II.2 - Les animateurs du marché : grossistes,
détaillants et
clients
La classification des marchands, des commerçants et la
distinction entre grossistes, demi-grossistes et détaillants n'est pas
évidente. La typologie est encore plus complexe pour le commerce des
produits vivriers, dans une ville où il est très difficile de
savoir quelle proportion de la population pratique cette activité.
Il y a à Mont-Bouët deux types de marché ;
le marché du "dedans" qui possède une structure, des
équipements, une gestion pour accueillir les commerçants
"légaux" c'est-à-dire ceux qui ont payé leur emplacement,
et le marché du "dehors" qui s'étend dans les rues avoisinantes
et qui rassemble des vendeurs qui n'y sont pas autorisés. Nous avons pu
y dénombrer tout un panel d'activités de "débrouille".
L'occupation "illégale" et anarchique est beaucoup plus
importante dans la ville africaine en générale, le marché
s'étale de façon tentaculaire dans toutes les rues adjacentes.
Ainsi, dans la commune de Libreville, le marché est cerné par une
zone de boutiques, de baraques, de tables, d'étals, d'échoppes et
autres cantines si bien que le quartier tout entier voire une importante partie
de l'arrondissement est devenue le marché. La congestion des
marchés par des vendeurs ambulants "illégaux", et selon Thierry
Paulais et Laurence Wilhelm « les vendeurs ambulants ont toujours fait
partie du « paysage » des marchés »27. Le
secteur informel est devenu le premier secteur générateur
d'emploi et le nombre d'emplois ne cesse d'augmenter. Jeunes
déscolarisés, fonctionnaires reclassés, retraités,
nouveaux migrants des campagnes et des pays alentours viennent grossir les
effectifs de ce secteur. Cependant, l'ensemble des commerçants
situés à l'extérieur du marché sont tout de
même taxés par la municipalité, puisqu'ils occupent
l'espace public. La limite entre le marché et l'espace public est
difficile à distinguer, autant que celle entre le formel et
l'informel.
L'importance du marché, du point de vue du nombre de
commerçants, est donc à géométrie variable du fait
de la présence des vendeurs à la "sauvette", mais aussi du point
de vue de l'organisation spatiale. En effet, certains jours de la semaine, le
marché peut agrandir l'espace de vente initial.
À Libreville comme cela est le cas ailleurs, le
marché de Mont-Bouët constitue une "microsociété" et
les commerçants y sont très nombreux et très
différents. Tout d'abord on distingue les grossistes, les
demi-grossistes et les détaillants ou encore les "journaliers",
présents tous les jours et à la même place. Sur le
marché de Mont-Bouët, la grande majorité des
commerçants sont des journaliers qui au soir tomber stockent leurs
marchandises sur place à l'exemple des vendeuses de tissus qui
possèdent de grandes cantines en fer ou dans des entrepôts.
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Les forains ou vendeurs à la "sauvette", sont des
personnes qui exercent sur le marché avec ou sans autorisation et qui ne
paient pour la plupart ni taxes, ni patentes c'est-à-dire des
commerçants sédentaires ou non, qui vont de place en place et de
secteur en secteur à l'intérieur ou en dehors du marché.
Certains sont plus ou moins assidus et c'est justement cette rigueur qui permet
d'obtenir un emplacement "fixe" sur tel ou tel secteur.
Que l'on soit journalier ou forain, les places sont
attribuées en fonction de différents critères (par exemple
l'ancienneté d'inscription au registre du commerce), toutefois, la
« préférence étrangère » est aussi un
critère d'attribution. Bien qu'à Mont-Bouët, la
priorité soit officieusement donnée aux ressortissants
gabonais.
Le secteur informel alimentaire présente de nombreux
atouts et vise à atténuer une situation de
déséquilibre grâce à la participation communautaire
au processus de production. Par ailleurs, ce secteur est un domaine dans lequel
les femmes exercent une fonction de quasi-monopole. Ceci n'est pas le fruit du
hasard mais celui de l'inégalité et de la discrimination en
matière d'accès à la formation technique, professionnelle
et à l'emploi. Ainsi, sur le marché de Mont-Bouët, les
femmes représentent 67,4% du nombre total des commerçants (formel
et informel), contre 32,6% pour les hommes. Elles jouent donc un rôle
considérable dans les circuits de production et d'approvisionnement.
Facteur d'adaptation aux revenus et contraintes alimentaires du milieu urbain,
le marché dans son évolution reste étroitement lié
à la croissance urbaine. Permettant une consommation à coût
modéré, il n'aboutit pas pour autant à une situation
d'indépendance alimentaire28.
II.2.1 - Les grossistes et demi-grossistes
Sur le marché de Mont-Bouët, les grossistes sont
pour la plupart des collecteurs traitant des quantités illimitées
de produits. Dans le commerce de céréales, en particulier pour
les produits secs et les tubercules, d'après nos recherches et
enquêtes sur le terrain, la majorité des grossistes commercialise
en moyenne entre (60-90 tonnes/an). Une minorité peut intervenir sur
plus d'une centaine de tonnes par an.
A Mont-Bouët, sur le marché au manioc, tubercule,
taro et autre féculent les ordres de grandeur sont sensiblement les
mêmes : sur 20 grossistes environ, quelques six d'entre eux
commercialisent entre (100-300 tonnes/an), la plupart ne dépassant pas
les 80 tonnes et cela en fonction des saisons.
L'enquête générale sur les grossisses
à Mont-Bouët permet de se faire une idée sur le volume moyen
d'activité de ces commerçants dans des villes assez
différentes : par exemple, sur les marchés librevillois, les
grossistes de produits secs et féculents traitent
28 L. Wilhelm, « Les circuits d'approvisionnement
alimentaire des villes et le fonctionnement des marchés
en Afrique et Madagascar », FAO 1997
moins d'une tonne par jour, en moyenne entre 0,4 et 0,7 tonne.
Ce ratio moyen dans le commerce des produits secs, des tubercules et des fruits
(produits majoritairement commercialisés par les grossistes hommes),
nous donne une idée assez concrète du volume d'activité de
la majorité des grossistes exerçant sur les marchés de
distribution terminale des grands centres urbains.
La maîtrise des débouchés est le principal
souci des grossistes car la rapidité de rotation des expéditions
en dépend. Ils se déplacent peu, ne possèdent pour
certains pas de véhicule, utilisent les services de collecteurs ou
achètent aux paysans qui se rendent sur les marchés en convoyeurs
de leurs récoltes. La collecte étant longue et coûteuse,
ces derniers cherchent à limiter au maximum leurs dépenses et
leur temps. Le coût du stockage, du transport, ainsi que les risques de
pertes impliquent que l'écoulement soit d'autant plus rapide que la
collecte a été longue
En ce qui concerne les produits périssables (produits
maraîchers) et semi-périssables (manioc, féculents), les
quantités traitées par les grossistes collecteurs sont beaucoup
plus variables.
A l'étranger sur de très grands marchés
comme celui de la ville de Dakar ou d'Abidjan par exemple, les grossistes
collecteurs de produits maraîchers traitent également environ une
tonne par jour voir plus. Mais, l'essentiel de ces opérateurs
commercialise des volumes nettement plus limités, entre 600 et 800 kg
par jour. Ces grossistes collecteurs sont en général en contact
étroit avec les zones de production29.
Nous avons pu constater sur le terrain que de nombreuses
femmes pratiquent cette activité dans le but de participer à leur
manière à la conception du budget familiale. Elles assurent la
recherche du produit (et souvent sa récolte), son groupage, son
chargement, la recherche du véhicule et le convoyage des produits
fragiles, ne disposant pas de réseau de commercialisation ni souvent de
structures d'accueil, elles cherchent à assurer la
sécurité de leurs débouchés par des réseaux
courts, intégrant détaillantes, gros consommateurs et
transformatrices.
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