Conclusion de la troisième partie
Au cours de la troisième partie de cette étude,
j'ai tenté de mener une analyse sectorielle des croyances
attachées à la figure de la Bête du Gévaudan. Le
travail effectué en rapport à la noblesse et aux populations
éduquées montre que ces dernières n'ont pas de croyances
particulières. De plus, il semble que ces couches sociales, qui
appartiennent à des cadres sociaux distincts, veuillent se
démarquer en dénigrant l'approche traditionnelle des autochtones.
Il apparaît donc que les classes fortunées en cette moitié
du XVIIIè siècle aient déjà tourné le dos
aux valeurs du passé et qu'elles aient adopté un modèle
fondé sur l'analyse et l'intérêt.
En plein essor, la presse nous montre une autre
réalité. Fonctionant en réseau, elle propose une narration
particulière qui met en scène des créatures mythologiques
en rapport aux croyances du petit peuple. Les images imprimées à
l'époque réintègrent la figure de la bête du
Gévaudan dans un cadre traditionnel la reliant à l'imaginaire des
bestiaires du Moyen Âge 514. Le récit alors
proposé transforme un fait-divers en une histoire tout droit sortie des
contes et par la même occasion favorise l'augmentation des tirages.
Le Tiers-Etat, composé pour la majeure partie
d'illettrés ayant des rapports avec les prêtres locaux, est lui
victime du cadre sociétal dont il est issu. Ici, le dogme religieux
participe au renforcement d'un référentiel mythologique et la
presse, véhicule d'une incertitude interprétative
avérée, propose un monde imaginaire où le merveilleux fait
place à l'analyse. Aussi, le fait que les créatures
évoquées par les autochtones soient toutes associées
à la métamorphose et à une histoire qui
précède le XVIIIè siècle, indique que l'origine des
croyances qui sont révélées par les archives est
antérieure à l'arrivée de la Bête. Enfin, comme il a
été possible de le constater au cours de la lecture de la
troisième partie de ce travail ainsi que dans celle qui lui
précède, il semble bien que la création de l'objet des
croyances en général suive un processus similaire et qu'il ne
soit pas circonscrit aux époques 515.
513 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.
514 Pour certaines des images, les références sont,
comme nous l'avons vu, bien plus anciennes.
515 En effet, l'élaboration de la figure du «
puma du Gévaudan » et celle de la figure de la «
Bête du Gévaudan » semblent suivre un processus
similaire. Des « signes anomaliques » donnent naissance
à un « puzzle spéculatif » qui est à
son tour amplifié par la presse. La différence entre les deux
objets imaginés est délimitée par le cadre (dans ce cas,
le cadre de l'Ancien régime et celui de la Modernité) dans lequel
se déroule le processus.
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