreneurs de procéder à des audits avant d'acquérir des actifs d'une société cible411(*). Il semble pour le moins difficilement applicable en droit camerounais, parce qu'en faisant peser le risque pénal sur des personnes morales n'ayant aucun lien avec l'infraction, elle pose non seulement la question d'une responsabilité pénale du fait d'autrui, en même temps qu'elle limite les opérations de reprise d'entreprise. Certains auteurs ont fait remarquer que la responsabilité du successeur ne devrait être engagée uniquement s'il a continué l'activité dans la société cessionnaire412(*). 180. En droit espagnol, la question du sort de la responsabilité pénale des personnes morales en cas de dissolution de celles-ci est réglée par le principe du transfert de responsabilité, lorsque qu'il peut être établi que la dissolution n'est qu'apparente413(*) de telle sorte qu'en droit ibérique « la transformation, fusion, absorption ou scission n'éteint pas la responsabilité pénale, sinon qu'elle se transmet à la nouvelle entité »414(*) si celle-ci (la société absorbante)« poursuit son activité économique, avec une activité substantielle de clients, de fournisseurs et d'employés »415(*). Selon cette vision, la société absorbée transférera sa responsabilité pénale à la société absorbante ou aux nouvelles sociétés ainsi créées si le caractère fictif de l'opération de restructuration peut être prouvé416(*). Il semble que la solution adoptée par le législateur ibérique pour régler la question de l'instrumentalisation des opérations de restructuration sociétaires mettant en échec la responsabilité pénale peut être adaptée au paysage camerounais. Mais le législateur, la doctrine et ou la jurisprudence devront faire un travail de fond pour établir les conditions qui permettrons de savoir s'il y a ou non continuité de la personnalité morale dans la nouvelle structure417(*). Le législateur camerounais, peut donc se servir des bases posées par son homologue espagnol pour dégager une solution exploitable par les institutions judiciaires, de telle sorte que la transmissibilité soit l'exception et « le principe doit rester l'intransmissibilité de la responsabilité pour éviter toute atteinte à la présomption d'innocence »418(*). 181. Il apparait alors que pour prendre en compte de façon plus large les conséquences d'une admission de la responsabilité pénale des personnes morales, il est nécessaire de souvent faire prévaloir l'activité du groupement plutôt que son existence légale419(*). Cette première démarcation qui doit être faite par le législateur doit nécessairement s'accompagner d'une analyse plus poussée sur les mécanismes d'imputation proprement dits. * 399 Plusieurs analyses doctrinales vont dans le sens de la recherche des différentes facettes de la responsabilité pénale des personnes morales dans les systèmes étrangers. Ainsi, certains systèmes assimilent dans l'expression personne morale tous les groupements de telle sorte que la personnalité morale n'est plus un préalable de mise en oeuvre de la responsabilité pénale des groupements. Lire à cet effet lire BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. Nouvelle édition [en ligne]. Op.cit. * 400« La question fondamentale est de savoir si le droit pénal ne devrait pas s'approprier le concept même de « personne morale » afin de lui donner un sens opératoire adapté aux exigences de la responsabilité pénale ? Cette question, qui suppose une autonomisation des concepts pénaux, résulte de la prise en compte de la théorie de la réalité criminelle pour rendre opportun et pertinent l'entrée dans le champ pénal des personnes morales » NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des lois spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. p. 221 et s. * 401 Sur l'autonomisation des concepts pénaux NTONO TSIMI (G.), La responsabilité pénale des personnes morales : essaie d'une théorie générale, op.cit. p. 36 et s. * 402 Voir également Document législatif n° 11217/6, Proposition de loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, Sénat de Belgique, 10 mars 1999, disponible en ligne : www.senat.be, spéc. p. 7. * 403 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. p. 418. * 404Ibid. p. 419. * 405Ibid. p. 419 et s. * 406Ibid. * 407ibid. * 408 Le ForeingCorrupt Practice Act (FCPA) est une loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d'agents publics à l'étranger. * 409Ibid. * 410TOLLET (N.), FINANCE (G.), « Évaluer et se protéger des risques de corruption en cas d'acquisition d'une entreprise industrielle », RLDA 2015, n° 103, p. 57, spéc. p. 58. * 411 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. Nouvelle édition [en ligne]. Op.cit. * 412BRAUMILLER (A), « How to buy a violation : successorliabilityunder the FCPA », BRAUMILLER LAW GROUP, disponible à l'adresse suivante (en anglais) : www.lexology.com/library/detail.aspx?g=2fded3b4-0d95-4910883b-288e8dba1e1f. * 413 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. Nouvelle édition [en ligne]. Op.cit. * 414 Article 131 du code pénal traduit par M. ORTUBAY in « La responsabilité pénale des personnes morales en droit espagnol » Travaux de l'institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux - La responsabilité pénale des personnes morales, étude comparée, n° 4 dir. scientifique SAINTPAU (J.C.), éd. Cujas, 2014, p. 175 et s. BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. p. 418 * 415 Article 131.2 du code pénal traduit par M. ORTUBAY in « La responsabilité pénale des personnes morales en droit espagnol » ibid. * 416 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit., p. 418 et s. * 417Ibid.p. 418 et s. * 418Ibid. * 419Ibid. |
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