La renonciation au recours en annulation en arbitrage OHADApar A. Mariane Fabiola OBROU-ASSIRI Université Catholique de l'Afrique de l'ouest- Unité Universitaire à Abidjan (UCAO-UUA) - Master en droit privé 2020 |
Paragraphe 2 : Les moyens de défense de la partie perdanteLa demande d'irrecevabilité de la sentence arbitrale peut aboutir pour deux raisons valables : soit parce que la convention d'arbitrage est défaillante174(*) (A) soit parce que l'arbitre a outrepassé ses pouvoirs (B). A- La défaillance de la convention d'arbitrage Le droit à la défense est un principe directeur du procès arbitral. Ce qui signifie que la partie qui n'est pas satisfaite de la décision rendue à le droit de se défendre au moyen de griefs pertinents. Parfois, la partie qui n'a pas obtenu gain de cause après que la sentence a été rendue, intente un recours en annulation de la sentence arbitrale. Mais lorsque la sentence est insusceptible de recours en raison de la renonciation au recours en annulation, il est difficile pour la partie perdante d'intenter ce recours. Néanmoins cette recevabilité du recours en annulation est possible dans la mesure où les moyens de défense sont pertinents. C'est dans ce sens qu'un arrêt de la Cour d'Appel d'Abidjan évoque que : « Le recours en annulation formé contre une sentence arbitrale est recevable nonobstant l'existence d'une clause de renonciation à ce recours signé par les parties. Ce recours doit toutefois être rejeté si les griefs soulevés ne sont pas pertinents »175(*). Le plus souvent dans ce genre de cas le recours est recevable lorsque l'arbitre rend sa décision sans convention d'arbitrage ou sur une convention d'arbitrage déjà expirée ou nulle176(*). A cet effet, l'existence et l'efficacité de la convention d'arbitrage s'apprécient d'après la commune volonté des parties sans qu'il soit nécessaire de référer à une loi étatique177(*). Sachant que nous sommes dans un arbitrage ad hoc c'est la loi que les parties ont choisi qui s'applique. Dès l'instant où la convention d'arbitrage n'est pas valable la partie perdante peut obtenir annulation de la sentence arbitrale. C'est pourquoi l'arbitre doit agir avec prudence et rigueur dans la résolution du litige afin que sa décision ne soit pas remise en cause178(*). A travers l'arrêt précité on constate que le champ d'application de la renonciation au recours en annulation est vraiment restreint car pourquoi renoncer si cette renonciation peut être écartée même si les parties l'ont valablement signé. Un autre moyen de défense pour obtenir recevabilité du recours en annulation est l'inobservation par l'arbitre de ses obligations. B- L'inobservation par l'arbitre de ses obligations Les obligations de l'arbitre sont multiples. Certains auteurs les répartissent en quatre grands groupes. Mais nous à notre niveau nous n'évoquerons que celles qui sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'arbitre. On peut les réunir en deux points : d'une part les obligations permanentes et d'autre part les obligations ponctuelles. Tout comme les parties, l'arbitre a aussi des obligations. Ses obligations résultent soit de la loi, de la convention des parties ou de la conscience morale de l'arbitre. Parmi ses obligations, il y a celles qu'on qualifie d'obligations permanentes parce qu'elles s'imposent à l'arbitre tout au long de l'arbitrage. C'est-à-dire du début du procès arbitral jusqu'à l'exécution de la sentence. Mais de façon générale, il pèse sur lui le devoir d'être impartial et indépendant vis-à-vis des parties à l'arbitrage179(*). Ce devoir permet de garantir l'éthique dans l'arbitrage qui se résume en un devoir d'agir équitablement180(*). C'est-à-dire que l'arbitre doit agir selon les règles de justice naturelle (droit à un procès équitable, dans un délai raisonnable...). Étant donné que la renonciation au recours en annulation est la manifestation de la volonté des parties, l'arbitre doit s'y conformer tout en tenant compte des règles impératives de la loi d'arbitrage181(*). Même en tant qu'amiable compositeur, « il ne peut écarter toute règle de droit. Il peut uniquement écarter les droits nés de l'application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer »182(*). Il doit respecter la forme procédurale de l'arbitrage choisie par les parties, veiller au respect de la confidentialité de l'arbitrage, en cas de récusation se déclarer incompétent. L'AUA n'a pas expressément prévu que l'obligation de confidentialité s'étendait au-delà de l'instance arbitrale. C'est plutôt le règlement d'arbitrage de la CCJA qui le prévoit en son article 14.Il dispose en son alinéa 2 que : « Sous réserve d'un accord contraire de toutes les parties, celles-ci et leurs conseils, les arbitres, les experts et toutes les personnes associées à la procédure d'arbitrage, sont tenus au respect de la confidentialité des informations et documents qui sont produits au cours de cette procédure. La confidentialité s'étend, dans les mêmes conditions, aux sentences arbitrales »183(*). Cette obligation exige que l'arbitre règle le différend dans un cadre privé et veille à ce qu'aucune des parties et même lui ne divulguent rien de l'instance arbitrale. Il ne doit pas être négligent dans son travail. En cas d'inobservation, il doit répondre de ses manquements en réparant le préjudice causé aux parties. Étant donné que l'AUA ne prévoit expressément aucune sanction quant à l'irresponsabilité de l'arbitre ; c'est bel et bien sur le fondement du droit commun que l'arbitre verra sa responsabilité engagée. De façon précise, c'est sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil ivoirien. L'arbitre peut voir aussi sa responsabilité pénale engagée lorsqu'il se rend coupable de corruption, d'escroquerie ou bien même de faux en écriture. C'est le cas par exemple d'un arbitre qui a omis de déclarer ses liens étroits avec les parties. Il sera poursuivi pour faux et usage de faux dans sa déclaration d'indépendance. En plus des obligations permanentes qui lui sont imposées, il y a également des obligations ponctuelles. Les obligations ponctuelles sont celles qui interviennent à une étape bien précise de l'instance arbitrale. C'est-à-dire qu'il y a certaines obligations qui interviennent pendant l'instance arbitrale et d'autres au terme de celle-ci. De prime abord, l'arbitre doit accomplir sa mission pour laquelle il a été désigné qui est celle de trancher le litige. On dit qu'il a l'obligation de participer à l'instance. Ceci implique sa disponibilité, sa transparence dans la résolution du litige. Ensuite, il doit traiter les parties sur un pied d'égalité. Comme nous ne cessons de rappeler depuis le début de notre travail, les parties à l'arbitrage ont les mêmes droits c'est pourquoi elles doivent être traitées de façon égale. C'est à l'arbitre que revient cette tâche de contrôler et/ou de rétablir l'égalité entre les parties184(*). Sur la liste de ses obligations figure celle du respect de l'égalité des droits des parties. Cela signifie que l'arbitre a le devoir de respecter et de faire respecter les droits des parties. Bien souvent, il n'en fut pas le cas. En raison de l'impécuniosité, de l'analphabétisme de l'une des parties ou bien même de son affinité avec l'une d'entre-elles, l'arbitre ne parvient pas à traiter les parties sur un pied d'égalité. Un tel comportement constitue une entrave à l'effectivité de la renonciation au recours en annulation. Enfin, il doit prononcer la sentence dans un délai raisonnable afin d'éviter la lenteur de la procédure. A l'issue du procès arbitral, la partie perdante peut se baser sur le fait que l'arbitre ne respecte pas ses obligations pour que la sentence arbitrale soit déclarée irrecevable. De fait, dès l'instant où la sentence est déclarée irrecevable pour inobservation par l'arbitre de ses obligations, la renonciation est aussi irrecevable. On constate que la renonciation au recours en annulation est une notion « très fragile » dans le sens où son effectivité dépend non pas du fait qu'elle ait été clairement stipulée mais plutôt de la sentence justement rendue. C'est pourquoi l'arbitre doit veiller au respect des garanties fondamentales de bonne justice. Etablir une règle sans véritablement la développer présente d'énormes difficultés pour celui qui la met en pratique. C'est évidemment le cas de la renonciation au recours en annulation. Les parties, l'arbitre et même la justice arbitrale sont confrontés à des difficultés suite à la renonciation. Celles que rencontre l'arbitre sont plurielles : difficultés d'appréciation de l'ordre public international parce qu'imprécis, difficulté de protection efficace de la partie faible, manque de réglementation en arbitrage OHADA du traitement égal des parties, ...etc. Les difficultés que rencontrent les parties sont les suivantes : existence d'une partie faible à la renonciation, absence de protection efficace des intérêts des parties, le coût élevé de la procédure arbitrale, une possible remise en cause de la renonciation. Quant à la justice arbitrale, sa célérité et son efficacité peuvent être remise en cause par les justiciables. Toutes ces difficultés engendrent des dénis de justice, des procédures dilatoires, l'instauration d'une méfiance des justiciables quant au recours à l'arbitrage. Avec la renonciation au recours en annulation, l'arbitrage est extrêmement libéral mais ces effets sont particulièrement importants185(*). C'est pourquoi le législateur OHADA doit impérativement remédier aux problèmes qui en découlent. * 174 SOH FONGO (D.), Le contentieux de l'annulation des sentences issues de l'arbitrage traditionnel dans l'espace de l'OHADA, Revue camerounaise de l'Arbitrage n°23-octobre-novembre-décembre 2003, p.1.5 * 175 CAA, Ch. Civ. Et Com., arrêt n°1060 du 25 juillet 2003, M. VUARCHEX Jacques Pascal (Mes Yves N'DIA) c/ Ste Nouvelle de Gadouan dite S.N.G. (Me Jules AVLESSI), Actualités juridiques n°51, p. 326, note François Komoin.op.cit. * 176Article 26 al.2 AUA : « Le recours en annulation n'est recevable que : a) si le tribunal arbitral a statué sans convention d'arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ». * 177KENFACK (H.), Droit du commerce international, op. cit., p.56, cité par civ.1re, 20 déc.1993, Dallico, préc. * 178MARQUIS (L.), La compétence arbitrale : une place au soleil ou à l'ombre du pouvoir judiciaire, 21 R.D.U.S., 1990, 324p., p.311 * 179MOREAUX (A.), « La partie faible dans l'arbitrage », 25 mai 2016, disponible sur : http://www.affiches-parisiennes.com, [consulté le 12 novembre 2019]; NAJIB (M.), L'intervention du juge dans la procédure arbitrale, op. cit., p.207 ; KOUASSI (C.), L'annulation arbitrale au Québec et dans l'espace OHADA : approche comparée, op. cit., p.59 à 61. * 180 DELABRIERE (A.) et FENEON (A.), « La constitution du tribunal et le statut de l'arbitre dans l'Acte uniforme OHADA », disponible sur : www.ohada.com, Ohada D-12-70. * 181 SOSSOU (B.J.), Etude comparée de l'arbitrage international dans l'OHADA et en Suisse, (2. Les droits et obligations des arbitres), Université de Genève, DEA2006, disponible sur : http://www.memoireonline.com, [consulté le 12 novembre 2019]. * 182 SERAGLINI (C.) et ORTSCHEIDT (J.), Droit de l'arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n°884 p. 878. * 183 Voir Article 14 al.2 de règlement d'arbitrage de la CCJA. * 184Article 9 al. 1er AUA : « Les parties doivent être traitées sur un pied d'égalité et chaque partie doit avoir toute possibilité de faire valoir ses droits » * 185 BURDA (J.),La renonciation au recours en annulation dans le nouveau droit français de l'arbitrage, op. cit. |
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