3.3.2. L'accompagnement au « Moi » dans le
champ d'éducation spécialisée
Il semble intéressant d'expliciter l'accompagnement au
« Moi » des personnes en situation de handicap en termes
d'équilibre, de limites. Ainsi, concernant leur maintien à
domicile par exemple, il s'agit de trouver un équilibre entre le respect
de leur libre-choix (souhait), leurs besoins (au vu de son autonomie),
l'environnement dans lequel elles évoluent (solidarité,
proximité des services sociaux, etc.), en naviguant entre
l'objectivité et la subjectivité du professionnel. Quels que
soient les différents types de services ou dispositifs163 se
déclinant à la fois en fonction de l'âge, du type de
déficience et d'autonomie et de l'évolution des personnes, le
maintien dans leur milieu ordinaire est privilégié -avec un
soutien professionnel-et cet objectif est pris « entre des injonctions
très contradictoires : l'autonomie d'un côté, le
bien-être de l'autre, et un troisième pôle est la protection
» (Hennion, p.44, op.cit.) de la personne. A ce niveau, accompagner
la personne « vulnérable » pour l'impliquer dans
un
163 FAS, SAJ, MAS, MRS ou le SAVS, le SAMSAH, SSIAD, ESAT,
etc.
215
215
consentement éclairé comme actrice de sa vie
implique que les professionnels l'accompagnent avec bienveillance et
discernement, avec cohérence et coopération, et avec le soutien
de son environnement social. Ces différents paramètres renvoient
également au fait qu'elle nécessite un soutien plus ou moins
diversifié de tiers, même lorsqu'elle est relativement
autonome.
Une des limites inhérentes à l'accompagnement
visant l'individualité de la personne réside dans le contexte
pluriel du travail socio-éducatif. Celui-ci comprend la connaissance
médico-sociale de ses problématiques (pathologie,
évolution, etc.), les partenariats (SAVS, mandataire de justice, etc.),
la dimension individuelle (intra-interpersonnelle, idéologique, etc.) et
professionnelle du travailleur social qui propose les finalités
éducatives, la contractualisation au sein d'un système
institutionnel lorsqu'elle est accueillie en SAJ, etc. Ce dernier
représente le cadre institutionnel, les projets et objectifs, les outils
et moyens, les méthodes, l'ensemble des exigences directes et indirectes
en termes de finalités vues par le Conseil Départemental (Taux de
remplissage, pertinence du SAJ, bilan annuel des activités), les cadres
du Service (la performance du Service : la progression du « taux de
remplissage », la meilleure argumentation possible pour l'obtention de
budgets, la performance des éducateurs, etc.), etc. L'ensemble de ces
facteurs peuvent influencer et développer le « Moi social
», qui a vocation à y être implicitement oppressant ou
culpabilisant pour les acteurs, mais aussi être des obstacles au
développement du « Moi » des personnes
accompagnées.
Dans un autre registre, pour que l'accompagnement de la
personne en situation de handicap vise sa propre individualité, il
arrive que le travailleur social l'amène dans ses retranchements, sous
forme « d'injonctions positives » pour qu'elle oser
dépasser ce qui l'enferme ou l'oppresse, ou pour qu'elle réalise
intérieurement le sens de sa situation. Ainsi, il arrive qu'il lui
demande explicitement une prise de risque plus grande pour développer
son autonomie. Force est de constater que les prises de risques sont
pléthores et diversifiées lorsque les finalités
prônent l'individualité de la personne. Et cette posture exige une
conscience fine et assurée de la démarche mais aussi une
confiance de l'accompagné envers l'accompagnateur. Pour le professionnel
visant un accompagnement au « Moi », la prise de risque est
encore une fois liée à des options idéologiques, des
valeurs et une éthique, que Weber (op.cit.) énonçait
d'« éthique
216
216
de responsabilité » et d'«
éthique de conviction »... avec un autre risque potentiel
: celui de déséquilibrer l'organisation du cadre institutionnel
(Repères et routine compromises, etc.).
Par ailleurs, sachant que les différences de handicap
et les degrés d'autonomie selon les personnes en situation de handicap
sont importants, la pratique d'accompagnement visant le « Moi
» est davantage complexifiée que dans le cadre d'un
accompagnement scolaire « basique ». Une personne porteuse
du spectre autistique ne pourra pas peindre un carré
prédéfini seule, alors qu'une personne du même âge
déficiente mentale moyenne en sera probablement davantage capable. Cela
implique un travail complexe d'adaptation aux personnes dans les pratiques
professionnelles d'accompagnement, au sein d'un collectif qui plus est.
La formation- : « Comprendre le fonctionnement de la
personne avec autisme. De la théorie à la pratique » a
mis en évidence le lien manifeste entre un accompagnement de
qualité, l'évaluation des troubles de la personne (Tests
d'évaluation fonctionnelle de l'intervention mesurant la communication,
le degré d'autonomie, le profil sensoriel) et la connaissance de
l'autisme. De ce fait, sachant qu'une personne à troubles autistiques
est atteinte d'altérations qualitatives des interactions, de la
communication, des intérêts et de comportements
stéréotypés et répétitifs, et qu'elle est
munie d'une hypersensibilité sensorielle, la pratique d'accompagnement
doit se prémunir de certains comportements qui pourraient contrarier ou
troubler la personne. Lors d'une évaluation au Centre Ressource Autisme
(Colmar), Hugo tapotait avec ses mains sur ses oreilles et ne suivait pas les
instructions des évaluateurs (lors de son diagnostic). Bien plus tard,
l'équipe soignante a réalisé qu'il entendait mieux les
flots de la rivière (sous-jacente à l'établissement) par
ce tapotement, bruit qu'il appréciait et recherchait à
écouter. Avec une personne présentant ce type de handicap, il est
également important de ne pas la regarder dans les yeux (en raison de la
somme d'informations éprouvées par la personne qui a une vision
kaléidoscopique), à décomposer la posture professionnelle
(Décomposer la phrase, parler lentement, respecter le temps de latence,
une demande après l'autre, marcher lentement), à ne pas
être dans l'ironie (Interprétation littérale), par exemple.
La formatrice, Madame Wilhelm, a insisté sur «
l'ergothérapie cognitive » en lien avec la
symbolisation
217
217
(Décomposer le temps d'une douche avec des
pictogrammes, par exemple) comme spécificité de l'accompagnement,
parce qu'elle marque un cadre visuel (et non le sens ni le contenant) qui donne
un repère sécurisant pour la personne porteuse de troubles
autistiques. Elle a proposé les six fondamentaux de l'accompagnement des
personnes autistes : La structuration du temps et de l'espace, l'apparition
de tâches, l'individualisation de l'accompagnement, la prise en compte
des aspects sensoriels et la vigilance somatique. La posture
professionnelle implique ainsi un travail sur la motivation des personnes, sur
le renforcement (Conditionnement), sur la transférabilité en
d'autres contextes et particulièrement une posture éthique -la
pratique pavlovienne pouvant présenter des risques d'abus à
l'égard de la personne, à notre sens-. Cela signifie bien que
l'accompagnement doit être individualisé mais bien plus encore...
Il doit être spécifique, singulier et corrélé
à l'individualité de la personne, pour que celle-ci puisse
investir ses apprentissages quel que soit le contexte, ce qui résultera
pour elle d'une meilleure autonomie et ainsi, une appropriation manifeste de
son individualité. Il en est de même de l'apprentissage de l'heure
pour les personnes déficientes intellectuelles. Pour certaines d'entre
elles, cette compétence cognitive relève d'un véritable
parcours du combattant pour comprendre le fonctionnement de la montre et le
déchiffrage de l'heure, apprentissage qui peut durer des
années... Force est de constater qu'en répétant, en
valorisant les progrès, en décomposant les étapes et en
les transférant dans d'autres contextes et sous d'autres formes (montre,
horloge, etc.), l'apprentissage du déchiffrage de l'heure est une
compétence acquise pour certaines personnes accueillies au SAJ de
Neuf-Brisach. Il faut également retenir un paramètre non
négligeable dans la finalité éducative visant le «
Moi » : la prise en compte de leur cadre de
référence, de leurs conceptions antérieures, de leurs
modèles et de leurs représentations, qui constituent le support
et le fondement de tout processus d'apprentissage -.
Au regard de tout ce qui a été
développé, nous concluons qu'un accompagnement
individualisé visant des finalités éducatives au «
Moi » de la personne ne peut s'extraire des connaissances et
spécificités inhérentes à sa problématique
personnelle, et que le professionnel est forcément amené à
prendre des risques et à devoir s'investir avec davantage d'alliance
pédagogique (en termes de temps, de recherches de compréhension,
d'anticipation, de proximité, etc.), parfois au détriment du
collectif.
218
218
Qu'en est-il du hiérarchique à l'égard
des professionnels socio-éducatifs ? Pouvons-nous en conclure qu'il
accompagne la personne ? C'est de toute évidence ce que préconise
Paul (2009) comme une nécessité et une finalité en lien
avec les enjeux cognitifs du professionnel (et non pas le projet)... sans
toutefois nommer la qualité de l'accompagnant : un tiers neutre, le
cadre du Service, etc. Dans notre questionnement théorico-descriptif,
nous avons observé que le « Moi » du professionnel
socio-éducatif comprend les différentes définitions
inhérentes à l'individualité de la personne,
étoffée de la dimension professionnelle liée à sa
fonction sur le terrain. Notre enquête déterminera davantage
l'opérationnalisation de ce type d'accompagnement.
|
|