Selon le psychologue Albert Bandura 13 ,
l'auto-efficacité, ou le sentiment d'efficacité personnelle, se
définit par la croyance d'un individu en ses capacités et la
conviction de leur réussite. « Son postulat repose sur les attentes
d'un individu en matière d'efficacité de ses propres
actions14 ». Comme le modèle de Shapero et Sokol le
mettait en évidence précédemment dans notre étude,
différents facteurs influencent l'intention d'entreprendre. Selon
Krueger et Carsrud (1993), l'intention est précédée de
trois facteurs : l'attractivité perçue du comportement
entrepreneurial, la perception sociale des normes concernant l'entrepreneuriat
ainsi que la perception de du contrôle comportemental et donc de
l'auto-efficacité, ce dernier facteur déterminant la
faisabilité du projet. La faisabilité perçue se
définit donc par les possibilités d'entreprendre perçues
par l'entrepreneur et liées à
13 BANDURA, Albert,
Auto-efficacité : le sentiment d'efficacité personnelle,
Liège : De Boeck, 2002.
14 Définition de la
théorie de l'auto-efficacité, e-marketing : [En ligne :
https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Auto-efficacite-theorie-240613.htm].
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l'environnement et aux potentialités concrètes.
La perception de la faisabilité évolue en fonction du sentiment
d'auto-efficacité et de la capacité à dépasser les
difficultés liées au terrain. Ce sentiment conditionne
l'état d'esprit et les actes de la personne, modelant son intention et
ses ambitions. En effet, plus le sentiment d'auto-efficacité sera
élevé, plus l'individu sera volontaire dans la poursuite de ses
efforts afin d'atteindre son objectif. En 2003, Bandura mettait au jour les
quatre sources déterminant le niveau
d'auto-efficacité15:
- Une expérience active de maîtrise. Il
s'agit là d'une source fondamentale de l'auto-efficacité. Elle
est basée sur la maîtrise qu'a l'individu concernant les
tâches à effectuer. En d'autres termes, plus l'entrepreneur
naissant aura des expériences réussies dans les
différentes tâches qui incombent à la réalisation de
son projet, plus ses croyances en ses capacités personnelles seront
renforcées. En revanche des expériences échouées
dans ce domaine mettront à mal son sentiment
d'auto-efficacité.
- Une expérience indirecte ou vicariante. Elle
repose sur les comparaisons sociales. L'observation d'une expérience
réussie chez ses pairs augmentera l'auto-efficacité de
l'individu.
- Une persuasion verbale venant d'autrui. Des conseils
ou encouragements peuvent renforcer la croyance de l'individu en son potentiel
et créer un climat de confiance. Cette source est à nuancer : le
discours peut être perçu différemment selon la personne
ressource. Interviennent en effet des facteurs tels que la
crédibilité, l'expertise ou encore les liens affectifs qui
existent entre les individus.
- Un état physiologique et émotionnel stable
et positif. Certains états émotionnels, tels que
l'anxiété, peuvent écorner la performance et donc
réduire l'auto-efficacité. Au contraire, quand l'individu
parvient à surmonter ces états émotionnels
néfastes, son auto-efficacité s'en retrouve renforcée.
Ces quatre sources sont complémentaires, et sont
mobilisables au cours du processus entrepreneurial pour contribuer à
renforcer le sentiment d'efficacité personnel de l'individu. Quand il
existe une inadéquation entre le degré d'auto-efficacité
et les objectifs attendus cela peut être néfaste au comportement
entrepreneurial. Comme le suggère le tableau ci-
15 RONDIER, Maïlys, « A.
Bandura. Auto-efficacité. Le sentiment d'efficacité personnelle.
Paris : Éditions De Boeck Université, 2003 », L'orientation
scolaire et professionnelle, septembre 2004, p. 475-476.
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dessous, un sentiment d'efficacité personnel faible
associé à des attentes de résultats élevés
entraînera nécessairement une auto dévalorisation, un
découragement. En revanche un sentiment d'efficacité personnel
élevé associé à des attentes de résultats
élevés sera moteur et favorisera les aspirations, l'engagement
productif de l'individu et le sentiment de réussite personnel. Ainsi,
conscient de ses atouts ou carences l'individu peut ajuster son comportement,
ré envisager ses attentes et redéfinir ses objectifs.
Tableau 1 : Configurations de Bandura16
La théorie de Bandura montre par conséquent
qu'une pédagogie de la réussite couplée à un
environnement positif et apaisé augmente les chances d'un individu
à croire en ses capacités, et, parallèlement, son
intention d'entreprendre.
À présent que l'auto-efficacité est
définie, nous nous interrogeons sur la possibilité d'en
apprécier la place qu'elle occupe dans le processus entrepreneurial d'un
individu. D'une part, nous imaginons qu'il est possible de déterminer
son degré lors d'entretiens verbaux. En effet, si l'entrepreneur est
enjoué et démontre sa motivation, il va sans dire que son
sentiment d'efficacité personnelle sera au beau fixe. Mais puisque
l'auto-efficacité est « la croyance des individus en leur
capacité de mobiliser les ressources nécessaires pour
maîtriser les événements qui affectent leur existence
(Bruchon-Schweitzer, 2014)17 », il est
16 COLLECTIF, 2004, De l'apprentissage
social au sentiment d'efficacité personnelle. Autour de l'oeuvre
d'Albert BANDURA, l'HARMATTAN, 175 : [En ligne :
https://ent2d.ac-bordeaux.fr/disciplines/hotellerie/wp-content/uploads/sites/46/2018/05/BANDURA_Theorie.pdf].
17 Nagels, M. (2016).
L'auto-efficacité, une ressource personnelle pour s'autoformer.
Apprendre par soi-même aujourd'hui. Les nouvelles modalités de
l'autoformation dans la société digitale (p. 65-79). Paris :
Editions des archives contemporaines, p.3. : [En ligne :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01297031/document].
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également possible de la mesurer en observant la
trajectoire de l'entreprise et sa réussite. Toutefois, nos recherches
font état de l'existence d'un outil plus concret : l'échelle des
sentiments d'auto-efficacité aux décisions de carrière
(Career Decision Self-Efficacy Scale - CDSES18). En 1983 Taylor et
Betz19, se basant sur les théories de Bandura,
réalisent que l'auto-efficacité est déterminante dans
l'élaboration des choix de carrière et des décisions
d'orientation. Ils partent du postulat que parvenant à mesurer ce
sentiment ils pourront davantage appréhender les choix d'orientation et
traiter l'indécision. Pour cela, ils proposent de sonder cinq domaines
de compétences qu'ils considèrent comme des facteurs clés
des comportements individuels conduisant l'orientation professionnelle :
l'auto-connaissance, la recherche d'informations sur le secteur visé,
les objectifs, la planification et la prise en compte des problématiques
pouvant survenir tout au long du parcours. À chaque domaine ils
associent une dizaine d'items pour lesquels le répondant doit
évaluer son degré de confiance de 0 (= pas de confiance) à
9 (= confiance parfaite). Très vite, cette échelle est devenue
dans le domaine du conseil d'orientation des choix un outil de
référence. Au fil du temps, pour simplifier son utilisation, le
nombre d'items est passé de 50 à 25 et les modalités de
réponses restreintes de 10 à 5. Un score est ainsi
élaboré et permet de conclure à un certain degré
d'auto-efficacité. Cependant cette échelle, bien qu'elle soit la
seule, à notre connaissance, qui permette d'apprécier
l'auto-efficacité d'un individu, voit son champ d'application restreint
aux choix des orientations professionnelles. Puisque la notion
d'auto-efficacité gagne progressivement du terrain dans la
réflexion des facteurs influençant le comportement
entrepreneurial, il serait judicieux d'en adapter les items pour mesurer ce
sentiment chez l'entrepreneur naissant.
Le sentiment d'auto-efficacité est donc
primordial lors de la phase de démarrage d'une entreprise. Il impulse
une dynamique positive à l'initiative entrepreneuriale nécessaire
à sa pérennité. Il renforce la faisabilité
perçue de l'entrepreneur et donc son intention. Cela est d'autant plus
vrai dans un contexte d'entrepreneuriat contraint où la
désirabilité perçue (second déterminant majeur de
l'intention entrepreneuriale) est souvent nulle.
18 Jean-Philippe Gaudron, «
L'échelle des sentiments d'auto-efficacité aux décisions
de carrière - forme courte : une adaptation française pour
lycéens », L'orientation scolaire et professionnelle [En ligne],
42/2 | 2013, mis en ligne le 07 juin 2016, consulté le 06
décembre 2018. URL :
http://journals.openedition.org/osp/4108
19 Taylor, K. M., & Betz, N. E.
(1983). Applications of self-efficacy theory to the understanding and treatment
of career indecision. Journal of Vocational Behavior, 22, 63-81.