SECTION 4.CHAMP D'APPLICATION DU PRINCIPE DE LA
PRESOMPTION
Le principe de la présomption d'innocence signifie qu'un
individu est innocent tant que sa culpabilité n'a pas été
prouvée par un jugement irrévocable Toute personne accusée
d'une infraction pénale51, doit être
considérée et traitée comme innocente tant que sa
culpabilité n'a pas été légalement établie
par une décision judiciaire ayant acquis l'autorité de la chose
jugée. Son nom et les agissements qui lui sont reprochés ne
devraient, en principe, recevoir aucune publicité en dehors de la phase
du jugement. Ainsi avant ou mieux en l'absence d'une décision de justice
devenue définitive, nul ne peut être tenu pour coupable, et
d'autant plus, subir une sanction pénale, quelle que soit la
gravité de l'infraction commise et la véracité des charges
existantes. Il en est de même, qu'il s'agisse d'un flagrant délit
ou d'un
50 Décret du 6 Aout 1959. Articles 2 al. 2 in fine, 4, 5
al.4, 6
51 . F. DEBOVE, F. FALLETTI et T. JANVILLE, Précis
de droit pénal et de procédure pénale,
PUF, 4ème édition, p. 369
Ecrit par Idriss SANGWA ILONDA
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crime flagrant. Cependant, il faut faire réserve de la
garde à vue, de l'arrestation et de la détention provisoire qui
sont des mesures privatives de liberté avant toute décision de
justice déclarant une personne coupable et lui appliquant une sanction
pénale. Ce principe gouverne la charge de la preuve en matière
pénale et a pour conséquence deux autres principes : «
actori incumbit probatio » et « in dubio pro reo
». 52C'est un principe élémentaire de toute
procédure que, le juge ne peut décider de la cause que suivant
les preuves qui ont été réunies. En procédure
pénale en particulier, le principe selon lequel c'est au demandeur
d'administrer la preuve (actori incumbit probatio), est
général89. En droit pénal, ce principe se traduit par le
fait que la charge de la preuve incombe à l'accusation90. La charge de
la preuve incombe au demandeur, puisque la personne accusée est
présumée innocente, jusqu'à ce que la preuve de sa
culpabilité soit faite. Il faut conclure que c'est aux demandeurs au
procès pénal, ministère public et partie civile, qu'il
incombe d'établir le corps du délit et la participation de la
personne poursuivie au délit: « Actori incumbit probatio
» ou « Onus probandi incumbit el qui dicit ». En
pratique, la partie civile bénéficie des preuves fournies par le
ministère public. L'effet le plus clair de la présomption
d'innocence est de faire du poursuivi un défendeur
bénéficiaire de tous les avantages stratégiques de la
défense procédurale. Cela vaut pour le poursuivi formel
(inculpé, prévenu, accusé) que pour le poursuivi virtuel
(personne entendue dans le cours d'une enquête préliminaire ou
suspect). C'est dans le même sillage qu'on peut inscrire la
formule reprise dans un arrêt célèbre de 1935 : « Dans
la toile du droit pénal anglais, ce fil d'or se voit toujours : c'est le
devoir de celui qui poursuit le défendeur de prouver sa
culpabilité ».
La présomption d'innocence était assurée
dans l'Ancien droit par l'application du principe que l'innocence devrait
être préservée même au prix de l'impunité d'un
coupable. Ce dernier ne pouvant être condamné que si des preuves
certaines avaient été réunies. La loi pénale
camerounaise sur la question ne s'inscrit pas en faut quant à la charge
de la preuve. Ainsi, l'article 307 du CPPC dispose : « La charge de la
preuve incombe à la partie qui a mis en mouvement l'action publique
».En vertu de la présomption d'innocence, la partie
poursuivante c'est-à-dire le Ministère public doit «
établir tous les éléments constitutifs de l'infraction
et l'absence de tous les éléments susceptibles de la faire
disparaître »53. Ainsi, il doit montrer
52 S. NGONO, Le procès pénal camerounais au
regard des exigences de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples, thèse, Paris, 2000, p. 129.
53 L'article 307 (2) du CPPC dispose que; «
En cas de doute, le prévenu est relaxé. Mention du
bénéfice du doute doit être faite dans le jugement
».
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que l'infraction est bien caractérisée dans ses
trois éléments : élément légal,
élément matériel et élément moral.
En vue d'apporter la preuve de l'élément
légal, le Ministère public doit prouver non seulement que «
Nul n'est censé ignorer la loi », mais aussi l' «
erreur invincible de droit ».
En vertu du principe de la légalité, le
comportement reproché doit être prévu par un texte. Le
Ministère public doit viser les textes sur lesquels il fonde sa
poursuite. La personne poursuivie ne peut invoquer sa méconnaissance du
texte : « Nul n'est censé ignorer la loi ». Dans la
même lancée, le Ministère public doit prouver l'absence d'
« erreur invincible de droit ». L'erreur invincible est
celle que peut commettre toute personne placée dans les conditions que
la personne poursuivie.
C'est ainsi que l'article 122-3 du CPF dispose : « N'est
pas
Pénalement responsable la personne qui justifie avoir
cru, par erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure
d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ».
Concernant la preuve de l'élément matériel, la partie
poursuivante doit prouver d'une part que tel ou tel acte, qu'il s'agisse d'une
action ou d'une omission, a été commis et d'autre part que cet
acte est imputé à la personne poursuivie. L'accusation doit donc
également établir la preuve de l'identité de l'auteur.
Pour ce qui est de l'élément moral, la preuve
diffère selon le type d'infraction. Pour une infraction intentionnelle,
le Ministère public doit prouver l'intention délictueuse.
Pour un délit ou une contravention d'imprudence, le
Ministère public doit prouver la faute d'imprudence ou de
négligence.
Pour une contravention ne supposant ni intention, ni faute
d'imprudence : la preuve du fait matériel constitutif de l'infraction
sera la seule que devra apporter le Ministère public. En cas de
complicité, le Ministère public doit à la fois prouver
l'intention de l'auteur principal et l'intention personnelle du complice. La
spécificité de la maxime « actori incumbit probatio
» doit être relevée concernant la procédure
pénale devant les juridictions pénales internationales. En effet,
la preuve de la culpabilité de l'accusé incombe, bien sûr,
au Procureur. Mais il est, en outre, prévu que celui-ci doit communiquer
à la défense les
éléments de preuve en sa possession, qui tendent
à disculper l'accusé, à atténuer sa
culpabilité ou même à discréditer les
éléments de preuve à charge. Ce type de règle
figure aussi, mais de
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manière plus sommaire, dans les Règlements de
procédure et de preuves des TPI (art. 68). 54Elle a
donné lieu à une jurisprudence importante.
De même, le principe de la présomption d'innocence
est à l'origine de l'adage selon lequel : « le doute doit profiter
à l'accusé » : « in dubio pro reo ». Un
extrait d'Ulpien, repris dans les compilations justiniennes, proclamait qu'il
valait mieux laisser un crime impuni plutôt que de condamner un innocent.
A la fin du XVIIIe siècle, Jacob-Nicolas Moreau exprimait l'idée
selon laquelle: « il valait mieux qu'un coupable échappât
au châtiment plutôt qu'un innocent fût
condamné».
Le principe est que tant que la preuve n'est pas complète,
tant qu'un doute si faible soit-il subsiste quant à la valeur de
l'accusation, tant que l'infraction n'est pas établie en tous ses
éléments, tant que l'auteur de l'infraction n'est pas
identifié avec certitude, le doute devrait logiquement
bénéficier à l'accusé
. C'est le sens de l'adage in dubio pro reo. Ce
bénéfice du doute est considéré et consacré
dans la loi pénale camerounaise. Pour sa défense le suspect peut
se contenter d'installer le doute dans l'esprit des autorités de
poursuite, sans prouver son innocence. L'application du principe in dubio
pro
reo est assurée en droit camerounais. Les maximes
« actori incumbit probatio » et « in dubio pro reo
» confient la charge de la preuve au Ministère public en
libérant l'individu. Ce souci de conforter la protection des
libertés individuelles est recherché par les
dérivés de la présomption d'innocence.
2.4.1. Les dérivés de la
présomption d'innocence dans la protection de l'individu
55La présomption d'innocence produit des
conséquences importantes dans la protection des libertés
individuelles. Ces dernières peuvent s'apprécier de deux
façons: la liberté d'aller et venir et la protection de la
réputation de l'individu. Concernant la liberté d'aller et de
venir, elle est comme la liberté individuelle constitutive de ce droit
à la sûreté, qui peut être analysé comme une
conséquence du droit à la présomption d'innocence. Le
droit de sûreté figure à l'article 2 de la
déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le
présumé innocent est assimilé à l'innocent. En
conséquence, il doit être libre de ses mouvements. Ces derniers ne
seront limités que lorsque les preuves de sa culpabilité
seront
54 G.STEFANI ET G.LEVASSEUR, Droit
pénal et procédure pénale ,3e éd.
T2.Paris.D.P.223
55 Idem
Ecrit par Idriss SANGWA ILONDA
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réunies. Le présumé innocent ne doit pas
faire l'objet en principe d'une mesure de garde à vue ou de
détention provisoire. La raison est que ces mesures portent atteintes
à sa liberté d'aller et venir. Cette logique vaut
également pour sa réputation. Relativement à la protection
de la réputation de l'individu, le présumé innocent
devrait jouir des mêmes droits que l'innocent en principe. Sur cette
base, toute atteinte à sa réputation doit être
sévèrement sanctionnée. Le présumé innocent
ne doit pas être diffamé, calomnié, faire l'objet d'une
publicité, si les preuves de sa culpabilité ne sont pas
rapportées. La présomption d'innocence doit être un moyen
de défense contre l'arbitraire du tribunal de l'opinion publique
.
En bref, dans son principe, la présomption d'innocence est
à la fois un moyen de défense contre l'arbitraire de l'Etat et un
moyen de défense contre l'arbitraire du tribunal de l'opinion. Mais ce
principe s'inscrit dans l'ordre de l'idéalisme. Le réalisme
persuade plutôt d'un effacement pratique de la présomption
d'innocence par la présomption de culpabilité.
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