2.4.2 Chef de service-professionnels
La question de la personnalisation de l'accompagnement
est également corroborée à la fonction du Chef de
Service en poste envers les professionnels. Les observations suivantes ont
suscité ma réflexion :
1. Sa disponibilité auprès
des professionnels socio-éducatifs (et de stagiaire), à
travers des rencontres régulières ou spontanées (temps de
réunions de service et des synthèses, entretiens et points de
situation, soutien de proximité, etc.).
138
138
2. Sa posture éthique, non seulement
observée de façon empirique mais également
théorique dans le cadre de l'élaboration du Projet
d'établissement dont on observe la récurrence des
références éthiques. A ce titre est mentionnée une
partie « Lutte contre la maltraitance et la promotion de la
Bientraitance » faisant lien avec la mission du Chef de Service, qui
est de promouvoir cette recommandation de l'ANESM par diverses actions
(plaçant la personne accueillie au centre de l'accompagnement mais
également garant d'une position institutionnelle à l'égard
des professionnels) :
- Dès son accueil, par la remise des
documents en rapport à ses droits et la possibilité d'être
sollicité en cas de difficulté d'accompagnement.
- Des outils adaptés assurant une prise en charge
bienveillante, par le biais des synthèses, des recadrages, des points de
situation et des réunions hebdomadaires.
- La fonction de tiers institutionnel du Chef de Service,
garant et superviseur des informations et des actes professionnels.
- Les temps de rencontres entre le Chef de Service et ses
collaborateurs favorisant les échanges et propositions de solutions
adaptées, et prévenant les risques d'usure professionnelle, de
maltraitance, etc.
- La présence des stagiaires, favorisant le
questionnement des pratiques professionnelles.
Force a été de constater que la dimension
éthique semble être l'un des fondements au coeur des pratiques
professionnelles du Chef de Service au SAJ. L'approche respectueuse et
valorisante entre usagers et professionnels semble aussi marquée
transversalement, quels que soient les statuts, les fonctions et les formes de
gestion et de prises en charge des personnes. J'ai pu l'observer lors des
activités, dans la dimension relationnelle et éducative
interpersonnelles, mais également au niveau hiérarchique entre
professionnels lors de gestions de crises (recadrage, etc.).
3. L'accompagnement des professionnels en conciliation
avec les fonctions inhérentes à son poste. Outre la fonction
de gestionnaire, le Chef de Service a mis en oeuvre sa première
fonction
139
139
en tant que manager, celle qui relève de la fonction
politique et sociale (plutôt que celle de la gestion et du
contrôle), dont le rôle est « d'emballer,
c'est-à-dire d'entraîner avec lui d'autres acteurs dans un projet
commun (...) et pour ce faire, (d') agir sur des ressorts psychosociaux et
culturels qui s'avèrent extrinsèques à l'organisation
elle-même. » (Loubat, 2014)117. Selon
Haberey118, « le management des ressources humaines cherche
à développer les ressources en présence et à les
articuler de façon à générer des compétences
individuelles et collectives qui puissent répondre aux besoins de
l'organisation et à ses objectifs. » Dans cette optique,
lorsqu'il a été question de réorganisation ou de
changement de cap avec l'équipe éducative, j'ai observé
des modalités d'intervention d'ordre démocratique ou
participatif. Ni autocratique (dans lequel il décide et obtient ce qu'il
veut), ni dans le laissez-faire (comme nous avons pu l'observer dans notre
questionnement empirique où le responsable n'était pas dans une
position hiérarchique et assumait plutôt une part administrative
et coordinatrice entre acteurs), selon les situations, il semble tantôt
solliciter et prendre en compte les opinions des collaborateurs, tout en
décidant parfois des choix effectués tout en informant sur la
décision, sa teneur et les raisons du choix (Démocratique),
tantôt associer les membres de l'équipe éducative à
la décision à prendre et les faire participer à son
élaboration119(Participatif). Selon Monsieur Jenny, cette
dernière forme de management est celle qu'il mobilise le plus souvent au
sein de l'équipe, car elle permet à chacun de trouver du sens
dans sa pratique professionnelle (selon ses valeurs, ses
représentations, etc.), de construire une forme de cohésion
autour d'un projet collectif, qui permet de développer une «
culture organisationnelle », décrit comme « un
modèle d'assomptions de base, qu'un groupe donné a
découvert, inventé et développé... »
(Schein, 1985)120. C'est cette pratique du manager valorisant les
différences entre les membres du groupe
117 Loubat, J-R (2014). Penser le management en action
sociale et médico-sociale. 2nde édition, Ed.Dunod.
118 Haberey V., Le management Lean, un régime
efficace pour un nouvel élan ?, Mémoire de fin
d'études Master 2 en Management des organisations sociales, 2015.
119 Selon les cours du Master de Management des
organisations sociales, année 2014-2015. Université de Caen
(FOAD).
120 In Haberey (Op.cit.).
140
140
et produisant la négociation, qui réduit la
normativité (ibid.). Encore faut-il que le manager vise les
finalités éducatives visant le « Moi » et non
le « Moi social » des personnes (professionnels et usagers)
dans les institutions sociales...
Mettant aussi en exergue ses compétences techniques et
sa vision d'ensemble du champ d'opération, son champ d'action
professionnel (organisation du travail et gestion des ressources humaines)
s'est inscrit dans une recherche de conciliation entre le projet
institutionnel, la négociation et l'animation entre acteurs («
styles personnels des uns et des autres », «
créer des références communes », ibid.),
à travers une méthodologie stimulante et réflexive des
pratiques des professionnels. Cette conception du management
développée par Loubat semble manifestement mobilisée chez
le Chef de Service dans l'accompagnement des professionnels
socio-éducatifs et leurs finalités individuelles. Il a su les
inscrire dans une démarche de progression, à travers certaines
fonctions et propositions spécifiques (coordinatrice,
responsable/thèmes, VAE121, etc.).
J'ai eu l'occasion de découvrir le contenu des
Entretiens Individuels Professionnels (annuels) des éducatrices et la
qualité des temps de rencontre Chef de Service/éducatrice. Il est
intéressant de relever qu'il a pris en compte la situation
professionnelle et personnelle de chaque éducatrice, tout en suscitant
l'émergence de leur prise de conscience à l'égard de leurs
propres ressources et de leurs difficultés (compétences,
potentiels, axes d'amélioration) dans une approche réflexive et
valorisante. Cela montre qu'il a manifesté une posture éthique et
un intérêt particulier à l'observation et l'écoute
réflexive de son personnel, au cadre de confiance, à la recherche
du développement des potentiels de chacune, etc. Dans cette
réflexion empirique, j'ai observé la qualité de la
relation du manager avec les personnes issues ou non du SAJ, comme un vecteur
de bienveillance et d'humanitude favorisant une qualité de vie, qu'il
prône d'ailleurs dans le Projet d'Etablissement. Cette qualité
relationnelle (entre le Chef de Service et les
121 Validation des Acquis de l'Expérience
141
141
professionnels) est également entretenue de temps en
temps lors de rencontres extérieures au SAJ dans un cadre plus informel
(Dîner au restaurant).
Le manager en poste au SAJ de Neuf-Brisach semble correspondre
aux caractéristiques identifiées par Loubat (ibid., p.121). Selon
lui, un manager est un « coach » actuellement davantage
considéré en regard de son efficacité que par son statut.
Il s'agit d'un « entraîneur », d'un « homme
de conseil et d'expérience » fournissant les outils, les
méthodes, les techniques, d'un « animateur d'hommes
», « exemplaire » qui motive et valorise...,
auquel on exige une vue d'ensemble sur quatre champs d'opérations avec
son équipe : La consultation, la négociation, la
responsabilisation, la délégation. (Ibid., p.122). Sachant
que les personnels accompagnants en question sont « centrés sur
un objet-tiers (le projet), (...) en tension entre l'intersubjectivité
au sens strict et une réelle visée d'aider au positionnement
réflexif d'autrui. » (Paul, 2009), leur accompagnement par un
tiers est nécessaire dans sa fonction productive d'un résultat
mesurable et dans leur développement personnel (Samurçay &
Rabardel, 2004). Paul (2009) souligne le fait que « l'accompagnement
est caractérisé par un emboîtement des postures : celui qui
accompagne doit nécessairement être accompagné.
». Selon elle, l'accompagnement du professionnel a vocation à se
centrer sur les enjeux cognitifs vécus par les professionnels et non
plus seulement sur tout ce qui se rapproche du projet en lien avec le champ
socio-éducatif.
Au fil de ces investigations et en lien avec mes propres
questionnements relatés dans la première partie empirique, j'ai
souhaité comprendre non seulement les champs d'action, le profil et les
fonctions du Chef de Service en poste au SAJ, mais également sa pratique
d'accompagnement des professionnels socio-éducatifs, qui seront
d'ailleurs corroborés ou infirmés dans notre enquête
méthodologique. J'y ai observé diverses compétences, une
posture éthique, un vecteur « moteur » (dans le
fonctionnement et le développement de l'organisation), qui colorent le
travail d'équipe, elle-même tinctoriale dans ses pratiques
d'accompagnement des personnes. A ce titre, la personnalisation de la «
politique » de l'accompagnement des professionnels et par-delà des
usagers au SAJ de Neuf-Brisach impulsée par le Chef de Service semble
viser des finalités éducatives vers leur individualité,
leur Moi. Elle semble correspondre d'une part, à la
142
142
qualité de la relation favorisant un cadre de confiance
et à une forme de soutien de proximité (Valorisation et
encouragement vers le développement de compétences), et d'autre
part, à différents types de postures (Une posture éthique,
une posture hiérarchique visant son efficacité et non son statut,
et une posture centrée sur le sujet et ses enjeux cognitifs, lors de
responsabilisations ou délégations, et non sur le projet.).
2.5 Analyse de l'organisation selon Mintzberg
D'après le modèle d'analyse de Mintzberg,
l'analyse de l'organisation du SAJ au niveau des fonctions professionnelles
correspond au modèle d'organisation professionnelle.
Tableau n°31 : Schéma du modèle
d'organisation professionnelle de Mintzberg.
En règle générale, une structure
socio-éducative relève du modèle d'organisation
professionnelle, de par son type bureaucratique et sa configuration
investissant une petite
143
143
Technostructure, une ligne hiérarchique et une
importante fonction de Support logistique assurant la coordination entre les
membres de la base opérationnelle, le Centre Opérationnel.
Dans ce SAJ, le contexte problématique a
nécessité l'impulsion et le dynamisme d'une fonction de type
managériale qui semble avoir infléchi une nouvelle orientation
vers les réelles missions inhérentes aux SAJ, faute de quoi
l'organisation aurait encore probablement été
empêtrée dans ses écueils.
L'analyse du modèle d'organisation professionnelle selon
Mintzberg s'inscrit comme suit :
1. D'une dynamique associative essoufflée jadis forte
de son Conseil d'Administration (investi à plus d'un titre), l'organe
hiérarchique garant et promoteur des valeurs idéologiques
concerne actuellement la fonction du Chef de Service, Monsieur Jenny.
Quant au Sommet stratégique, il est aussi totalement
assuré par la fonction du Chef de Service en place, par des fonctions de
contrôle, de direction, de ressources et de gestions diverses. La
fonction du Directeur, Monsieur Schneider, se caractérise par sa
présence (lors de chaque nouvelle admission de personnes au SAJ) -et par
l'animation du Conseil de Direction jusqu'au 1er octobre 2015
(Réunissant le Président, le vice-président,
l'Attaché de Direction, le Chef de Service administratif financier, le
Directeur de l'ESAT et le Chef de Service du SAJ et du SAVS).
2. Bien qu'à 0.50 ETP au SAJ, Monsieur Jenny assure
également la Ligne hiérarchique, faisant
fonction d'encadrement, intermédiaire entre le Sommet
hiérarchique et le Centre opérationnel ainsi que celle de
transmissions et d'applications des décisions (qui relèvent du
Sommet stratégique).
3. La Technostructure est composée de
personnes faisant fonction de standardisation, de planification, de
méthodologique et de contrôle, dans le but du respect de la
conformité aux règles et tâches exigées. Elle
concerne les différents intervenants extérieurs
(Sécurité -Plan de maîtrise sanitaire, accordant la
Certification AFNOR -, les Evaluations interne et externe, la psychologue en
GAP, etc.). Toutefois, à son arrivée dans un contexte de «
no man's land », Monsieur Jenny a dû procéder
rapidement à diverses restructurations (tant l'organisation était
délétère) et il s'est enquis de compétences
spécialisées extérieures, pour pouvoir poursuivre
144
144
l'accueil le plus élémentaire du SAJ. C'est
à ce titre qu'il a dû s'auto-mandater d'une fonction de
contrôle, pour pouvoir fabriquer du « tiers institutionnel
» à travers l'élaboration du Manuel de
procédures, du Règlement de Fonctionnement, de la
rédaction du Projet de Service.
4. Le Support logistique est la composante
de l'organisation (Agent administratif, agent de service, chauffeurs du
minibus) qui s'occupe essentiellement de la logistique, des services techniques
et de l'entretien de l'organisation. Celle-ci est également sous
l'autorité de la Ligne hiérarchique, qui a dû
réorganiser l'ensemble des services nécessaires à une
organisation stable et optimale du Service.
5. Le Centre opérationnel est
constitué de personnes qualifiées en rapport avec la mission du
SAJ et en contact direct avec les usagers (Educatrice
spécialisée, monitrice-éducatrice, auxiliaires de vie
-dont l'une d'entre elles qui a fait l'objet d'une VAE
moniteur-éducateur).
La fonction d'éducatrice spécialisée a
été étoffée d'une fonction de coordination par la
fonction hiérarchique (Monsieur Jenny), afin d'optimiser l'organisation
des plannings des professionnels et des activités. Cette fonction
afférente à Madame S. semble être un facteur
d'efficacité dans le fonctionnement de la structure, car elle favorise
non seulement la communication entre usagers-équipe
éducative-Chef de Service et l'organisation complexe du quotidien, mais
elle garantit aussi la mise en application des décisions
hiérarchiques et induit, de fait, le bon déroulement des actions,
la bonne cohérence du travail d'équipe, etc.
Depuis l'arrivée du nouveau Chef de Service, Monsieur
Jenny, nous observons une forte implication et une diversité de ses
fonctions dans l'organisation et dans la mobilisation des ressources
matérielles et humaines, dont l'organisation technique et le
modèle social ont impliqué plusieurs fonctions de management dans
la structuration du temps et de l'espace, la répartition des ressources,
la gestion des relations interpersonnelles, le soutien des acteurs de
l'organisation et la projection de l'organisation dans l'avenir (fonctionnement
et pérennisation).
Il a démontré un impact manifestement positif au
sein de l'organisation, faisant preuve d'un re-dynamisme et de la promotion
d'une culture de Service, d'une position et d'un contenant institutionnels -
fortement manquants-. Pour étoffer le propos, un travailleur social au
SAVS
145
145
de Neuf-Brisach (Monsieur Jenny y étant
également le Chef de Service) déclarait que depuis
l'arrivée de son Chef de Service de type coach (qui
énonçait régulièrement le cadre d'intervention
-légitimant les fonctions professionnelles à reléguer
à une approche éthique-, et invoquait la «
sécurité comme tiers » garant de leurs
interventions socio-éducatives), ses pratiques professionnelles et son
bien-être ont qualitativement progressé.
Ainsi, mobilisé dans un système « en
reconstruction » dont les acteurs déstabilisés «
restants » ont nécessairement eu besoin de retrouver
confiance en leur hiérarchie, en l'organisation et en eux-mêmes,
le leader en poste a su s'adapter et impulser une nouvelle dynamique
progressive par des formes de management adaptatif et participatif, tel un
« art de mobiliser des énergies en vue d'atteindre un objectif
commun » (Loubat, 2014), les « énergies »
étant les ressources propres au « Moi » des acteurs de la
structure... Par ailleurs, l'ancien contexte et système pathologique ne
semblent pas correspondre à un cadre social normatif, puisque, selon les
retours des travailleurs sociaux, les acteurs travaillaient chacun selon leurs
propres règles dans un système manifestement identifié par
l'absence de cadres et de normes arbitraires.
Synthèse et problématique de
recherche
Forts de nos questionnements empiriques et analytiques, il
serait intéressant de procéder à une investigation
auprès des professionnels en poste, d'une part, sur la
compréhension du « Moi social » et du « Moi
» dans leurs pratiques professionnelles, et d'autre part, sur
l'opérationnalisation de leurs pratiques visant des finalités
éducatives vers le « Moi » des personnes sont-elles
opérationnalisées. Au final, nous avons synthétisé
les éléments conjoints et nous souhaitons mener notre
enquête auprès de deux types de publics :
y' Le public à besoins spécifiques (les
accompagnés), y' Le public des professionnels (les accompagnants).
Par ailleurs, trois questions principales de recherche en
émanent :
? Qu'est-ce que l'« accompagnement » ?
146
|