La compétence des juridictions militaires congolaises face aux civils.( Télécharger le fichier original )par Joel BONGOLONGONDO Université de Kinshasa - Licence en Droit 2013 |
Chapitre 2ème : Incompétence tirée de la nécessité de la sauvegarde des Droits de l'Homme.Le concept ``droits de l'homme'' est difficile à définir de manière précise et exacte tant son contenu semble être imprécis. Et pourtant, au regard de l'usage, très courant de ce concept, on est parfois amené à banaliser cette notion comme si elle appartenait déjà à l'évidence; alors qu'en réalité, ce concept n'est pas aussi saisissable qu'il ne l'apparait et cette difficulté est d'autant plus accentué qu'il y a une multitude de droits de l'homme et une tendance à étendre de plus en plus le domaine d'application.264(*) C'est ainsi que dans ce chapitre, il sera question du droit à la vie, à l'intégrité physique, du droit à un procès équitable, du droit reconnu à toute personne poursuivie à ce que sa cause soit entendue par un juge impartial et dans un délai raisonnable, du droit à la réparation pour le préjudice subi, droit de saisir le juge constitutionnel pour soulever l'exception de l'inconstitutionnalité d'une loi dont on craint l'application (...). Lorsqu'une juridiction militaire siège, c'est pour juger un homme, lequel, a une histoire, une famille, une identité, une culture et une vie. C'est ainsi que la sensibilité et la délicatesse du procès pénal surtout dans cette justice, ne concerne pas que le prévenu, mais aussi sa communauté ou sa famille à tel enseigne que si lui-même risque ce qu'il a de plus précieux : la vie ou la liberté, la communauté auquel il appartient risque d'être privé d'un membre ou d'une ressource des moyens de subsistance. On se trouve alors dans un cas délicat concernant les droits qui méritent d'être protégés tant chez le prévenu que chez la victime car le plus souvent l'infraction se commet, contre un individu et la répression constitue pour lui un moyen de réparation du préjudice qu'il a subi du fait d'une infraction. Cette protection des droits de l'Homme au cours du procès pénal, ne peut être possible que si la juridiction pénale offre toutes les garanties possibles d'une justice ou d'un procès équitable. C'est à juste titre que Jean PRADEL a fait observer ceci : « alors que le juge civil ne doit considérer que la qualité juridique des parties et l'analyse objective de leurs protections, le juge pénal doit en outre tenir compte de leur condition subjective propre à la fois pour établir un degré de responsabilité et pour déterminer les moyens les plus aptes à assurer leur réinsertion sociale. »265(*) Comme on le voit, cela ne peut être possible que si celui qui est appelé à siéger pour juger une personne humaine, est préparé et initié pour prendre en compte cet aspect du droit pénal. Mais qu'en est-il du contexte congolais dans la composition des juridictions militaires et au niveau des droits mis en jeu? Section 1ère : Problématique de la composition du siège des Juridictions militaires.Le Professeur MATADI NENGA GAMANDA note que le procès pénal est par excellence, l'instance qui doit au maximum faire appel à toutes les garanties judiciaires qui constituent le droit à un procès équitable que recommande la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et que prescrit, pour nous qui l'avons régulièrement ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politique en son article 14.266(*) Or comme on le sait déjà, les garanties à un procès équitable ne voulaient pas seulement dire que le droit de la défense soit respecté, mais aussi la composition d'une juridiction de jugement concerne les acteurs qui seront à mesure de prendre l'enjeu et de prendre en compte par leur connaissance et maîtrise, les moyens de défense qui seront exposés. Sinon l'écart de connaissance et de langage entre les membres de la juridiction et les avocats, ne saurait garantir ni un procès équitable ni une bonne administration de la Justice. Au niveau des juridictions militaires congolaises cependant, l'insuffisance des magistrats de carrière juristes de formation et la présence imminente des juges assesseurs, non-juristes, appelle à des hypothèses et observations. §1er : Insuffisance des Magistrats de carrière dans les Juridictions Militaires.Une société bien ordonnée écrit le Professeur NGOMA BINDA, est celle dans laquelle les règles d'établissement et de fonctionnement des rapports entre les personnes physiques et morales, sont correctement fixés et rigoureusement respectées par toutes les personnes concernées. Elle est une société ajoute-t-il, où règne l'ordre du fait d'un ensemble de lois et règles de vie publique justes, rationnelles et raisonnables reconnues nécessaires pour que prenne racine toute forme de vie en commun.267(*) C'est ce qui n'est pas observé dans les rapports entre les juridictions militaires et les justiciables car, son organisation même n'est pas assise sur des règles justes, rationnelles et raisonnables reconnues nécessaires. L'État n'a juste intérêt qu'une juridiction militaire siège et rende un verdict de vengeance, il ne s'occupe pas de ce qui est admis dans toutes les sociétés modernes que seuls les juristes sont dignes et mieux placés pour composer une juridiction militaire pénale. L'organisateur des juridictions militaires congolaises ne se rend pas compte de la réalité et cette justice est rendue par un siège composé en majorité écrasante des non juristes recrutés parmi les officiers policiers et militaires pourvu que le coupable soit châtié. A. Composition du siège dans les Juridictions Militaires.Pour juger le présumé auteur d'une infraction en instruction à l'Auditorat militaire et déféré devant la juridiction militaire correspondant au rang de la personne poursuivie, celle-ci n'a besoin que d'un ou deux magistrats de carrière pour siéger valablement. C'est ainsi que le tribunal militaire de police qui est une juridiction inférieure siège avec trois membres dont un seul magistrat de carrière268(*) qui est un juriste. Le tribunal militaire de garnison qui est à peu près l'équivalent du tribunal de grande instance, siège avec cinq membres dont au moins un magistrat de carrière269(*), or dans la pratique et le plus souvent il ne siège qu'avec ce seul magistrat de carrière président et c'est ce tribunal qui connaît beaucoup d'affaires dont les civils sont impliqués au premier degré, les autres membres de la composition quatre au total ne sont que des militaires choisis parmi les Officiers de l'Armée et de la Police. Quant à la cour militaire qui connaît même de l'appel des jugements rendus au premier degré par les tribunaux militaires de garnison, elle n'a besoin que de deux magistrats de carrière,270(*) pour siéger, les autres membres ne sont que des policiers ou des militaires trois au total choisis dans le milieu des officiers. Cette dernière considération vaut également pour la cour militaire opérationnelle qui accompagne les fractions de l'armée en campagne et peut siéger avec un magistrat de carrière271(*) par les cinq membres. Alarmant aussi regrettable, la Haute Cour Militaire qui est la plus haute juridiction de cette catégorie, n'a besoin pour sa part que de deux magistrats de carrière272(*) pour siéger valablement au premier degré et trois au degré d'appel parmi les cinq membres; heureusement que la loi organique no 13/011-B du 11 avril 2013 précitée a transféré à la Cour de cassation les compétences relatives à la cassation et à l'annulation qui lui étaient dévolues. Cette situation est sans doute due à l'insuffisance des magistrats de carrière justifiant d'une formation en Droit avec le titre de licencié au moins et nommés à ces fonctions, selon la procédure de nomination de tous les magistrats. Car, la lecture des dispositions de la loi judiciaire militaire de 2002, laisse entendre que les juridictions peuvent siéger à plus de deux magistrats de carrière lorsqu'on considère le vocable `' au moins'' utilisé par le législateur. Or dans la pratique, on a toujours constaté malheureusement la présence d'un seul magistrat dans les juridictions inférieures et de deux dans les juridictions supérieures. On ne le dira jamais assez, l'insuffisance des magistrats de carrière dans les juridictions militaires ne date pas d'aujourd'hui et l'État n'a jamais su prévoir; pourtant c'est une justice qui fonctionne dans ce pays depuis le 22 décembre 1888 date de la promulgation du décret créateur. En effet, ces juridictions n'ont pas moins suscité des critiques virulents notamment de la part des participants à la conférence nationale souveraine (CNS) tenue entre 1991 et 1992. A l'aube de l'ouverture démocratique de la société congolaise et de la réforme de ses institutions, la Conférence a vivement stigmatisé la soumission de la Justice militaire à la double tutelle des ministres de la Justice et de la Défense, l'inféodation de la même justice au commandement militaire, la présidence du siège des juridictions militaires par les officiers militaires non revêtus de la qualité de magistrat, la dépendance du siège des juridictions militaires à l'égard du parquet (...). Parmi les recommandations de réformes décidées à la CNS, il faut mentionner l'abolition de la double tutelle de la Justice militaire à l'égard du Ministère de la Défense et celui de la Justice, l'affirmation de l'indépendance du siège à l'égard du parquet, et la présidence desdites juridictions par les officiers militaires non revêtus de la qualité de magistrat.273(*) Il sied de rappeler malheureusement que parmi ces recommandations de la CNS et de tout ce qui a été soulevé, seules l'affirmation de l'indépendance du siège à l'égard du parquet et la présidence des juridictions militaires désormais par les officiers militaires revêtus de la qualité de magistrats sont prises en compte. Les autres problèmes n'ont pas cependant été résolus par les réformes qui s'en sont suivies. * 264 KAHISHA ALIDOR MUNEMEKA, cité par HAMISY HERADY, Droit civil, Volume I : les personnes, les incapacités, la famille, 1ère édition, EDUPC, Kinshasa, 2013, p. 126. * 265 J. PRADEL, Droit Pénal Général, 19ème édition revue et augmentée, Édition CUJAS, Paris, 2012, p. 68. * 266 MATADI NENGA GAMANDA, « Quel Droit judiciaire pour une meilleure prise en compte de la réforme du Code pénal? », in P.AKELE ADAU, op.cit., p. 525. * 267 P.NGOMA BINDA, Devoirs du citoyen dans le maintien de l'ordre public, cité par L.MUTATA LUABA, op.cit., p. 20. * 268 Article 24 du Code Judiciaire Militaire. * 269 Article 22 CJM. * 270 Article 16 CJM. * 271 Article 20 CJM. * 272 Article 10 CJM. * 273 M. WETSH'OKONDA KOSO, op.cit., p. 19. |
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