La mise en œuvre de la responsabilité pénale du chef de l'état en droit congolais, en droit français et en droit international.( Télécharger le fichier original )par Yves KASHOSI CIRHUZA Université catholique de Bukavu - Licence 2010 |
Section 2. Les immunités constitutionnelles§1. NotionLa majorité de la doctrine définit l'immunité constitutionnelle par sa finalité. Elle est une protection accordée par le droit constitutionnel au titulaire d'un mandat ou d'une fonction politique pour exercer librement ce mandat ou cette fonction. Une telle définition juxtapose deux éléments : l'un, formel, qui est la protection de nature constitutionnelle (argument formel) et l'autre, un élément finaliste. Si l'on met l'accent sur ce dernier caractère, on court alors le risque de ne pas être en mesure de marquer la spécificité de l'immunité constitutionnelle par rapport à celle du droit international. Celle-ci est aussi une protection fonctionnelle21(*). On a voulu aussi restreindre cette définition en proposant une conception qualitative de cette finalité, en introduisant un élément relatif à la nature des poursuites auxquelles il faudrait faire obstacle : seules les poursuites infondées entraineraient l'inexistence des immunités. En réalité, si l'immunité vise bien, à l'origine, à protéger les gouvernants contre les poursuites malveillantes, elle ne peut être définie par cette finalité spécifique. Il en résulte que l'immunité peut protéger un gouvernement aussi bien contre les poursuites fondées et dépourvues d'arrières pensées politiques22(*). L'immunité constitutionnelle peut donc être perçue comme une garantie politique accordée aux gouvernants dans le but de les protéger d'éventuelles intrusions ou empiétements d'autres pouvoirs publics, et plus particulièrement du pouvoir judiciaire23(*). Elle est donc un obstacle procédural à la mise en cause de leur responsabilité. §2. Immunités et privilèges de juridictionLe mot immunité est l'un des termes du droit que l'on est le plus tenté d'employer sans lui donner un sens précis24(*). Du latin « munus » (charge) précédé d'un préfixe privatif, l'immunité trouve son origine dans le droit romain pour désigner l'exemption d'une charge c'est-à-dire de toute obligation imposée par la loi, la coutume ou l'autorité25(*). Le vocabulaire juridique dirigé par Gérard CORNU en propose-t-il double acceptation : au sens strict, elle est une « cause d'impunité qui, tenant à la situation particulière de l'auteur de l'infraction au moment où il commet celle-ci, s'oppose définitivement à toute poursuite, alors que la situation créant le privilège a pris fin ». Au sens large, elle désigne un privilège faisant échapper une personne, en raison d'une qualité qui lui est propre, à un devoir ou à une sujétion pesant sur les auteurs : prérogatives reconnues à une personne l'exemptant à certains égards de l'application du droit commun26(*). L'immunité est une cause d'irresponsabilité pénale qui peut résulter soit de la qualité de l'auteur des faits, soit des circonstances de l'infraction, soit de ces deux éléments à la fois. Elle présente parfois un caractère général, mais le plus souvent elle est limitée à certaines infractions27(*). Contrairement à l'immunité qui a pour principale conséquence d'interdire l'action en justice de se poursuivre, le privilège de juridiction quant à lui, conduit la juridiction de droit commun à se déclarer incompétente pour toute action dont elle est saisie28(*). L'immunité fait barrage à l'application juridictionnelle des règles relatives à la responsabilité. Elle neutralise la responsabilité mais n'anéantit pas le droit ...29(*). Ainsi, l'immunité peut uniquement faire obstacle pendant un certain temps à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale sans qu'elle ne puisse exonérer la personne qui en bénéficie. L'immunité ne saurait être considérée comme une irresponsabilité. Les immunités des agents de l'Etat et de leur entourage sont attachées à leurs fonctions, et non à leur personne ; l'exercice à leur égard, par un sujet interne ou par un Etat étranger, des pouvoirs juridictionnels et d'exécution qu'offre le droit interne de celui-ci menace potentiellement la liberté d'action de l'Etat dont ils se trouvent être les agents : qu'on pense par exemple aux pressions qui pourraient résulter de ce qu'une autorité publique de l'Etat territorial aurait le pouvoir de poursuivre pénalement, ou se (sic) s'abstenir discrétionnairement de le faire, non seulement le représentant d'un autre Etat- et sans qu'il y ait lieu de distinguer ici la qualité dans laquelle il agit- mais aussi les personnes qui vivent dans son intimité ou dont le sort intéresse spécialement30(*). La doctrine distingue une typologie de l'immunité fonctionnelle : Inviolabilité et irresponsabilité31(*). L'inviolabilité de la personne s'analyse comme une protection spécialement garantie par le droit pénal de l'Etat ... et qui ... ne résulterait d'ailleurs que d'un usage de pure courtoisie32(*) qui exclut qu'une personne puisse en principe faire l'objet des mesures de contrainte liées à la mise en oeuvre de procédures juridictionnelles33(*), s'oppose donc à des agissements matériels consistant à arrêter et détenir des personnes34(*). Suivant les réflexions de Guy CARCASSONNE selon qui « les immunités protégeant le mandat parlementaire trouvent leur pendant dans les immunités protégeant le mandat présidentiel, la commission Avril35(*) a appliqué à la protection du chef de l'Etat « le principe traditionnel et universel de deux immunités distinctes, l'irresponsabilité et inviolabilité. L'irresponsabilité de celui-ci « concerne les actes que le chef de l'Etat accomplit en cette qualité »36(*) alors que l'inviolabilité, elle, vise un autre cas de figure : elle « concerne tous les autres actes, ceux qui peuvent être détachés des fonctions, soit parce qu'ils sont antérieurs, soit parce qu'ils lui sont extérieurs ». Elle peut être comprise comme l'institution qui permet de renvoyer les poursuites « à une date à laquelle elles ne pourront plus nuire à l'accomplissement par le Président de la République des devoirs de sa charge, sans pour autant léser les intérêts légitimes des tiers ». Pour signifier cette différence ... , l'irresponsabilité est quasi absolue alors que l'inviolabilité n'est pas absolue37(*). * 21 Joe VERHOEVEN, Le droit international des immunités. Constatation ou consolidation ?, Larcier, Bruxelles, 2004, pp. 164-165. * 22 Ibidem. * 23 Idem, p. 166. * 24 Idem, p. 156. * 25 Denis ALLAND et Stéphane RIALS, (Sous la direction de), op.cit., p. 801. * 26 Joe VERHOEVEN, op. cit, p. 156. * 27 Gérard LOPEZ et Stamatios TZITZIS, op. cit., p. 504. * 28 Joe VERHOEVEN, op. cit., p. 156. * 29 Patrick DAILLIER et Alain PELLET, Droit international public, LGDL, Paris, 2002, p. 162. * 30 Jean COMBACOU et Serges SUR, Droit international public, 5e éd., Montchrestien, Paris, 2000, p. 248. * 31 Cfr. Joe VERHOEVEN, op. cit., p. 196. L'auteur présente la typologie de l'immunité constitutionnelle constituée de l'inviolabilité et de l'irresponsabilité. * 32 Charles ROUSSEAU, Droit international public, Tome IV. , Sirey, Paris, 1980, p. 118. * 33 http://www.conseil-etat.fr/cde/fr/discours-et-interventions/la-responsabilite-du-chef-de-l%C3%89tat-en-droit-compare-k2s.html, (consulté le 31/08/2011). * 34 Jean COMBACAU, Droit international public, 5e éd., Montchrestien, Paris, 2001, p. 250. * 35 Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République français présidée par M. Pierre Avril, dite « commission Avril ». Elle avait pour mission de « résoudre de manière objective » les difficultés d'interprétation des dispositions de la Constitution française applicables au statut pénal du Président. * 36 Joe VERHOEVEN, op. cit., p. 166. * 37 Idem, p. 170. |
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