II. La Bête du Gévaudan, un indice de la
dichotomie sociale présente sous l'Ancien régime
Politiquement, les événements du Gévaudan
se déroulent à une période charnière de l'histoire
de France. Au moment où sévit la Bête, le pays est
régi par un roi faible et contesté. La couronne est, à la
suite de débats houleux attachés au principe
d'égalité devant l'impôt, accusée de despotisme par
les juges, et des magistrats publient même leurs objections aux
législations royales. Impliqué dans diverses rumeurs de
débauche avec des courtisanes 522, Louis XV apparaît,
ceci tout particulièrement après la signature du traité de
Paris, comme un souverain peu enclin à assurer les charges qui lui
incombent. Ainsi, aux prises avec un parlement retors et une presse
organisée qui dévoile au grand jour l'incurie du pouvoir, la
monarchie absolue, qui avait sous Louis XIV muselé le Parlement, se
fissure et l'on voit déjà poindre au cours du règne de
Louis XV une rhétorique 523 qui sera utilisée au fait de la
Révolution.
Si la Monarchie semble vaciller, il en est de même pour
l'institution religieuse. Les solutions métaphysisques ainsi que les
doctrines énoncées par la théologie sont
questionnées par les philosophes et c'est l'esprit d'analyse qui
l'emporte sur l'autorité exercée par les traditions
524. La crise des valeurs de l'Ancien régime et la mise en
place de nouveaux modèles de pensées par les philosophes
provoquent alors dans les cercles scientifiques l'introduction de
méthodes inédites. Les résultats des sciences
expérimentales sont désormais produits dans un cadre où
les faits sont reproductibles et contrôlés. La science, alors
dotée d'un outil intellectuel rationnel s'érige en
défenseur de la raison contre la vérité dogmatique des
ecclésiastiques.
D'une manière générale, la fermentation
intellectuelle propre au Siècle des Lumières est à
l'origine de la création d'un mouvement social qui va voir
l'anéantissement de l'Ancien Régime et la naissance d'un ordre
nouveau.
522 MONTGAILLARD (DE), Guillaume Honoré Rocques,
Histoire de France, Paris, Imprimerie de Fain, 1827, p. 442.
523 Tout comme au cours du débat sur
l'égalité devant l'impôt sous Louis XV, les juges
dénonceront dans la décennie qui précède la
Revolution de 1789 le despotisme de la Monarchie et se présenteront
comme des défenseurs des citoyens et de la liberté. (ALPHA,
1968)
524 L'austérité prônée par les
jansénistes au temps de Louis XIV fait alors place à un mouvement
d'idées contraires, et la mise en exergue de notions telles que la
passion et le plaisir favorisent dans la haute société le
developpement de moeurs licencieuses. (LAGARDE et MICHARD, 1992)
120
Enfin, comme nous avons pu nous en rendre compte au cours de
cette étude, il existe à l'époque des attaques de la
Bête du Gévaudan une dichotomie profonde entre
l'interprétation des masses populaires et des élites
éduquées. Bien qu'on ne puisse pas, au vu des archives,
considérer que cette dichotomie soit totale, cette dernière est
le signe d'une séparation sociale avérée. A mon sens, et
cela pour conclure l'analyse sectorielle proposée au cours de cette
étude, l'histoire de la Bête du Gévaudan souligne les
antagonismes et montre avec clarté l'opposition dans la France de
l'Ancien régime entre culture urbaine, culture rurale, et classes
éduquées / Tiers-Etat. Aussi, quelques décennies avant les
événements de 1789, le désaccord permanent quant à
l'identification de l'animal est, selon moi, un signe clair de la
volonté de certains groupes sociaux d'imposer leur vision du monde, ceci
pour tenter de conserver une position sociale acquise de longue date.
|