VII. Un hybride du Moyen Âge
La deuxième icône que je me propose
d'étudier est une parfaite illustration de l'hybride zoomorphe
410. En plus de présenter des « pattes en forme de
doigts armés de longues griffes » 411, elle est, entre autres,
composée de pattes arrière qui sont « comme celles d'un
cheval » 412 et d'une queue « semblable à celle du
léopard » 413
« Figure de la Bête féroce qui ravage le
Languedoc »
Illustration de la Bête du Gévaudan, datée de
1765, imprimée à Bordeaux le 6 mars 1765 414
406 Le néolithique est une période qui
correspond plus à un niveau d'évolution technique et
économique qu'à une époque précise. Elle peut donc
être différente de région à région.
Cependant, il existe un consensus sur le fait que cette période à
commencé en Moyen-Orient, au nord de la Mésopotamie vers le
IXè siècle avant notre ère. Les progrès
inhérents à ce stade civilisationnel se sont ensuite
propagés en Europe vers le septième siècle avant
Jésus-Christ (MARILLIER, 1997)
407 Originaire d'Europe du Nord (Islande et Scandinavie) la
mythologie nordique est présente dans ces régions au cours du
Moyen Âge, et est antérieure à la christianisation dont
l'influence s'exerce du IVè au XIè siècle après
Jesus-Christ. Elle fait partie d'une croyance polythéiste plus large et
se fonde principalement sur les croyances de la mythologie germanique.
(MARILLIER, 1997)
408 Dans la mythologie grecque, les dragons sont souvent
représentés sous la forme de serpents. Ils sont les gardiens de
trésors ou de lieux liés au culte. Par exemple, l'hydre de Lerne,
créature aux têtes multiples dont l'antre se trouvait dans un
marais semait, selon la légende, la désolation dans le
Péloponèse. (ALPHA, 1968).
409 Babylone : au VIè siècle avant
Jésus-Christ, cette cité, alors sous le règne de
Nabuchodonosor II, est une des plus importantes de Basse Mésopotamie.
(CROUZET, 1963)
410 Zoomorphe. Se dit de quelque chose ou de «
quelqu'un » à qui ou à quoi on attribue des
caractéristiques animales.
411 Ce détail est donné par l'éditeur de
l'époque dans la description écrite qui suit l'icône. Pour
découvrir le texte dans son intégralité, se
référer à l'annexe 21 de cette étude.
412 ibidem
413 ibidem
414 FABRE François, La Bête du
Gévaudan, édition complètée
par Jean Richard, De Borée édition, 2001. Complément
historique p.2.
96
Si l'on se rapporte aux éléments constitutifs du
corps de cette entité, il est possible de les rapprocher de classes
iconographiques connues. En effet, dans une étude 415
publiée dans « images re-vues » 416 Franck
Thénard-Duvivier 417, propose une analyse de la figuration de
l'hybridation dans les églises du Moyen Âge. Après avoir
séparé les hybrides dotés de caractères physiques
anthropomorphes des hybrides munis d'attributs zoomorphes, il indique que leurs
représentations sont au Moyen Âge le plus souvent
agrémentées de détails zoomorphes. Ainsi, la queue, la
pilosité, les griffes et les sabots composent la plus grande partie des
traits retenus par les sculpteurs de cette époque, ceci avec
respectivement 65%, 48%, 28% et 25% de récurrence 418. Pour
l'auteur de cette étude, une différenciation importante peut
être établie sur la base du type de pattes
représenté. Les griffes caractériseraient donc des
attributs du « léocentaure », les sabots ceux du
« Centaure ». Comme il l'écrit, il existe même
une créature qui évoque « à la fois le Centaure
et le léocentaure avec des sabots à l'avant et des griffes
à l'arrière » 419.
C'est alors que l'analyse iconographique de l'image ci-dessus
prend tout son sens. En effet, il est tout à fait clair que
l'Illustration de la Bête du Gévaudan, datée du 6 mars 1765
reprend des détails des hybrides du Moyen Âge. Dotée cette
fois-ci de griffes à l'avant et des sabots à l'arrière,
elle se rapproche du « léocentaure » et du «
Centaure » évoqués par Franck
Thénard-Duvivier. Ainsi, du Sagittaire au dragon en passant par le
« léocentaure » et le « Centaure
», les créatures mythologiques zoomorphes transcendent les
époques et les civilisations.
Que ce soit dans le cas de l'icône du « combat
de portefaix » ou dans celui de l'image imprimée à
Bordeaux le 6 mars 1765, des détails tirés d'icônes du
Siècle des Lumières relient la Bête du Gévaudan
à l'imaginaire des sociétés préchrétiennes
et aux sources mêmes des mythes fondateurs des croyances
polythéistes. En conséquence, il est à mon sens ici
possible d'affirmer que nous ne nous trouvons pas ici en face d'un simple
dessin de presse mais d'une allégorie 420.
Faisant par l'utilisation de détails picturaux
référence à des créatures bien différentes
du loup en bonne et due forme, la presse exprime l'idée de la Bête
par l'intermédiaire d'une métaphore qui renvoie au mythe de
créatures fabuleuses. Elle ouvre du même coup la voie à une
narration
415 THENARD-DUVIVIER Franck, « Hybridation et
métamorphoses au seuil des cathédrales », Images
Revues, 6, 2009.
416 Image re-vues : Revue périodique
consacrée à la théorie de l'art, l'anthropologie et
l'histoire.
417 Franck Thénard-Duvivier est docteur en Histoire. Il
est l'auteur de la thèse intitulée « Au seuil des
cathédrales. Culture visuelle et enjeux de pouvoir de Rouen à
Avignon (XIIIé-XIVé siècles) », soutenue
à l'Université P. Mendès-France de Grenoble 2 en 2007.
418 THENARD-DUVIVIER, Loc cit, p.7.
419 THENARD-DUVIVIER, Loc cit, p.7.
420 Allégorie : une allégorie est «
l'expression d'une idée par une métaphore ( image, tableau,
etc....) animée et continuée d'un développement ».
Source : Larousse en ligne.
97
médiatique spécifique,421 celle du
conte. En vue de vérifier cette assertion, je me propose maintenant de
répéter l'analyse sur deux icônes d'un caractère
distinct, celui de l'anthropomorphisme.
|