Si le concept d'intention a grandement été
étudié sous l'angle des sciences sociales et de la psychologie,
il a aussi intéressé les disciplines de science de gestion telles
que la gestion des ressources humaines, le marketing ou encore
l'entrepreneuriat. On dénombre alors plusieurs modélisations
selon les approches.
En 1975, Shapero a été le premier à
proposer une modélisation du concept adapté à
l'entrepreneuriat. Il considère l'intention entrepreneuriale comme
étant sous le joug deux éléments clés: la
faisabilité et la désirabilité du projet telles qu'elles
sont perçues par l'entrepreneur. S'agissant d'une perception, ces
notions sont subjectives et s'appuient donc sur les caractéristiques
psychologiques du créateur, influencées par le contexte
sociologique et économique. À noter que l'existence concomitante
des deux notions n'est pas nécessaire à la naissance de
l'intention. En effet si un projet semble faisable pour l'individu, l'intention
peut exister sans qu'il y ait de désir pour ce projet. On se trouve
alors dans une situation d'entrepreneuriat contraint.
Figure 3 : Le modèle de Shapero, 1975.
En 1982, Shapero et Sokol complètent ce modèle
en y ajoutant la notion de déplacement. Ils considèrent
en effet que l'engagement d'un individu dans un processus qui le mènera
à la création de sa propre activité, est en premier lieu
déterminé par le contexte social et culturel. Ils mettent ainsi
au point le modèle de la formation de l'événement
entrepreneurial ci-dessous. Ils inscrivent la formation d'une entreprise sur
une trajectoire, impulsée par des évènements de vie
majeurs. Selon eux, il en est de trois sortes : les déplacements
négatifs, les situations intermédiaires et les
déplacements positifs. Par « déplacements négatifs
» ils
renvoient à des évènements bousculant la
trajectoire de vie d'un individu et l'orientant alors vers la démarche
entrepreneuriale. Il s'agit là de raisons pour lesquelles l'entrepreneur
sera contraint de créer son activité : émigration
forcée, perte d'emploi, ennui, atteinte de l'âge moyen, divorce ou
veuvage. Les « situations intermédiaires » perturbent
également la trajectoire de vie de l'entrepreneur naissant, mais
à la différence des déplacements négatifs, ces
situations sont prévisibles. Elles sont représentées par
l'achèvement d'une étape de vie telle que la fin du service
militaire ou d'une scolarité. Elles orientent l'individu davantage par
la contrainte que par l'opportunité. Enfin, par déplacements
positifs ils entendent l'ensemble des facteurs sociaux et environnementaux qui
vont offrir à l'individu l'opportunité d'entreprendre.
Il peut s'agir de l'influence d'un mentor, de l'existence de clients d'affaire
potentiels ou encore de l'obtention d'une opportunité financière
telle qu'un héritage.
Figure 4 : Modèle de la formation de
l'événement entrepreneurial (Shapero et Sokol,
1982)11
11 DIAMANE, Mounia, SALAH, Koubaa,
« Les approches dominantes de la recherche en
entrepreneuriat », 2016 : [En ligne :
https://www.researchgate.net/publication/311738962_Les_approches_dominantes_de_la_recherche_en_en
trepreneuriat].
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En 1993, Krueger fait évoluer ces modèles en y
ajoutant une notion clé : celle de l'intention et de la propension
à l'action.
Figure 5 : Modèle de l'événement
entrepreneurial repris par Krueger, 1993.
La théorie du comportement planifié d'Icek
Ajzen voit le jour entre 1985 et 1991 et constitue une théorie de
référence dans l'étude des comportements intentionnels.
Elle permet, entre autre, de mettre en exergue les façons de modifier le
comportement des individus. En cela, elle a beaucoup été
utilisée en psychologie et notamment en thérapie comportementale.
Appliquée à l'entrepreneuriat, la théorie d'Azjen s'appuie
sur l'idée que tout comportement humain qui se veut effectif doit
être planifié. Il résulte alors d'une succession de
croyances qui sont à la base de l'intention. Celles-ci se
découpent en trois volets : les croyances comportementales qui
influencent l'attitude de l'entrepreneur, les croyances normatives qui
influencent les normes subjectives, et enfin les croyance de contrôle qui
influencent le contrôle comportemental. L'attitude envers le comportement
ainsi que les normes subjectives peuvent ensemble s'apparenter à la
désirabilité perçue tandis que le contrôle
comportemental correspond davantage à la faisabilité. Ce
modèle reprend finalement les deux notions clés de
désirabilité perçue et faisabilité perçue en
les rattachant à des croyances, sur lesquelles on peut agir pour
modifier l'intention.
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Figure 6 : Théorie du comportement planifié (Ajzen,
1991)
En 2006, Tounès fait une synthèse de l'ensemble de
ces théories qu'il réunit dans le schéma ci après.
Il identifie ainsi onze facteurs pouvant modifier l'intention
d'entreprendre.
Figure 7 : Modélisation théorique de l'intention
entrepreneuriale12
12 A. Tounes, L'intention
entrepreneuriale des étudiants : le cas français, Revue des
Sciences de gestion, Direction et Gestion, Mai/Juin, n°41 (2006), p.
219.
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Définir ce qui influence ou conditionne
l'intention présente un intérêt majeur en ce qu'il permet
de prédire le comportement de l'individu. Les théories
élaborées à ce sujet se sont affinées au cours du
temps et ont permis de mettre en évidences deux concepts majeurs, celui
de la désirabilité perçue et celui de la
faisabilité perçue. En ce qui concerne la
désirabilité, on retiendra qu'elle est conditionnée par
les croyances comportementales et les croyances normatives. Par exemple, un
projet peut être désirable quand émerge une idée
d'entreprise (croyance comportementale) ou encore quand il existe dans
l'entourage de l'individu des exemples de réussite entrepreneuriale
(croyances normatives). A contrario, la désirabilité sera
ébranlée dès lors qu'il existera une contrainte, telle que
la perte d'emploi (déplacement négatif), et davantage encore si
les croyances comportementales ou normatives ne sont pas en faveur du projet :
absence d'information, absence de modèle ou encore peur du risque. En ce
qui concerne la faisabilité perçue, elle correspond à la
perception du contrôle comportemental, autrement dit au degré de
facilité avec lequel l'individu s'imagine parvenir à la
réalisation du projet. Cette perception du contrôle de la
situation s'apparente au concept d'auto-efficacité de Bandura que nous
approfondissons dans la partie suivante.