Partie I
Nous nous inscrivons tout au long de notre étude dans
un paradigme descriptif et compréhensif afin de pouvoir aboutir à
plusieurs hypothèses et élaborer une problématique, ce qui
représentera la partie conclusive de notre travail. In fine,
nous présenterons dans la dernière partie de cette étude
un projet d'ingénierie des compétences à l'attention des
professionnels de l'éducation et du social à partir du diagnostic
effectué sur nos lieux de stage respectifs.
17
et ce mémoire est le reflet de cette idéologie
pédagogique. Ainsi, nous ferons appel à plusieurs champs
disciplinaires afin de consolider nos étayages théoriques et
d'asseoir notre postulat de base.
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PARTIE I :
QUESTIONNEMENTS EMPIRIQUES
1.1 MANY Holly, étudiant Master 2 Sciences de
l'Education Profession : Enseignant et pasteur
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Quand je suis rentré, il y a de cela deux ans, en
Master de Sciences de l'éducation, je ne savais pas exactement à
quoi m'attendre. La définition même du mot «
éducation » m'était complètement inconnue.
Cependant, durant les 6 dernières années, j'ai eu une
expérience significative dans le champ socio-éducatif par le
truchement des métiers d'assistant d'éducation et d'enseignant
que j'ai exercés dans un établissement ZEP (Zone éducative
prioritaire). Les formations que j'ai suivies dans le cadre de mon travail ne
suffisaient guère à étancher ma soif d'apprendre, de
comprendre et connaitre les rouages du processus d'apprentissage. Ainsi, j'ai
été donc interpellé par les problématiques de
l'échec scolaire, des troubles d'apprentissage et l'insertion
socio-professionnelle des jeunes de Mulhouse. Et ce n'est pas non plus un
hasard que je me sois intéressé à ces sujets, puisque que
j'ai connu moi-même une enfance et une scolarité difficile
marquées par la solitude, l'abandon et des troubles de comportement et
d'apprentissage. Au début de ma scolarité à l'école
primaire, aucun instituteur n'aurait parié que ce cancre timide assis au
fond de la classe obtiendrait un jour un baccalauréat de série
« S » et poursuivrait ses études à l'Université.
Il était question de médicaliser mon échec scolaire
tellement les troubles cognitifs étaient importants. Aussi longtemps que
je me souvienne, je me rappelle encore que les pronostics établis par
mon entourage de l'époque (famille) étaient très
défavorables, car on pensait que mon niveau d'étude ne pourrait
dépasser la classe de CM2. Alors, par quel miracle ai-je pu arriver en
Terminale, diront-ils plus tard ? Néanmoins, si la foi en Jésus
Christ a toujours été pour moi une source de paix, de force et
d'enrichissement, il m'arrivait souvent de me demander quels sont les
mécanismes qui ont été mis en place pour faciliter ma
résilience. Quels ont été les facteurs qui ont
influencé de manière positive mon apprentissage ? Quelles ont
été les personnes qui ont été pour moi «
un soutien de résilience » ? Ainsi, je crois à ce
dicton qui dit « Aide-toi et le ciel t'aidera ». En effet,
si le miracle de la résilience scolaire s'est produit dans ma vie, il a
fallu certainement des personnes ayant concouru à des méthodes,
des pratiques éducatives ayant contribué à ma
réussite scolaire. Après mon baccalauréat, je me suis
orienté vers les sciences dures, peut-être dans le but de prouver
quelque chose à mon entourage ou à soi-même, mais je suis
resté insatisfait, frustré, malgré les certifications
obtenues en chimie et techniques biologiques (DUT) et des expériences
acquises en industrie pharmaceutique.
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Ensuite, je me suis orienté vers les sciences humaines
et à partir de là, j'avais vraiment le sentiment que je devenais
« moi » et non « un autre ». Après
avoir obtenu une Licence en langues étrangères appliquées,
je me suis retrouvé dans un collège classé ZEP
situé, qui plus est, dans un quartier difficile et connu à
Mulhouse pour ses violences urbaines.
Dans un premier temps, j'ai occupé un poste d'assistant
d'éducation puis d'enseignant dans cette structure sans formation de
base en Sciences de l'Education. Les années passées dans cet
établissement ont été pour moi une richesse sur le plan
humain mais aussi un choc sur le plan éducatif et émotionnel. Sur
le terrain, j'ai vécu des expériences tant positives que
négatives. Je me suis heurté à des écueils pour
lesquels je n'étais ni préparé ni formé. Je me suis
retrouvé face à des jeunes adolescents en grande détresse
psychologique, en difficulté sociale et scolaire. Mes collègues
et moi avions été impuissants face à ce déferlement
d'élèves en souffrance.
Les armes qui nous semblaient les mieux adaptées et
ceci par manque de connaissance, pour pouvoir endiguer ces maux qui nous
asphyxiaient, déprimaient, désenchantaient étaient :
La didactique, la répression et l'exclusion. J'avais honte de
mal faire mon travail, j'étais démuni, frustré et mes
lèvres brûlaient de questions pour lesquelles je n'avais pas de
réponse. Et pourtant, je rêvais de voir ces jeunes réussir
et de s'insérer dans la société, car quelque part,
j'étais attaché à « ces petits monstres
» qui rétrospectivement me renvoyaient au « moi
enfant difficile ». Durant ce parcours, un des élèves
que j'ai accompagné a particulièrement attiré mon
attention et serait un des éléments déclencheurs
m'incitant à entreprendre des études de Master en Sciences de
l'éducation. Ce garçon, que je nommerais « Julien »
était en classe de cinquième et avait un comportement
inapproprié, exécrable. Il ne suivait pas les cours. Il
était très agressif envers ses camarades, les enseignants et
l'équipe éducative. Et pourtant en le côtoyant de
près, Julien semblait être un garçon aimable, sensible et
intelligent. Suite à une agression physique perpétrée
à l'encontre d'une enseignante, ce jeune fut exclu définitivement
de l'établissement. Les années suivantes, il semblerait qu'il
soit passé d'établissements en établissements, pour
finalement intégrer une école de la « deuxième
chance », qu'il quittera sans avoir terminé son parcours de
formation. Jusqu'à ce jour, je ne peux dire avec exactitude ce qu'est
devenu ce Julien. Cependant, il est fort probable que « mon ancien
élève » se retrouve
21
21
à la rue, sans emploi, errant dans le quartier de la
ZUP avec des grands frères (malfrats), comme c'est le cas pour la
plupart des élèves difficiles que j'ai accompagnés dans ce
collège.
Dans notre système éducatif actuel, les cas
similaires à celui de Julien sont légion, comme le montrent
plusieurs études de l'OCDE ou de l'Insee. Une étude de 2013 du
Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de
l'Enseignement Supérieur et de la Recherches5 montre que le
nombre de décrocheurs actifs en France s'élève à
près de 140.000 jeunes par an. En 2012, on a recensé en Alsace
4699 jeunes (2957 dans le Bas -Rhin et 1742 dans le Haut - Rhin) ayant
quitté le système scolaire. Parmi eux, on comptabilise 683
jeunes, soit près de 19% de cette population, âgée de 16
à 25 ans qui sont injoignables, perdus de vue. J'étais souvent
outré, bouleversé et chagriné de voir mes anciens
élèves qui auraient pu poursuivre leurs études au
lycée, faire (probablement) le guet pour le compte de dealers en dessous
des cages d'escalier d'immeuble ou des coins de rue de certains quartiers
mulhousiens malfamés.
Ainsi, les cours du professeur Loïc CHALMEL en Master de
Sciences de l'Education spécialité « Ingénierie
de l'intervention en milieu socio-éducatif », m'ont permis de
mettre des mots sur des concepts et comprendre les problèmes
d'apprentissage rencontrés non seulement dans ma propre enfance mais
aussi sur mon lieu de travail en tant qu'éducateur et enseignant. J'ai
découvert la « pédagogie » que je confondais
souvent avec la « didactique ». Les travaux que j'ai
réalisés durant ma première année de Master m'ont
permis de faire le lien entre la pédagogie et la résilience,
entre la résilience et la reconstruction identitaire du « moi
». Ainsi, l'an dernier, lorsque Monsieur Chalmel m'a proposé
de participer à un projet de recherches sur la «
persévérance scolaire » des élèves
décrocheurs dans le cadre d'un partenariat entre l'Université de
Haute Alsace et le Lycée professionnel Ettore Bugatti d'Illzach, j'ai
tout de suite accepté.
Depuis novembre 2015, avec une équipe de 8 personnes
constituée d'élèves de Master 1 & 2 de Sciences de
l'Education de notre Université, nous avons été
mobilisés pour mener ce projet.
5 Rapport no 2013-095-novembre 2013
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Notre travail consiste à réaliser des
enquêtes et investigations auprès des élèves,
anciens élèves, et le personnel éducatif du Lycée
Bugatti afin de pouvoir dans un premier temps dresser un profil type du
décrocheur. L'équipe est dirigée par Mme Ben Abid Zarrouk,
enseignante chercheuse en Sciences de l'Education au département de
Sciences de l'Education de l'Université de Haute-Alsace. Le professeur
Loïc Chalmel, nous a appris qu'une « représentation »
ne peut se construire qu'à partir d'une «
expérience concrète », une « mise en
situation réelle » et « une immersion » de
l'espace de recherches qu'on souhaite étudier. Ce projet me servira de
socle de base pour l'élaboration de notre thèse de mémoire
de fin d'études sur les finalités éducatives dans
l'accompagnement des personnes à besoins spécifiques.
Ainsi, dans notre enquête, nous nous focaliserons sur
les élèves ayant bénéficié du SAS, qui est
un dispositif d'accueil et d'accompagnement destiné aux
élèves de première année de CAP favorisant
l'inclusion scolaire et la découverte des métiers. Notre
étude nous permettra de mieux connaitre le public visé, de porter
un regard analytique sur l'accompagnement qui leur a été
proposé afin de pouvoir élucider les finalités
éducatives. Les questions qu'on pourrait se poser sont : Comment
l'accompagnement peut-il aider un jeune à rebondir ? Et selon quelles
finalités ? Quelle posture préconiser face à
l'élève en difficulté ? La didactique ou la
pédagogie ? Pour répondre à ces questionnements, nous
utiliserons le modèle ci-dessous comme le fil conducteur de notre
approche réflexive et de notre démarche méthodologique. -
Nous souhaiterions par le biais de ces investigations faire émerger les
représentations tant des professionnels que des accompagnés sur
la finalité et le but de l'accompagnement éducatif dans le
système scolaire. Nous espérons que nos recherches apporteront
des éléments de compréhension sur la problématique
du décrochage scolaire et les causes qui en découlent. Ce travail
nous permettra de questionner les actions qui ont été mis en
oeuvre par le personnel éducatif du lycée pour favoriser la
persévérance scolaire et la résilience des
élèves présentant des risques de décrochage. Le
tableau ci-après illustre bien les problématiques
émergentes de notre questionnement.
"Moi"
"Moi social"
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Pédagogie
Didactique
Conformisme normatif
Finalités éducatives
e
sociales
Lycéen à risque de
décrochage Enseignant
Finalités individuelles
Développement de l'individualité
Risques d'abus
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Accompagnement
Figure 1 : Modèle représentatif des
problématiques émergentes dans notre questionnement.
1.2 HERRMANN-ISRAEL Anne, étudiae Master 2
Sciences de l'Education Accompagnement
Profession : Éducatrice
spécialisée
Mon parcours personnel a mis en exergue la confrontation
récurrente à une forme de soumission normative et complaisante
à diverses entités (éducatives, religieuses et
sociales).
J'ai observé que, quelle que soit l'étape du
processus éducatif, l'objet de l'éducation scolaire vise des
finalités sociales, universelles à tout élève
scolarisé en France, par la connaissance et l'apprentissage de savoirs,
de savoir-faire et de savoirs-êtres...Cadre de référence
globalisant, qui me semble ne pas tenir compte de l'individualité de
l'élève et qui s'est construit dans un accompagnement empreint de
normes (éducatives, institutionnelles et sociales) et de postures
formatives à tendance prédominante des enseignants. Au final, ce
système éducatif semble façonner des « persona
», extérieures à leur personnalité et à
leur « intérieur », leur « moi »,
tel un masque posé sur leur visage lors de représentations
théâtrales, jouant des rôles attendus. A chacune de leurs
représentations, leur masque change et ils tentent de s'adapter à
la demande et au cadre formatif. De fait, les élèves ont-ils
conscience de cette « forme de fabrication
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normative sociale » ? Et éprouvent-ils le
désir de renoncer à cette subordination qui leur parait
enfermante, de renoncer à plaire et à adhérer à ce
qui semble se désintéresser de leur individualité qui
tente de leur plaquer quelque chose qui ne leur correspond pas ? Cette
éducation normative désintéressée de la
singularité et de l'individualité des élèves,
enseignée par le corps enseignant lui-même soumis et
formaté au colossal système scolaire de l'Education Nationale, me
semble avoir d'importantes conséquences psychologiques,
éducatives et sociales chez les futurs citoyens et professionnels, et
les groupes ou systèmes auxquels ils vont appartenir, avec lesquels ils
devront collaborer.
Dans un même registre, de mon parcours professionnel se
sont dégagés des constats mitigés révélant
la réalité imparfaite des enjeux du travail social et de celle de
l'autorité légitime censée y impacter les valeurs
éthiques. Dans le cadre de la formation d'éducateur
spécialisé, des questionnements ont surgi par rapport aux abus de
pouvoir et aux malversations à l'égard des usagers et des
professionnels : « Comment est-il possible de vouloir préserver
un statuquo dans une structure éducative, en ignorant et en niant les
abus verbaux d'une éducatrice ou d'un agent technique (rencontré
en stage dans un FAS6) ? Quelles devraient être les
finalités éducatives et cognitives pour des jeunes en
difficultés sociales et scolaires scolarisés admis en
internat/IMP7, et comment les y intéresser ? Les astreindre
aux règles institutionnelles est-il un moyen efficace pour les amener
à construire du sens pour leur vie et à développer leur
individualité ? ». A ce sujet, mon éducatrice
référente de mon stage avait souhaité que je liste
l'ensemble des règles institutionnelles auxquelles les jeunes devaient
se soumettre. Au final, elle avait été choquée, car ces
dernières s'élevaient à plus d'une trentaine d'injonctions
en termes de « Il ne faut pas », « il est interdit de
», « il faut », etc. Pour la plupart, ces jeunes se
désintéressaient totalement de l'école et de ses
règles, et semblaient n'avoir qu'une envie : franchir des obstacles
(souvent interdits), essayer de nouvelles choses dans des domaines qui les
intéressaient (les voitures, les médias, le sport, etc.). Le
Directeur de l'établissement arrivait
6 Foyer d'Accueil spécialisé. Les
diverses anecdotes suivantes relèvent d'expériences vécues
dans des structures établies dans le Haut-Rhin.
7 Institut Médico-Pédagogique.
25
25
souvent inopinément dans le lieu de vie pour «
faire la loi », et il arrivait que certains éducateurs
giflent et punissent l'un ou l'autre jeune.
Ces observations ont mis en évidence l'existence d'un
conformisme contraint dans les pratiques d'accompagnement et le
caractère insensé et abusif des finalités
éducatives dans l'accompagnement des publics à besoins
spécifiques.
L'intrigue de mon questionnement a été mise en
exergue lors d'une expérience complexe dans un SAJ du Haut-Rhin
auprès de personnes adultes en situation de handicap mental.
Embauchée comme éducatrice spécialisée à
mi-temps, j'y ai travaillé dans un contexte nébuleux, qui m'a
impliquée personnellement et qui a contribué à la
poursuite des études en Master pour en comprendre les méandres et
les enjeux de la situation.
Accueillies en journée, les adultes en situation de
handicap bénéficient d'un accompagnement (en collectif et en
individuel, dans les moments informels ou formels (entretiens individuels) lors
d'ateliers et d'activités favorisant leur maintien, leur acquisition ou
progression dans divers domaines (autonomie fonctionnelle, socialisation,
etc.). Bien qu'ayant observé une richesse et une diversité de
compétences professionnelles au sein d'une équipe dynamique
souhaitant bien faire, mes observations relatives à l'accompagnement de
la personne ont fait l'objet de constatations déroutantes. En, effet,
les finalités éducatives de l'accompagnement des usagers visaient
un conformisme collectif intra-équipe à des règles et
à des principes (parfois rigides et fermés) agissant sous la
forme de pressions implicites. Ces pratiques étaient exercées par
une partie de l'équipe éducative, qui provenaient des
idées reçues, telles que : les personnes accompagnées ne
doivent pas être assistées et gâtées; elles doivent
faire des efforts pour réduire leur handicap ; certaines personnes, en
situation de handicap ou non, ne sont pas aimables du fait de leur comportement
ou d'une caractéristique qui leur est propre et elles sont «
interdites de séjour dans le système8 »;
les personnes extérieures à la structure peuvent gêner le
travail éducatif ; l'éducateur est un accompagnant qui
contrôle et il est en position d'expert.
8 Phrase énoncée par le psychanalyste,
Monsieur H.
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Pour anecdote, lors de l'ultime réunion du 12 janvier
2016, les observations du psychanalyste Monsieur H.9 parlent
d'elles-mêmes : «Le mode de fonctionnement de l'équipe
est particulier, on a intérêt de prendre rang », «
il y a des parades structurées en binômes », des
« susceptibilités », « des jeux de regard
où on ne peut pas faire n'importe quoi », « un
décalage en termes de valeurs », un fonctionnement «
manichéen », le « non-droit à l'erreur
», « la parole non-libre », « la
difficulté à accueillir l'étranger ».
Il en résultait ainsi des pratiques arbitraires,
suspicieuses et paternalistes, mettant les personnes à rude
épreuve, parfois sous couvert d'un humour décalé. Somme
toute, les professionnelles « s'imposaient... en imposant » des
attitudes, des représentations, des choix aux personnes accueillies et
leurs postures pouvaient être proches de l'abus verbal : injonctions,
attitudes grossières, infantilisantes, voire dominantes. Au fil du
temps, je me suis rendue compte que leurs finalités éducatives se
résumaient ainsi : Amener la personne à un « certain
» savoir, un savoir-faire et un savoir-être afin de devenir une
« bonne » personne (qui en quelque sorte corresponde
à leur idéal). De fait, je réalisais aussi que ces
pratiques pouvaient faire l'objet de risques majeurs pour les personnes (la
dépendance des personnes, la dévalorisation, la crainte,
l'anxiété, le sentiment d'échec, etc.), qui pouvaient
être renforçateurs des désavantages liés au handicap
manifeste et inhibiteurs de leur individualité.
Après réflexions, à travers mon
Mémoire de stage dans ce SAJ et grâce eux enseignements
dispensés en cours de l'année en Master 1, j'ai
réalisé que ce sous-groupe de l'équipe éducative
représentait un sous-système fortement loyal entre chacun de ses
membres, établi par des règles et des codes
corrélés à leurs principes, auxquels les usagers et les
professionnels devaient se soumettre.
A plusieurs reprises, j'ai tenté d'en discuter avec des
membres de l'équipe qui semblaient plus ou moins ouverts à un
retour réflexif. J'ai tenté d'en informer la Direction, qui a
joué la carte de l'indifférence face au problème de fond,
invoquant indirectement, un négativisme et un
9 Intervenant en Supervision d'équipe, ayant
stoppé les séances avec l'équipe.
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désintérêt -peut-être s'agissait-il
d'une lassitude- face à la récurrence de mes remises en question,
et les difficultés de retour réflexif pour ce qui concerne une
partie de l'équipe. Pour répondre à la tension manifeste,
la Directrice a proposé qu'à chaque début de
réunion éducative, le Chef de Service propose un « kiff
» (autrement dit une anecdote positive, sorte de clin d'oeil
vécu professionnellement au sein de la structure) que les membres de
l'équipe éducative partagent, afin de les impacter d'une note
positive. Cette non-prise en compte des enjeux et du problème de fond
m'a posée question quant à la question de l'accompagnement des
professionnels par les cadres supérieurs.
Poursuivant mes investigations, j'ai découvert que le
développement, le renforcement et la prise d'autorité de ce
sous-système s'étaient progressivement opérés en
corrélation avec le contexte institutionnel ambiant : absence d'outils
méthodologiques et d'évaluation efficiente des projets, absence
de management et de « contrôle/supervision » (au-delà
des objectifs opérationnels du projets et bien plus au niveau de
l'approche épistémologique de l'accompagnement), manque de
position et de contenant institutionnels, dilution et dispersion des
responsabilités, etc. Par conséquent, l'absence d'implication et
de retour réflexif institutionnels ont déterminé ma
quête compréhensive et analytique des réels outils de
soutien et d'accompagnement au sein d'une structure socio-éducative.
Pour comprendre et dépasser ce contexte
problématique, j'ai implicitement recherché des acteurs
potentiellement attentifs à la situation institutionnelle et à
mon malaise au sein de la structure -ce qui a été le cas pour un
seul professionnel mais marginal lui aussi, car « non conforme
»-. Et il a fallu que je me tourne vers des personnes de confiance
extérieures, professionnelles ou non. C'est cette « forte
accommodation, face aux situations fortement délétères
» que Cyrulnik & Jorland (2012, p.67) énoncent dans le
processus de résilience, et qui « mettent à contribution
des modes de protection relevant de ressources internes et externes au sujet,
notamment l'environnement affectif et social. », qui ont
favorisé ma résilience. Aussi, cette expérience a mis en
évidence que la présence des différents garde-fous face
aux abus de pouvoir (projet de Service, réunions, entretien individuel
professionnel, autres entretiens, bilan des risques psychosociaux, etc.)
peuvent s'avérer stériles, non seulement lorsque le
système se
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protège, protège ses intérêts sans
s'ouvrir à d'autres et se défend contre celui qui ose y toucher,
mais aussi lorsqu'aucune alternative n'est proposée qui permette aux
membres du groupe de douter de leurs représentations (ce qui
favoriserait le changement)10.
C'est ainsi que j'ai découvert qu'au sein de cette
organisation régissaient deux systèmes normatifs
hétérogènes et sans liens apparents, mais de même
nature. D'une part, il s'agissait du premier sous-système
(développé par manque de management et de position
institutionnelle) au sein de l'équipe éducative exigeante de
conformisme par un « accompagnement » injonctif et normatif - voire
coercitif- et d'autre part, d'un second type de conformisme relié
à l'autorité du système, la Direction, faisant
référence à des prescriptions, des attitudes et des
postures également normatives, arbitrairement exigeantes et
immodérées à l'égard du personnel, dont les
finalités seraient à creuser.
Ce dernier a mis en évidence le caractère soumis
et résigné des professionnels qui s'alignaient facilement
malgré leur désaccord et pouvaient également se retrouver
dans ce jeu de théâtre où la persona (masque) changeait et
s'adaptait selon le contexte et le statut des personnes en face, pour ne pas
perdre la face et être reconnus de leur hiérarchie. De fait,
lorsque le professionnel non conformiste et détaché de cette
pression normative ne s'y acclimatait pas, il avait « tout à perdre
» face à l'autorité et se retrouvait marginalisé, tel
que Chalmel (2015, p.13) le décrit par le « Moi marginal
», mais il gardait sa propriété, son
individualité, sa liberté.
Au final, nos observations empiriques ont mis en exergue la
problématique d'un même type d'entité normative exigeante
de conformisme à caractère social et à risques coercitifs,
établie dans différentes entités sociales, et qui semble
aboutir à un même postulat : elles briguent des finalités
sociétales, prescrites par un « Moi social »
(Chalmel, 2015, p.10)11, au détriment de
finalités individuelles qu'il identifie par le « Moi
».
10 Enseignements de Monsieur Chalmel, Master 2.
11 In Thérapie et Education. De quoi et
de qui parle-t-on ? .Coll. Soins : sens, postures, pratiques. Ed. Univ. De
Lorraine.
29
29
De fait, l'éducation au développement de
l'individualité de la personne semble balayée au profit d'une
éducation et d'un accompagnement à finalités sociales
ambitionnant son devenir comme « une bonne personne autonome et
travailleuse », et plus précisément comme un
élève, un chrétien, un citoyen, un professionnel qui soit
« bon », soumis, docile, etc. En extrapolant, j'ai
observé d'autres types de « Moi social » dans divers
domaines (scientifiques, culturels, économiques, militaires, etc.) dont
les finalités (plus implicites qu'explicites, pour certaines) visent le
statut honorable, le pouvoir, la richesse, le rendement, la
célébrité12 -auxquels les personnes subalternes
se plient et dont les individualités ne sont pas prises en compte.
Finalement, je m'interrogeais aussi sur les rapports existants
entre une pression normative de la part d'un système social (au sein de
la hiérarchie, dans notre cas de figure) et l'individualité d'un
membre de ce système (le travailleur social). Quelle est cette
entité normative ? De quelle entité visant l'individualité
des personnes parle-t-on ? Ont-ils conscience de l'éducation vers le
« Moi social » et leur « Moi » ? Quelles
attentes le travailleur social exprimerait-il à l'égard de sa
hiérarchie s'il réalisait vouloir développer son «
Moi » dans le cadre professionnel, libre de ce conformisme social
? De quel type d'accompagnement à son individualité s'agirait-il
pour le travailleur social, et aurait-il un impact positif sur son travail, sur
l'équipe avec laquelle il collabore et sur les personnes qu'il
accompagne ?
D'autre part, si le professionnel subsiste dans cette
quête au « Moi social », quelles sont les
conséquences manifestes, et est-il capable d'accompagner l'usager vers
le développement de son « Moi » ? S'il en est
capable, quel type d'accompagnement la Direction peut-elle prodiguer aux
professionnels pour qu'eux-mêmes puissent accompagner les usagers vers
leur propre
dividualité ? Quel type daccompagnement a
favorisé la résilience des professionnels dans
Pression sociale normative
leur propre contexte normatif social ? Etc.
12 In Documentaire Demain
(2015). Réalisateurs : Cyril Dion, Mélanie Laurent.
César du Meilleur Documentaire.
Risques d'abus
Conformisme normatif
Finalités éducatives sociales
Personnes Professionnels
vulnérables
Développement de
Pédagog
l'individualité
Finalités individuelles
Pédagogie
30
"Moi social" Accompagnement "Moi"
30
Figure n°2 : Modèle représentatif des
problématiques émergentes dans notre questionnement
31
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