SECTION 2. HISTORIQUE DE LA PRESOMPTION
44En droit pénal, le recours aux
présomptions est ancien. En effet, à l'époque
médiévale, le juge rassemblait des preuves à
partir d'éléments pouvant être qualifiés de
totalement irrationnels, tels que des signes ou des évènements
extérieurs. L'accusé était soumis au système
probatoire des ordalies. Un premier exemple de ce mode de preuve consistait
à demander à l'accusé de plonger son bras dans un chaudron
rempli d'eau bouillante afin de récupérer un objet qui s'y
trouvait. Ceci fait, le bras brulé était bandé dans un sac
de cuir scellé par le juge et on laissait s'écouler quelques
jours avant d'examiner la plaie. De l'état de celle-ci, on
déduisait, selon les cas, l'innocence ou la
43 STEFANI ET G. LEVASSEUR. Op.cit.356.
44 La loi du 4 janvier 1993 portant code civil Français
dans son article 9s - 1
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culpabilité de l'individu. Le combat judiciaire est un
second exemple des présomptions auxquelles le juge avait fait recours,
le vainqueur de ce duel étant présumé bien-fondé
dans ses prétentions et le vaincu responsable des faits qui lui
étaient imputés. Traditionnellement présentées
comme des présomptions, ces ordalies étaient, en
réalité, de véritables modes de preuve puisque la personne
qu'elles désignaient comme coupable voyait nécessairement sa
culpabilité prononcée par le juge.
45Appliqué à l'innocence,
c'est-à-dire à « l'état de celui qui n'est pas
coupable d'une faute déterminée », le jeu de la
présomption prend une dimension décisive. En effet,
présumer l'individu innocent constitue un principe qui irradie tout le
droit pénal, tant dans sa dimension substantielle que processuelle. En
vertu de ce principe, toute personne poursuivie est présumée
innocente tant qu'elle n'a pas été déclarée
définitivement coupable et il appartient à la partie poursuivante
d'apporter la preuve de sa culpabilité.
Pendant très longtemps, le principe de la
présomption d'innocence est resté totalement absent du
système judiciaire Congolais. Non seulement il n'y avait trace d'un tel
principe mais, surtout, l'idée-même de conférer à
l'individu un droit à être présumé innocent allait
à l'encontre des règles régissant le procès
pénal. En effet, l'usage de présomptions aboutissait à
présumer la personne coupable et c'était donc à elle
d'apporter la preuve qu'elle n'avait pas commis la faute qui lui était
imputée. La situation de l'accusé a commencé à
évoluer dans un contexte marqué par le fort retentissement de
scandales judiciaires mettant en lumière l'extrême rigidité
des règles
Ecrit par Idriss SANGWA ILONDA
45 www.google.com:jalonspour une histoire de la
présomption. Le 5/mai/2016 à 20H03
Ecrit par Idriss SANGWA ILONDA
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Procédurales et probatoires appliquées à un
individu déjà placé dans une situation défavorable.
L'opinion publique, relayée par les philosophes et écrivains du
mouvement des Lumières, a alors manifesté sa volonté d'une
humanisation de la procédure criminelle. Il est apparu indispensable
d'affirmer des droits pour l'individu face à l'arbitraire du
système judiciaire de l'Ancien Régime. 46Durant les
dernières années précédent la Révolution
française, le pouvoir royal s'est alors efforcé
d'améliorer le sort de l'accusé, sans pour autant aboutir
à la consécration d'un véritable droit à être
présumé innocent. Le mouvement intellectuel en faveur d'un droit
à la présomption d'innocence n'a fait que s'accroitre avec la
généralisation de la remise en cause du pouvoir royal. Voltaire a
ainsi écrit que "si contre cent mille probabilités que
l'accusé est coupable, il y en a une seule qu'il est innocent, cette
seule doit balancer toutes les autres". 47Autre figure
incontournable des Lumières, le philosophe italien Cesare Beccaria
affirmait, quant à lui, qu'un homme ne peut être regardé
comme criminel avant la sentence du juge ; et la société ne peut
lui retirer la protection publique qu'après qu'il a été
prouvé qu'il a violé les conditions auxquelles elle lui avait
été accordée". Ainsi, les bases du principe contemporain
de la présomption d'innocence étaient d'ores et
déjà posées.
Ce mouvement va aboutir à l'adoption de l'article 9 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 en vertu duquel
« Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce
qu'il ait été déclaré coupable, s'il est
jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas
nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être
sévèrement réprimée par la loi ». Par la
suite, le principe de la présomption d'innocence va être
consacré par de nombreux textes, instruments juridiques du droit
Congolais, du droit africain, du droit européen et du droit
international. Ainsi, l'article 11 de la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme de 1948 dispose que « Toute personne accusée d'un
acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce
que sa culpabilité ait été légalement
établie au cours d'un procès public où toutes les
garanties nécessaires à sa défense lui auront
été assurées ». La Convention Européenne de
Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés 10
46 . BECCARIA, Du traité des délits et des
peines, Paragraphe XII, De la question, p. 43-44.
47 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, article des
Crimes ou délits de temps ou de lieu, OEuvres complètes de
VOLTAIRE, Tome VI, p. 684
Ecrit par Idriss SANGWA ILONDA
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Fondamentales de 1950, texte dont l'influence est
désormais incontournable tant en droit européen qu'en droit
interne, garantit également le droit au respect de la présomption
d'innocence en son article 6 paragraphe 2 disposant que « Toute personne
accusée d'une infraction est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie ». Enfin, le droit au respect de la
présomption d'innocence figure dans le Pacte International sur les
Droits Civils et Politiques ainsi que dans la Charte des Droits fondamentaux de
l'Union Européenne.
Plus récemment, ce principe a été
solennellement consacré dans le code de procédure pénale,
aux articles 27 et suivants. L'article L'introduction récente de ce
principe dans le code de procédure pénale ne doit pas conduire
à une méprise quant à sa valeur. Le droit au respect de la
présomption d'innocence n'a pas seulement valeur législative mais
bien valeur constitutionnelle puisque la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen qui protège ce droit fait partie intégrante
du bloc de constitutionnalité.48
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