Annexes
Une grande partie des recherches en didactique des disciplines
portent sur les conceptions des élèves. C'est d'ailleurs
grâce à ces recherches qu'on a pu identifier « le
raisonnement causal linéaire » étudié par Laurence
Viennot (1979), le raisonnement séquentiel en
électrocinétique (Closset, 1983), etc. Ces recherches sont
à l'origine du développement actuel des didactiques.
L'enfant, dès ses premiers contacts avec la vie, se
trouve confronté à un monde qui l'interroge. Il va rapidement
chercher à répondre à ces questions, seul ou en
interaction avec son entourage. L'adolescent et l'homme adulte continuent de la
même manière à chercher des réponses aux questions
que soulèvent leurs interactions avec le monde qui les entoure. Les
réponses fournies, les descriptions de la nature qu'elles engendrent
sont cependant basées sur un nombre restreint d'observations et ne
contiennent pas d'interrogation explicite sur la limite de validité du
savoir partiel ainsi construit que nous appellerons, à l'instar de
Bachelard, « connaissance commune » ou « savoir commun
».
Ce savoir se satisfait d'une explication plus immédiate
et d'un pouvoir prédictif davantage limité aux cas du vécu
quotidien sans expérimentation systématiquement construite pour
le vérifier ou l'infirmer. Néanmoins cette connaissance se trouve
souvent confirmée et renforcée par le vécu quotidien et
devient rapidement, pour celui qui la possède, non questionnable, non
falsifiable. Les faits nouveaux vont de ce fait être ramenés au
connu par un système plus ou moins complexe d'explications. Rarement des
expériences nouvelles remettront en cause la connaissance
antérieure, l'individu allant même jusqu'à nier
l'expérience.
Le savoir ainsi produit est incomplètement
structuré et ne constitue pas un système entièrement
cohérent. Il l'est cependant par morceaux, par îlots. Il
possède souvent une très grande stabilité mais est
totalement implicite dans sa construction comme dans son fonctionnement. Il
résulte enfin d'un processus de construction essentiellement individuel
: c'est le savoir d'un individu, même si, comme le montre de très
nombreuses études en didactique, on le retrouve chez de nombreux
individus.
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Annexes
Giordan (1992) partage ce point de vue en disant :
« ....L'élaboration des concepts constitue une
activité propre de l'apprenant où ce qu'il connaît
déjà joue un rôle déterminant. C'est avec cette
connaissance préalable qu'il va décoder l'information
reçue et tentera de comprendre ce que le professeur attend de lui.
»
A l'opposé, le savoir scientifique ne résulte
pas d'une construction individuelle. Il a été produit
collectivement et historiquement. La connaissance scientifique est, autant que
faire se peut, totalement explicite, elle est par essence questionnable,
entièrement structurée et cohérente.
Ces différences de nature entre ces deux savoirs font
problème au niveau de l'enseignement.En effet, l'esprit de
l'élève ou de l'étudiant qui aborde une matière
nouvelle n'est pas vierge : il « connaît » déjà
quelque chose au sujet de la matière qui lui est proposée.
Enseigner ne consiste donc pas à écrire sur une page blanche,
d'abord parce que la page n'est pas blanche et ensuite parce que ce n'est pas
le maître qui écrit mais l'élève. Il aura toujours
tendance à replacer la matière proposée dans le cadre de
référence ancien avec lequel il l'appréhende.
De nombreuses études ont montré qu'après
enseignement d'une matière, la connaissance commune reste souvent
dominante. L'élève accueille dans un savoir possédant
déjà certaines structures les connaissances qu'on veut lui
apporter. Le plus souvent l'enseignement échoue à modifier ces
structures préexistantes. Les connaissances nouvelles sont seulement
plaquées sur le savoir ancien sans le modifier. L'enseignement n'atteint
qu'un succès immédiat : dès qu'on modifie les conditions
qui furent celles de l'apprentissage, la connaissance commune
réapparaît. Elle se transfère de préférence
au savoir scientifique.
En voyant les choses sous cet angle, les conceptions se
situent alors au coeur même du projet didactique. C'est pour cette raison
que les didacticiens (constructivistes) ont accordé beaucoup
d'importance au savoir des apprenants en adoptant l'idée que l'on
construit ses connaissances à la fois « avec » et «
contre » ses connaissances antérieures.
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