4. Bilan de l'expérience entrepreneuriale
Il s'agissait dans ce troisième et dernier temps de nos
entretiens de s'interroger sur le développement du sentiment
d'auto-efficacité. Pour cela nous avons demandé aux entrepreneurs
quelles compétences ils avaient acquises et comment. Cela nous
permettait de juger de l'évolution de leur expérience active de
maîtrise. Nous nous sommes également intéressés
à ce qui, avec du recul, pouvait constituer des «
compétences clés » indispensables à l'entrepreneur.
Enfin nous nous sommes enquis de leur satisfaction vis à vis de la
trajectoire de l'entreprise et notamment de l'adéquation ou non de la
réalité avec leurs attentes d'objectifs. Notons le cas
particulier d'Iris : étant en cours de création elle n'avait pas
suffisamment de recul pour juger de l'évolution de son
auto-efficacité ni pour décrire la trajectoire de son entreprise.
Elle ne figure donc pas dans cette partie de notre analyse.
55
a) Compétences acquises et outils
mobilisés
Dans ce paragraphe nous dressons pour chaque entrepreneur le
bilan des compétences acquises et des ressources mobilisées pour
y parvenir. Nous synthétisons plus bas l'ensemble des résultats
dans un tableau.
Pour surmonter les obstacles auxquels il a été
confronté, Djamil a su faire preuve de résilience : « j'ai
fait avec ». Il s'est appuyé sur le soutien de sa famille mais
aussi celui de son médecin. Il dit en riant : « je suis allé
voir le Dr L. il m'a écouté, et prescrit des cachets, et
ça a été ». Il traduit ainsi la lourde charge
émotionnelle à laquelle il a été confronté
et la patience et le courage dont il a su faire preuve pour avancer
malgré tout.
Il estimait avoir acquis des compétences dans sa
relation avec les clients, mais aussi de gestion (négociation avec les
fournisseurs) et de comptabilité (calcul des marges pour
améliorer sa rentabilité « parce qu'au début je
n'étais pas rentable du tout »).
Karim a dû faire face à un accroissement de ses
responsabilités : « Plus la structure devient grande, plus grandes
sont les charges et les responsabilités. » Pour cela, il n'a
bénéficié d'aucune formation ni aucun accompagnement
« c'est le terrain qui m'a formé ». Il a trouvé avec
son associé les ressources nécessaires : « nous avons
dû provisionner et augmenter le capital de notre entreprise pour palier
à ce changement. », il décrit ça comme une «
maturité professionnelle ». Il a acquis des compétences de
gestionnaire « comptables, financières et administratives
».
Mehdi nous affirmait avoir acquis des compétences
organisationnelles : « Je suis mieux organisé E...] quand c'est
bien organisé ça rassure. E...] j'optimise mieux mon temps
», des compétences en comptabilité : « Je sais lire un
bilan, un compte de résultat ce qui n'était pas le cas il y a 5
ans » et des compétences de gestionnaire : « J'arrive à
optimiser mes stocks » « le côté administratif ne me
fait plus peur, même si parfois je suis très en retard mais c'est
déjà mieux. ». Pour parvenir à cet accroissement de
compétences, il a utilisé les conseils d'un comptable, et est
toujours accompagné par celui-ci : « Aujourd'hui ce n'est plus un
problème car j'ai un comptable qui gère le côté
fiscal ». Il s'appuie également sur les relations qu'il a
développées : « au pire je sais que j'ai un réseau
sur lequel je peux
56
compter ». De plus, il a bénéficié
d'un accompagnement par une association (la BGE) mais estimait que le temps que
les conseillers lui accordaient était insuffisant pour l'aider
solidement dans sa démarche. « Je me rappelle que mon premier
rendez-vous avec mon conseiller, il s'était qualifié de guide et
les rendez-vous était limités à quelques quantités
de 30 minutes. Quand tu as zéro connaissance au départ et qu'on
te dit que tu as 30 minutes pour poser des questions, tu as envie d'aller
à l'essentiel sans forcément brûler des étapes.
» Enfin, il a eu recours à des formations pour « avoir un
minimum de connaissance au niveau compta, prévisionnel, faire une
étude de marché, créer un site internet. »
Laure a été accompagnée par la BGE mais
surtout par une coopérative d'entreprise qui lui a offert la
possibilité de faire du « portage salarial » afin qu'elle
puisse tester son idée. Elle a su surmonter sa peur du risque financier
: à la question quelles obstacles avaient vous surmonté, elle
répond : « Pas d'obstacles en particulier... on peut
considérer que le risque financier était un obstacle ». Elle
estime aujourd'hui être plus « sage » et avoir une meilleure
capacité d'analyse : « J'ai appris à m'assagir un peu,
à prendre le temps de réfléchir, regarder les
différents points. »
Paul estime quant à lui avoir surmonté des
obstacles de deux types : « d'ordre matériel, purement financier,
de trésorerie » et de gestion du stress. Pour cela il n'a
bénéficié d'aucun accompagnement. Il a
développé des compétences d'organisation et planification
: « J'essayais d'anticiper au maximum et systématiquement
c'était de pouvoir boucler, de faire des commandes le plus rapidement
possible, le mieux possible pour pouvoir être payé. ». Il a
également acquis des compétences en gestion financière :
« des compétences de contrôle de gestion qui m'ont mieux fait
comprendre les charges sociales, la trésorerie, le fond de roulement
», et des capacités d'analyse : « prendre un peu plus de recul
et de hauteur avant d'entamer une action. »
Enfin, Victor a surmonté des difficultés d'ordre
administrative : « je me disais : je vais commencer à embaucher,
URSSAF aïe aïe . C'était un peu nébuleux. Un peu sur
les sociétés j'avais un peu perçu parce qu'à chaque
fois les modif' avec la CSG-CRDS. ». Il affirme avoir
développé des compétences en relation client : « tu
dois être concis et savoir quand tu peux te laisser aller à des
familiarités. ». Des compétences en organisation,
planification : « quand
57
il y a un problème ou quoi que ce soit, tu dois
être présent quand même. Déjà juste identifier
un besoin, le catégoriser et savoir quel niveau de réponse au
niveau de l'urgence mettre en place », compétences commerciales
« maintenant je peux vendre n'importe quoi à n'importe qui ».
Pour cela il a utilisé ses ressources propres : « Les
compétences en gestion c'est ça, il faut quand même
à un moment se faire violence et puis en faire quoi. » Mais
également le soutien de son épouse pour la gestion et la part
commerciale : « heureusement que j'avais une femme qui m'a aidé
à faire ma gestion [...] qui est allée avec mois dans les salons
».
Une compétence revient donc dans tous les entretiens :
la gestion, aussi bien comptable qu'administrative. Nous pouvons donc
incontestablement l'identifier comme une compétence clé de
l'entrepreneur. Et nous pouvons également affirmer que dans la mesure
où elle a été citée par l'ensemble des
entrepreneurs dans la catégorie « compétences acquises
», elle n'était pas maîtrisée au début du
projet entrepreneurial. Ceci constitue un paradoxe qu'il est important de
mettre en lumière. Les autres compétences manquantes et acquises
au cours du processus sont : l'organisation, la capacité d'analyse, la
relation client et les compétence commerciales (mise en valeur des
produits ou services). Pour développer leurs compétences, trois
entrepreneurs sur les six ont eu recours à un accompagnement, duquel il
n'était pas toujours satisfait ; trois affirment avoir mobiliser leurs
ressources propres (détermination, recherches, auto-apprentissage) ;
deux se sont appuyés sur leur entourage familial ou personnel ; et seuls
deux d'entre eux ont bénéficié de formation. Il s'agit
là encore d'un paradoxe : alors qu'ils avaient conscience de leurs
lacunes dans certains domaines, seuls deux entrepreneurs sur six ont choisi de
se former. Dans la dernière colonne du tableau de synthèse, nous
faisons figurer les qualités que les interviewés pensaient
être nécessaires à la réussite d'un projet
d'entreprise. Elles permettent d'apporter un éclairage différent
sur les comportements qu'ils ont adoptés pour développer leurs
compétences. Notons que dans cette analyse ci, nous ne mettons pas en
évidence de franche disparité dans les discours des
entrepreneurs.
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|
Outils mobilisés
|
Compétences acquises
|
Qualités nécessaires
|
Djamil
|
- soutien de son entourage : médecin, famille
- +/- mission locale
|
- gestion, comptabilité - relation client
|
- Résilience
- Travail
- Courage
- savoir prendre des
risques, audace
|
Karim
|
- ressources propres « maturité
professionnelle »
|
Gestionnaire : administratif, comptable et financier.
|
- Rigueur
- Etre ambitieux - Persévérance,
résilience
|
Mehdi
|
- réseau solide
|
- organisation, planification
|
- savoir prendre des
|
|
- conseils d'expert
|
- gestion comptable et
|
risques, audace
|
|
- accompagnement
|
administrative
|
- Être organisé
|
|
- formation
|
|
|
Laure
|
- accompagnement
|
- capacité d'analyse
|
- confiance en soi
|
|
- portage salarial
|
|
- patience
|
|
- formation
|
|
- courage
|
|
|
|
- savoir prendre des risques, audace
|
|
|
|
- Rigueur
|
Paul
|
- ressources propres
|
- planification
- gestion financière
|
- savoir prendre des risques, audace
|
|
|
- capacités d'analyse
|
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Victor
|
- ressources propres
|
- planification, organisation
|
- Concision (qualité
|
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- entourage familial
|
- relation client
|
commerciale)
|
|
|
- compétences commerciales
|
- Rigueur, méthode
|
|
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|
- Être humble
|
|
|
|
- Résilience
|
Tableau n°9 : Évolution des compétences et
outils mobilisés
|