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Les finalités éducatives des professionnels et les enjeux liés à  la résilience dans l'accompagnement socio-éducatif. Une étude de cas au lycée Ettore Bugatti (Illzach) et au saj (Neuf-Brisach).

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par Holly & Anne MANY & HERMMANN ISRAEL
Université de Haute Alsace - Master 2 Sciences de là¢â‚¬â„¢éducation 2016
  

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Partie I

Nous nous inscrivons tout au long de notre étude dans un paradigme descriptif et compréhensif afin de pouvoir aboutir à plusieurs hypothèses et élaborer une problématique, ce qui représentera la partie conclusive de notre travail. In fine, nous présenterons dans la dernière partie de cette étude un projet d'ingénierie des compétences à l'attention des professionnels de l'éducation et du social à partir du diagnostic effectué sur nos lieux de stage respectifs.

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et ce mémoire est le reflet de cette idéologie pédagogique. Ainsi, nous ferons appel à plusieurs champs disciplinaires afin de consolider nos étayages théoriques et d'asseoir notre postulat de base.

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PARTIE I :

QUESTIONNEMENTS EMPIRIQUES

1.1 MANY Holly, étudiant Master 2 Sciences de l'Education Profession : Enseignant et pasteur

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Quand je suis rentré, il y a de cela deux ans, en Master de Sciences de l'éducation, je ne savais pas exactement à quoi m'attendre. La définition même du mot « éducation » m'était complètement inconnue. Cependant, durant les 6 dernières années, j'ai eu une expérience significative dans le champ socio-éducatif par le truchement des métiers d'assistant d'éducation et d'enseignant que j'ai exercés dans un établissement ZEP (Zone éducative prioritaire). Les formations que j'ai suivies dans le cadre de mon travail ne suffisaient guère à étancher ma soif d'apprendre, de comprendre et connaitre les rouages du processus d'apprentissage. Ainsi, j'ai été donc interpellé par les problématiques de l'échec scolaire, des troubles d'apprentissage et l'insertion socio-professionnelle des jeunes de Mulhouse. Et ce n'est pas non plus un hasard que je me sois intéressé à ces sujets, puisque que j'ai connu moi-même une enfance et une scolarité difficile marquées par la solitude, l'abandon et des troubles de comportement et d'apprentissage. Au début de ma scolarité à l'école primaire, aucun instituteur n'aurait parié que ce cancre timide assis au fond de la classe obtiendrait un jour un baccalauréat de série « S » et poursuivrait ses études à l'Université. Il était question de médicaliser mon échec scolaire tellement les troubles cognitifs étaient importants. Aussi longtemps que je me souvienne, je me rappelle encore que les pronostics établis par mon entourage de l'époque (famille) étaient très défavorables, car on pensait que mon niveau d'étude ne pourrait dépasser la classe de CM2. Alors, par quel miracle ai-je pu arriver en Terminale, diront-ils plus tard ? Néanmoins, si la foi en Jésus Christ a toujours été pour moi une source de paix, de force et d'enrichissement, il m'arrivait souvent de me demander quels sont les mécanismes qui ont été mis en place pour faciliter ma résilience. Quels ont été les facteurs qui ont influencé de manière positive mon apprentissage ? Quelles ont été les personnes qui ont été pour moi « un soutien de résilience » ? Ainsi, je crois à ce dicton qui dit « Aide-toi et le ciel t'aidera ». En effet, si le miracle de la résilience scolaire s'est produit dans ma vie, il a fallu certainement des personnes ayant concouru à des méthodes, des pratiques éducatives ayant contribué à ma réussite scolaire. Après mon baccalauréat, je me suis orienté vers les sciences dures, peut-être dans le but de prouver quelque chose à mon entourage ou à soi-même, mais je suis resté insatisfait, frustré, malgré les certifications obtenues en chimie et techniques biologiques (DUT) et des expériences acquises en industrie pharmaceutique.

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Ensuite, je me suis orienté vers les sciences humaines et à partir de là, j'avais vraiment le sentiment que je devenais « moi » et non « un autre ». Après avoir obtenu une Licence en langues étrangères appliquées, je me suis retrouvé dans un collège classé ZEP situé, qui plus est, dans un quartier difficile et connu à Mulhouse pour ses violences urbaines.

Dans un premier temps, j'ai occupé un poste d'assistant d'éducation puis d'enseignant dans cette structure sans formation de base en Sciences de l'Education. Les années passées dans cet établissement ont été pour moi une richesse sur le plan humain mais aussi un choc sur le plan éducatif et émotionnel. Sur le terrain, j'ai vécu des expériences tant positives que négatives. Je me suis heurté à des écueils pour lesquels je n'étais ni préparé ni formé. Je me suis retrouvé face à des jeunes adolescents en grande détresse psychologique, en difficulté sociale et scolaire. Mes collègues et moi avions été impuissants face à ce déferlement d'élèves en souffrance.

Les armes qui nous semblaient les mieux adaptées et ceci par manque de connaissance, pour pouvoir endiguer ces maux qui nous asphyxiaient, déprimaient, désenchantaient étaient : La didactique, la répression et l'exclusion. J'avais honte de mal faire mon travail, j'étais démuni, frustré et mes lèvres brûlaient de questions pour lesquelles je n'avais pas de réponse. Et pourtant, je rêvais de voir ces jeunes réussir et de s'insérer dans la société, car quelque part, j'étais attaché à « ces petits monstres » qui rétrospectivement me renvoyaient au « moi enfant difficile ». Durant ce parcours, un des élèves que j'ai accompagné a particulièrement attiré mon attention et serait un des éléments déclencheurs m'incitant à entreprendre des études de Master en Sciences de l'éducation. Ce garçon, que je nommerais « Julien » était en classe de cinquième et avait un comportement inapproprié, exécrable. Il ne suivait pas les cours. Il était très agressif envers ses camarades, les enseignants et l'équipe éducative. Et pourtant en le côtoyant de près, Julien semblait être un garçon aimable, sensible et intelligent. Suite à une agression physique perpétrée à l'encontre d'une enseignante, ce jeune fut exclu définitivement de l'établissement. Les années suivantes, il semblerait qu'il soit passé d'établissements en établissements, pour finalement intégrer une école de la « deuxième chance », qu'il quittera sans avoir terminé son parcours de formation. Jusqu'à ce jour, je ne peux dire avec exactitude ce qu'est devenu ce Julien. Cependant, il est fort probable que « mon ancien élève » se retrouve

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à la rue, sans emploi, errant dans le quartier de la ZUP avec des grands frères (malfrats), comme c'est le cas pour la plupart des élèves difficiles que j'ai accompagnés dans ce collège.

Dans notre système éducatif actuel, les cas similaires à celui de Julien sont légion, comme le montrent plusieurs études de l'OCDE ou de l'Insee. Une étude de 2013 du Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherches5 montre que le nombre de décrocheurs actifs en France s'élève à près de 140.000 jeunes par an. En 2012, on a recensé en Alsace 4699 jeunes (2957 dans le Bas -Rhin et 1742 dans le Haut - Rhin) ayant quitté le système scolaire. Parmi eux, on comptabilise 683 jeunes, soit près de 19% de cette population, âgée de 16 à 25 ans qui sont injoignables, perdus de vue. J'étais souvent outré, bouleversé et chagriné de voir mes anciens élèves qui auraient pu poursuivre leurs études au lycée, faire (probablement) le guet pour le compte de dealers en dessous des cages d'escalier d'immeuble ou des coins de rue de certains quartiers mulhousiens malfamés.

Ainsi, les cours du professeur Loïc CHALMEL en Master de Sciences de l'Education spécialité « Ingénierie de l'intervention en milieu socio-éducatif », m'ont permis de mettre des mots sur des concepts et comprendre les problèmes d'apprentissage rencontrés non seulement dans ma propre enfance mais aussi sur mon lieu de travail en tant qu'éducateur et enseignant. J'ai découvert la « pédagogie » que je confondais souvent avec la « didactique ». Les travaux que j'ai réalisés durant ma première année de Master m'ont permis de faire le lien entre la pédagogie et la résilience, entre la résilience et la reconstruction identitaire du « moi ». Ainsi, l'an dernier, lorsque Monsieur Chalmel m'a proposé de participer à un projet de recherches sur la « persévérance scolaire » des élèves décrocheurs dans le cadre d'un partenariat entre l'Université de Haute Alsace et le Lycée professionnel Ettore Bugatti d'Illzach, j'ai tout de suite accepté.

Depuis novembre 2015, avec une équipe de 8 personnes constituée d'élèves de Master 1 & 2 de Sciences de l'Education de notre Université, nous avons été mobilisés pour mener ce projet.

5 Rapport no 2013-095-novembre 2013

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Notre travail consiste à réaliser des enquêtes et investigations auprès des élèves, anciens élèves, et le personnel éducatif du Lycée Bugatti afin de pouvoir dans un premier temps dresser un profil type du décrocheur. L'équipe est dirigée par Mme Ben Abid Zarrouk, enseignante chercheuse en Sciences de l'Education au département de Sciences de l'Education de l'Université de Haute-Alsace. Le professeur Loïc Chalmel, nous a appris qu'une « représentation » ne peut se construire qu'à partir d'une « expérience concrète », une « mise en situation réelle » et « une immersion » de l'espace de recherches qu'on souhaite étudier. Ce projet me servira de socle de base pour l'élaboration de notre thèse de mémoire de fin d'études sur les finalités éducatives dans l'accompagnement des personnes à besoins spécifiques.

Ainsi, dans notre enquête, nous nous focaliserons sur les élèves ayant bénéficié du SAS, qui est un dispositif d'accueil et d'accompagnement destiné aux élèves de première année de CAP favorisant l'inclusion scolaire et la découverte des métiers. Notre étude nous permettra de mieux connaitre le public visé, de porter un regard analytique sur l'accompagnement qui leur a été proposé afin de pouvoir élucider les finalités éducatives. Les questions qu'on pourrait se poser sont : Comment l'accompagnement peut-il aider un jeune à rebondir ? Et selon quelles finalités ? Quelle posture préconiser face à l'élève en difficulté ? La didactique ou la pédagogie ? Pour répondre à ces questionnements, nous utiliserons le modèle ci-dessous comme le fil conducteur de notre approche réflexive et de notre démarche méthodologique. - Nous souhaiterions par le biais de ces investigations faire émerger les représentations tant des professionnels que des accompagnés sur la finalité et le but de l'accompagnement éducatif dans le système scolaire. Nous espérons que nos recherches apporteront des éléments de compréhension sur la problématique du décrochage scolaire et les causes qui en découlent. Ce travail nous permettra de questionner les actions qui ont été mis en oeuvre par le personnel éducatif du lycée pour favoriser la persévérance scolaire et la résilience des élèves présentant des risques de décrochage. Le tableau ci-après illustre bien les problématiques émergentes de notre questionnement.

"Moi"

"Moi social"

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Pédagogie

Didactique

Conformisme normatif

Finalités éducatives

e

sociales

Lycéen à risque de

décrochage Enseignant

Finalités
individuelles

Développement de l'individualité

Risques d'abus

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Accompagnement

Figure 1 : Modèle représentatif des problématiques émergentes dans notre questionnement.

1.2 HERRMANN-ISRAEL Anne, étudiae Master 2 Sciences de l'Education Accompagnement

Profession : Éducatrice spécialisée

Mon parcours personnel a mis en exergue la confrontation récurrente à une forme de soumission normative et complaisante à diverses entités (éducatives, religieuses et sociales).

J'ai observé que, quelle que soit l'étape du processus éducatif, l'objet de l'éducation scolaire vise des finalités sociales, universelles à tout élève scolarisé en France, par la connaissance et l'apprentissage de savoirs, de savoir-faire et de savoirs-êtres...Cadre de référence globalisant, qui me semble ne pas tenir compte de l'individualité de l'élève et qui s'est construit dans un accompagnement empreint de normes (éducatives, institutionnelles et sociales) et de postures formatives à tendance prédominante des enseignants. Au final, ce système éducatif semble façonner des « persona », extérieures à leur personnalité et à leur « intérieur », leur « moi », tel un masque posé sur leur visage lors de représentations théâtrales, jouant des rôles attendus. A chacune de leurs représentations, leur masque change et ils tentent de s'adapter à la demande et au cadre formatif. De fait, les élèves ont-ils conscience de cette « forme de fabrication

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normative sociale » ? Et éprouvent-ils le désir de renoncer à cette subordination qui leur parait enfermante, de renoncer à plaire et à adhérer à ce qui semble se désintéresser de leur individualité qui tente de leur plaquer quelque chose qui ne leur correspond pas ? Cette éducation normative désintéressée de la singularité et de l'individualité des élèves, enseignée par le corps enseignant lui-même soumis et formaté au colossal système scolaire de l'Education Nationale, me semble avoir d'importantes conséquences psychologiques, éducatives et sociales chez les futurs citoyens et professionnels, et les groupes ou systèmes auxquels ils vont appartenir, avec lesquels ils devront collaborer.

Dans un même registre, de mon parcours professionnel se sont dégagés des constats mitigés révélant la réalité imparfaite des enjeux du travail social et de celle de l'autorité légitime censée y impacter les valeurs éthiques. Dans le cadre de la formation d'éducateur spécialisé, des questionnements ont surgi par rapport aux abus de pouvoir et aux malversations à l'égard des usagers et des professionnels : « Comment est-il possible de vouloir préserver un statuquo dans une structure éducative, en ignorant et en niant les abus verbaux d'une éducatrice ou d'un agent technique (rencontré en stage dans un FAS6) ? Quelles devraient être les finalités éducatives et cognitives pour des jeunes en difficultés sociales et scolaires scolarisés admis en internat/IMP7, et comment les y intéresser ? Les astreindre aux règles institutionnelles est-il un moyen efficace pour les amener à construire du sens pour leur vie et à développer leur individualité ? ». A ce sujet, mon éducatrice référente de mon stage avait souhaité que je liste l'ensemble des règles institutionnelles auxquelles les jeunes devaient se soumettre. Au final, elle avait été choquée, car ces dernières s'élevaient à plus d'une trentaine d'injonctions en termes de « Il ne faut pas », « il est interdit de », « il faut », etc. Pour la plupart, ces jeunes se désintéressaient totalement de l'école et de ses règles, et semblaient n'avoir qu'une envie : franchir des obstacles (souvent interdits), essayer de nouvelles choses dans des domaines qui les intéressaient (les voitures, les médias, le sport, etc.). Le Directeur de l'établissement arrivait

6 Foyer d'Accueil spécialisé. Les diverses anecdotes suivantes relèvent d'expériences vécues dans des structures établies dans le Haut-Rhin.

7 Institut Médico-Pédagogique.

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souvent inopinément dans le lieu de vie pour « faire la loi », et il arrivait que certains éducateurs giflent et punissent l'un ou l'autre jeune.

Ces observations ont mis en évidence l'existence d'un conformisme contraint dans les pratiques d'accompagnement et le caractère insensé et abusif des finalités éducatives dans l'accompagnement des publics à besoins spécifiques.

L'intrigue de mon questionnement a été mise en exergue lors d'une expérience complexe dans un SAJ du Haut-Rhin auprès de personnes adultes en situation de handicap mental. Embauchée comme éducatrice spécialisée à mi-temps, j'y ai travaillé dans un contexte nébuleux, qui m'a impliquée personnellement et qui a contribué à la poursuite des études en Master pour en comprendre les méandres et les enjeux de la situation.

Accueillies en journée, les adultes en situation de handicap bénéficient d'un accompagnement (en collectif et en individuel, dans les moments informels ou formels (entretiens individuels) lors d'ateliers et d'activités favorisant leur maintien, leur acquisition ou progression dans divers domaines (autonomie fonctionnelle, socialisation, etc.). Bien qu'ayant observé une richesse et une diversité de compétences professionnelles au sein d'une équipe dynamique souhaitant bien faire, mes observations relatives à l'accompagnement de la personne ont fait l'objet de constatations déroutantes. En, effet, les finalités éducatives de l'accompagnement des usagers visaient un conformisme collectif intra-équipe à des règles et à des principes (parfois rigides et fermés) agissant sous la forme de pressions implicites. Ces pratiques étaient exercées par une partie de l'équipe éducative, qui provenaient des idées reçues, telles que : les personnes accompagnées ne doivent pas être assistées et gâtées; elles doivent faire des efforts pour réduire leur handicap ; certaines personnes, en situation de handicap ou non, ne sont pas aimables du fait de leur comportement ou d'une caractéristique qui leur est propre et elles sont « interdites de séjour dans le système8 »; les personnes extérieures à la structure peuvent gêner le travail éducatif ; l'éducateur est un accompagnant qui contrôle et il est en position d'expert.

8 Phrase énoncée par le psychanalyste, Monsieur H.

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Pour anecdote, lors de l'ultime réunion du 12 janvier 2016, les observations du psychanalyste Monsieur H.9 parlent d'elles-mêmes : «Le mode de fonctionnement de l'équipe est particulier, on a intérêt de prendre rang », « il y a des parades structurées en binômes », des « susceptibilités », « des jeux de regard où on ne peut pas faire n'importe quoi », « un décalage en termes de valeurs », un fonctionnement « manichéen », le « non-droit à l'erreur », « la parole non-libre », « la difficulté à accueillir l'étranger ».

Il en résultait ainsi des pratiques arbitraires, suspicieuses et paternalistes, mettant les personnes à rude épreuve, parfois sous couvert d'un humour décalé. Somme toute, les professionnelles « s'imposaient... en imposant » des attitudes, des représentations, des choix aux personnes accueillies et leurs postures pouvaient être proches de l'abus verbal : injonctions, attitudes grossières, infantilisantes, voire dominantes. Au fil du temps, je me suis rendue compte que leurs finalités éducatives se résumaient ainsi : Amener la personne à un « certain » savoir, un savoir-faire et un savoir-être afin de devenir une « bonne » personne (qui en quelque sorte corresponde à leur idéal). De fait, je réalisais aussi que ces pratiques pouvaient faire l'objet de risques majeurs pour les personnes (la dépendance des personnes, la dévalorisation, la crainte, l'anxiété, le sentiment d'échec, etc.), qui pouvaient être renforçateurs des désavantages liés au handicap manifeste et inhibiteurs de leur individualité.

Après réflexions, à travers mon Mémoire de stage dans ce SAJ et grâce eux enseignements dispensés en cours de l'année en Master 1, j'ai réalisé que ce sous-groupe de l'équipe éducative représentait un sous-système fortement loyal entre chacun de ses membres, établi par des règles et des codes corrélés à leurs principes, auxquels les usagers et les professionnels devaient se soumettre.

A plusieurs reprises, j'ai tenté d'en discuter avec des membres de l'équipe qui semblaient plus ou moins ouverts à un retour réflexif. J'ai tenté d'en informer la Direction, qui a joué la carte de l'indifférence face au problème de fond, invoquant indirectement, un négativisme et un

9 Intervenant en Supervision d'équipe, ayant stoppé les séances avec l'équipe.

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désintérêt -peut-être s'agissait-il d'une lassitude- face à la récurrence de mes remises en question, et les difficultés de retour réflexif pour ce qui concerne une partie de l'équipe. Pour répondre à la tension manifeste, la Directrice a proposé qu'à chaque début de réunion éducative, le Chef de Service propose un « kiff » (autrement dit une anecdote positive, sorte de clin d'oeil vécu professionnellement au sein de la structure) que les membres de l'équipe éducative partagent, afin de les impacter d'une note positive. Cette non-prise en compte des enjeux et du problème de fond m'a posée question quant à la question de l'accompagnement des professionnels par les cadres supérieurs.

Poursuivant mes investigations, j'ai découvert que le développement, le renforcement et la prise d'autorité de ce sous-système s'étaient progressivement opérés en corrélation avec le contexte institutionnel ambiant : absence d'outils méthodologiques et d'évaluation efficiente des projets, absence de management et de « contrôle/supervision » (au-delà des objectifs opérationnels du projets et bien plus au niveau de l'approche épistémologique de l'accompagnement), manque de position et de contenant institutionnels, dilution et dispersion des responsabilités, etc. Par conséquent, l'absence d'implication et de retour réflexif institutionnels ont déterminé ma quête compréhensive et analytique des réels outils de soutien et d'accompagnement au sein d'une structure socio-éducative.

Pour comprendre et dépasser ce contexte problématique, j'ai implicitement recherché des acteurs potentiellement attentifs à la situation institutionnelle et à mon malaise au sein de la structure -ce qui a été le cas pour un seul professionnel mais marginal lui aussi, car « non conforme »-. Et il a fallu que je me tourne vers des personnes de confiance extérieures, professionnelles ou non. C'est cette « forte accommodation, face aux situations fortement délétères » que Cyrulnik & Jorland (2012, p.67) énoncent dans le processus de résilience, et qui « mettent à contribution des modes de protection relevant de ressources internes et externes au sujet, notamment l'environnement affectif et social. », qui ont favorisé ma résilience. Aussi, cette expérience a mis en évidence que la présence des différents garde-fous face aux abus de pouvoir (projet de Service, réunions, entretien individuel professionnel, autres entretiens, bilan des risques psychosociaux, etc.) peuvent s'avérer stériles, non seulement lorsque le système se

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protège, protège ses intérêts sans s'ouvrir à d'autres et se défend contre celui qui ose y toucher, mais aussi lorsqu'aucune alternative n'est proposée qui permette aux membres du groupe de douter de leurs représentations (ce qui favoriserait le changement)10.

C'est ainsi que j'ai découvert qu'au sein de cette organisation régissaient deux systèmes normatifs hétérogènes et sans liens apparents, mais de même nature. D'une part, il s'agissait du premier sous-système (développé par manque de management et de position institutionnelle) au sein de l'équipe éducative exigeante de conformisme par un « accompagnement » injonctif et normatif - voire coercitif- et d'autre part, d'un second type de conformisme relié à l'autorité du système, la Direction, faisant référence à des prescriptions, des attitudes et des postures également normatives, arbitrairement exigeantes et immodérées à l'égard du personnel, dont les finalités seraient à creuser.

Ce dernier a mis en évidence le caractère soumis et résigné des professionnels qui s'alignaient facilement malgré leur désaccord et pouvaient également se retrouver dans ce jeu de théâtre où la persona (masque) changeait et s'adaptait selon le contexte et le statut des personnes en face, pour ne pas perdre la face et être reconnus de leur hiérarchie. De fait, lorsque le professionnel non conformiste et détaché de cette pression normative ne s'y acclimatait pas, il avait « tout à perdre » face à l'autorité et se retrouvait marginalisé, tel que Chalmel (2015, p.13) le décrit par le « Moi marginal », mais il gardait sa propriété, son individualité, sa liberté.

Au final, nos observations empiriques ont mis en exergue la problématique d'un même type d'entité normative exigeante de conformisme à caractère social et à risques coercitifs, établie dans différentes entités sociales, et qui semble aboutir à un même postulat : elles briguent des finalités sociétales, prescrites par un « Moi social » (Chalmel, 2015, p.10)11, au détriment de finalités individuelles qu'il identifie par le « Moi ».

10 Enseignements de Monsieur Chalmel, Master 2.

11 In Thérapie et Education. De quoi et de qui parle-t-on ? .Coll. Soins : sens, postures, pratiques. Ed. Univ. De Lorraine.

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De fait, l'éducation au développement de l'individualité de la personne semble balayée au profit d'une éducation et d'un accompagnement à finalités sociales ambitionnant son devenir comme « une bonne personne autonome et travailleuse », et plus précisément comme un élève, un chrétien, un citoyen, un professionnel qui soit « bon », soumis, docile, etc. En extrapolant, j'ai observé d'autres types de « Moi social » dans divers domaines (scientifiques, culturels, économiques, militaires, etc.) dont les finalités (plus implicites qu'explicites, pour certaines) visent le statut honorable, le pouvoir, la richesse, le rendement, la célébrité12 -auxquels les personnes subalternes se plient et dont les individualités ne sont pas prises en compte.

Finalement, je m'interrogeais aussi sur les rapports existants entre une pression normative de la part d'un système social (au sein de la hiérarchie, dans notre cas de figure) et l'individualité d'un membre de ce système (le travailleur social). Quelle est cette entité normative ? De quelle entité visant l'individualité des personnes parle-t-on ? Ont-ils conscience de l'éducation vers le « Moi social » et leur « Moi » ? Quelles attentes le travailleur social exprimerait-il à l'égard de sa hiérarchie s'il réalisait vouloir développer son « Moi » dans le cadre professionnel, libre de ce conformisme social ? De quel type d'accompagnement à son individualité s'agirait-il pour le travailleur social, et aurait-il un impact positif sur son travail, sur l'équipe avec laquelle il collabore et sur les personnes qu'il accompagne ?

D'autre part, si le professionnel subsiste dans cette quête au « Moi social », quelles sont les conséquences manifestes, et est-il capable d'accompagner l'usager vers le développement de son « Moi » ? S'il en est capable, quel type d'accompagnement la Direction peut-elle prodiguer aux professionnels pour qu'eux-mêmes puissent accompagner les usagers vers leur propre

dividualité ? Quel type daccompagnement a favorisé la résilience des professionnels dans

Pression sociale normative

leur propre contexte normatif social ? Etc.

12 In Documentaire Demain (2015). Réalisateurs : Cyril Dion, Mélanie Laurent. César du Meilleur Documentaire.

Risques d'abus

Conformisme normatif

Finalités
éducatives
sociales

Personnes Professionnels

vulnérables

Développement de

Pédagog

l'individualité

Finalités
individuelles

Pédagogie

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"Moi social" Accompagnement "Moi"

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Figure n°2 : Modèle représentatif des problématiques émergentes dans notre questionnement

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote