L'accès à la justice en milieu ruralpar Bio Marc KORA CHABI Université de Parakou - Bénin - Maîtrise en droit privé 0000 |
INTRODUCTIONLe droit et la justice sont des notions inhérentes à toutes les sociétés mêmes les plus primitives1(*). La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a proclamé : « toute personneà droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par laloi. »2(*) Aussi, la même déclaration a-t-elleeu le mérite d'ajouter « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de touteaccusation (...) »3(*)Dans le même sens, la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples offre « le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur »4(*). L'accès à la justice est un droit fondamental5(*) attaché à toute personne humaine vivant dans une société démocratique6(*). Le droit positif béninois n'est pas resté en marge de cette réalité. L'article 26 de la constitution du 11 décembre 1990 dispose que : « l'Etat assure à tous l'égalité devant la loi sans distinction d'origine, de race, de sexe, de religion, d'opinion politique ou de position sociale.» Malgré ces succès législatifs, la mise en oeuvre de l'accès à la justice se heurte au Bénin à des difficultés en milieu rural. « Les pratiques judiciaires discriminatoires, la polarisation, la corruption, le fonctionnement opaque, les lenteurs et le coût de l'accès à la justice marginalisent de nombreuxjusticiables7(*).» Il est nécessaire donc d'examiner les paramètres qui entretiennent cet état de chose. Pour cette raison, il s'avère indispensable de réfléchir sur :«l'accès à la justice en milieu rural.» Mais, avant toute analyse explicite, il importe de faire des clarifications conceptuelles. L'accès vient du mot latin assessusqui signifie selon leLAROUSSEde poche, chemin, voie, qui permet d'aller vers un lieu ou d'y entrer8(*). En d'autres termes, l'accès permet à toute personne ayant un intérêt légitime pour un fait d'accéder à ces prérogatives. Qu'entend-on par justice ? Du latin justicia, « la justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité et celle des systèmes de pensée.Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée.Pour cette raison, la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention, par d'autres, d'un plus grand bien. Elle n'admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puisse être compensés par l'augmentation des avantages dont jouit le plus grandnombre9(*).» Autrement dit, la justice c'est l'exigence de rendre à chacun ce qui lui est dû, avec impartialité et équité10(*). L'accès à la justice selon le doyen CORNU est le droit pour tout citoyen de s'adresser librement à la justice pour la défense de ses intérêts même si la demande doit être déclarée irrégulière, irrecevable ou mal fondée11(*).De façon spécifique, l'accès à la justice suppose une action faite par l'auteur d'une prétention afin d'être entendu par le juge pour qu'il la dise bien ou mal fondée12(*). Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien fondé de cette prétention. Il correspond pour le demandeur à la concrétisation du droit d'agir par l'introduction d'une demande en justice. Quant à la notion du milieu rural, «elle englobe l'ensemble de la population du territoire et des autres ressources des campagnes, c'est-à-dire des zones situées en dehors des grands centres urbanisés. Sa spécificité se situe dans une diversité d'attitude, de traditions socio - culturelles, des liens avec la nature et de caractéristique économique et environnementale basée sur l'agriculture et la sylviculture»13(*). Il paraît opportun de replacer le terme d'accès à la justice dans son repère historique en rappelant quelques évènements qui ont jalonnéla vie des sociétés au cours du temps. En effet, des travaux récents menés dans l'ancien empire du Mali ont permis de faire une découverte intéressante (...)Il s'agit de la charte du Mandé ou charte de KurukanFuga qui a été reconstituée à Kankan en 1998. Cette charte est composée de 44 lois : le texte recueilli à Kankan est un ensemble de règles de conduites, d'enseignement, de préceptes destinés à organiser la vie en société14(*).Tout porte à croire que cette charte a été élaborée en 1236 aux assises de Kangaba (Actuel Mali) pourpromouvoir la justice au plan local. Par ailleurs, dans lecontrat social de ROUSSEAU paru en 1762, il suggérait de «trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ?»15(*) La présente étude aura pour domaine de recherche le milieu rural. Il est évident de connaître depuis l'historique conférence des forces vives de la nation de février 1990, période de l'avènement de la démocratie au Bénin l'effet produit par la justice au sein des justiciables du monde rural. Pour faciliter l'accès à la justice des populations démunies il a été institué par endroits un appui à l'institution de l'assistance par des avocats rémunérés par un fond social soutenu (...). Cette démarche est à mettre à l'actif de la banque mondiale, préoccupée par l'amélioration de l'accès à la justice et la promotion des méthodes alternatives pour résoudre les conflits au profit des populationsdémunies16(*). Aussi, le programme MCA Bénin vise- t-il l'objectif d'améliorer les performances du système judiciaire et de créer l'environnement nécessaire au développement des activités du secteur privé. De façon spécifique, le MCA vise à rapprocher la justice des justiciables à travers l'amélioration du fonctionnement de l'appareil judiciaire ; promouvoir le recours à l'arbitrage, ... rétablir la confiance du citoyen et des opérateurs économiques dans le système judiciaire17(*).Ces prouesses suscitent l'actualité du thème. L'immense majorité des populations rurales ignore les droits consacrés par les normes nationales et internationales ratifiées par la République du Bénin (Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 28 juin 1981, etc.)18(*) Nombre d'auteurs : professeurSAWADOGO19(*) ; DEGNI-SEGUI20(*)en Afrique, se sont intéressés à cette thématique d'accès à la justice. Ce qui a fait l'objet de plusieurs publications d'ouvrages. Selon BADIANE, l'accès des pauvres à la justice se mesure certainementà l'aune de la procédure et au coût de justice. Pour SYLLA cité par LE ROY:«la grande majorité de la population ne se sentait pas concernée par le fonctionnement de l'appareil juridique dit moderne, car la plupart des affaires qui l'intéressaient étaient soumises aux tribunaux dits de droit indigène donc l'exception avec tous les aléas qu'ils comportaient»21(*). Il n'en demeure pas moins des publications consenties par nos compatriotes à cet effet : SOSSADorothé22(*)entre autre.L'accès à la justice est primordial. De ce fait, l'amélioration des relations entre la justice et les justiciables est essentielle. « Ainsi, si le modèle hérité de la colonisation est obsolète il n'est pas non plus envisageable de revenir à la justice indigène qui n'existe plus en tant qu'instance authentiquement africaine de règlement des conflits23(*) ». En effet, toute réforme de la justice est vouée à l'échec si elle n'est pas perçue par les justiciables comme s'opérant à leur profit. Il faut que la justice soit connue et comprise et qu'elle cesse d'être perçue comme étrangère, menaçante ou dangereuse. Sila Constitution béninoise assure l'égalité des citoyens devant la loi, il faut que tout citoyen dispose des moyens pour sa demande et sa défense devant les juridictions. Le manque d'information sur le système judiciaire s'ajoute à la méconnaissance générale dudit système. Cette méconnaissance étant bien préjudiciable à la justice qu'aux justiciables, il est urgent de créer une relation de proximité entre la justice et les justiciables via l'installation des cabinets d'information au voisinage des populations rurales. Loin d'être perçue comme protectrice de la liberté et garante des droits du peuple, la justice au vue des communautés rurales est plutôt répressive, car leur "vérité" trahit paraît évidente24(*). En s'inscrivant dans une vision de rendre la justice plus sociable, la promotion d'une justice équitable doit être au centre de toutes préoccupations liées au droit et à la justice. Il convient d'édifier une justice de qualité, efficace, crédible et accessible aux justiciables, contribuant ainsi à la paix sociale et au développement. Ce concept d'accès à la justice en milieu rural, s'il est cerné par tous, va améliorer un tant soit peu les efforts entrepris par les institutions étatiques en général, et en particulier par les pouvoirs locaux en matière de gouvernance et d'équité dans la répartition des richesses. La population, en tant que socle du développement, y jouera aussi sa partition dans l'effectivité de l'application d'une justice équitablepar la revendication de ses droits. Le choix de ce thème vient, du constat opéré sur laléthargie observéeà l'égard des autorités politico-administratives à améliorer le tissu judiciaire, malgré l'hostilité de la population rurale vis-à-vis des acteurs de la justice. La sensibilité de laproblématiquede l'accès à la justice en milieu rural ne cessera de subsister aussi longtemps qu'il existera des obstacles entre la justice et le justiciable du monde rural. En d'autres termes, les reformes en cours impacteront- elles positivement l'accès à la justice en milieu rural ? C'est autour de ces deux grandes questions que s'articulera l'ossature du travail. Il convient de retenir en toute hypothèse que l'accès à la justice en milieu rural est à la fois difficile(PremièrePartie),mais perfectible (Deuxième Partie). * 1Association des Femmes Juristes de Côte d'Ivoire avec l'appui de l'ONUCI et de la GTZ, Actes de la table ronde sur l'accès à la justice en Côte d'Ivoire, 2009, 77 p. * 2Cf article 8, DUDH * 3Cf article 10, DUDH Op.cit. * 4Cf article 7 al a, CADHP * 5 Ensemble évolutif de droits considérés en raison de leur importance comme s'imposant au législateur et au pouvoir règlementaire. R.Guillien, Lexique des termes juridiques, 17e éd Dalloz, p 282. * 6 J. DJOGBENOU, Cours manuscrit de droit judiciaire privé, 2e année, année universitaire 2011-2012. * 7A. KOSSI. et al, La réforme des systèmes de sécurité et de justice en Afrique francophone, organisation internationale de la francophonie, Paris, mars 2010, p 131. * 8 LAROUSSE, Dictionnaire de français, Paris 2008, p 3. * 9 J.RAWLS. Théorie de la justice, éd du seuil, p 29. * 10 Ministère de la justice de la législation et des droits de l'homme, Manuel d'information et de formation, éd 2009, p 17. * 11 G.CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd 2007, p 10. * 12A.MBEYAP KUTNJEM, Le droit à la justice au Cameroun (à l'origine de l'accélération de la modernisation du code pénal camerounais), DEA Droits de la personne et de la démocratie 2005. Mémoire online en ligne sur http://www.memoireonline.com/07/06/177/m_droit-justice-cameroun15.html, consulté le 03 /03/2014 à19h 03 min. * 13 J.-L. BURBAN, Conseil de l'Europe, éd PUF, collection « que sais-je ? » n° 885. * 14 A. KOSSI et al, Op. cit. p.189. * 15 J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, GF, Janvier 2001, p 56. * 16 A.KOSSI, et al, Op. cit. p.134. * 17 MCA Bénin en ligne sur mcabenein.bj/accesalajustice, Consulté le 15 décembre 2013 à 10h 32'. * 18Cfart 40 al 1 de la Constitution du 11 décembre 1990 en République du Bénin. * 19M.SAWADOGO, L'accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives, cas du Burkina-Faso. PP 295-309 in Colloques sur l'efficacité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté Francophone à Port-Louis les 29, 30 septembre et 1er octobre 1993, AUPELF, UREF, Montréal 1984, dossier pdf Consulté le 12/02/2013. * 20 R. DEGNI-SEGUI, L'accès à la justice et ses obstacles. pp. 241-254 in Colloques sur l'efficacité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté Francophone à Port Louis les 29, 30 septembre et 1er octobre 1993, AUPELF, UREF, Montréal 1994. * 21 E. LE ROY, Les africains et l'institution de la justice entre mimétismes et métissages, Dalloz, 2004, p 173. * 22 D. SOSSA, in A. KOSSI, Op.cit. p.319. * 23 E. LE ROY, Op. cit. p.174. * 24 A. BADIANE et al, Pauvreté urbain et accès à la justice en Afrique : Impasses et alternatives, éd sankoré PGU harmattan, 1995, p.51. |
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